Législatives : les clefs d’un scrutin aux multiples incertitudes

Législatives : les clefs d’un scrutin aux multiples incertitudes

Le premier tour des législatives se passe dimanche dans un climat incertain. Emmanuel Macron aura-t-il une majorité solide ou devra-t-il négocier ? La Nupes sera-t-elle forte au point d’envoyer Jean-Luc Mélenchon à Matignon ? Les LR vont-ils limiter la casse et se retrouver dans un rôle pivot ? Et quid du RN ? Beaucoup de questions qui rendent les surprises possibles.
François Vignal

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Les Français sont appelés de nouveau aux urnes dimanche, pour le premier tour des élections législatives, avant le second une semaine après, le 19 juin. 577 députés seront élus ou réélus. Ce scrutin s’annonce avec plus d’enjeu que lors des précédentes législatives. L’incertitude est de mise et les surprises sont possibles.

Des sondages à prendre avec pincettes et qui peuvent se tromper

Les sondages se multiplient. En intention de votes, la Nupes (l’union de la gauche) et la majorité présidentielle sont données au coude à coude, mais en projection en nombre de sièges, les macronistes sont donnés majoritaires. Mais il faut avoir en tête qu’il est très difficile de faire des sondages sur les législatives, qui sont composées de 577 petites élections, chacune avec leurs enjeux locaux. Comme nous l’expliquait le professeur de droit public, Benjamin Morel, « il faut beaucoup se méfier » de ces sondages. Jean-Daniel Levy, directeur délégué d’Harris Interactive d’Harris interactive, le reconnaît lui-même : faire des sondages sur les législatives « est très difficile », « il faut prendre ces données avec de multiples précautions »…

Emmanuel Macron face au risque d’une majorité relative qui affaiblirait son action

Les discussions, pas toujours évidentes, ont nécessité quelques nuits. Mais la majorité présidentielle est partie unie pour l’élection, sous la nouvelle bannière d’« Ensemble ! », la confédération qui rassemble LREM, rebaptisé Renaissance, le Modem et Horizon, le parti d’Edouard Philippe. L’ancien premier ministre, qui refusait le grand parti unique voulu par Emmanuel Macron, a eu gain de cause. Son parti reste indépendant et aura un groupe à l’Assemblée. En échange, toutes les composantes de la majorité auront des candidats communs, sauf quelques dissidences, assurant à Emmanuel Macron un maximum de députés.

Mais pour la majorité présidentielle, le fait majoritaire, qui veut que le Président élu ait une majorité, ne semble plus forcément aller de soi pour le scrutin. Les législatives ne sont plus une formalité. Selon les sondages, dont nous avons vu l’incertitude, plusieurs scénarios se dessinent. Ensemble pourrait avoir une majorité absolue – scénario idéal, surtout si LREM a la majorité sans ses alliés. LREM aurait plus certainement la majorité grâce à ses alliés du Modem et d’Horizons, qui pourraient ainsi davantage peser. Un ministre prédit déjà quelques « petites banderilles » des amis d’Edouard Philippe, durant le quinquennat… Mais rien de gravissime.

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Autre option : Emmanuel Macron n’a qu’une majorité relative. Là, les choses se compliquent, obligeant à trouver des majorités de circonstances selon les textes. Une situation qui pourrait pousser la majorité vers la droite, en négociant plus facilement avec les LR que le PS, lié à la NUPES et LFI.

Dans cette longue campagne des législatives, avec 49 jours, Emmanuel Macron a opté pour la même stratégie qu’à la présidentielle : attendre. Et gagner du temps. Après un long moment jusqu’à la nomination de sa première ministre très peu politique, Elisabeth Borne, le chef de l’Etat a donné l’impression de fuir la campagne. De quoi éviter de s’exposer et d’aller à la faute, au risque de donner une impression de flottement et de laisser le champ libre à la gauche. S’y ajoutent malgré tout des polémiques : le cas Damien Abad, accusé de viol, le pataquès du Stade de France, ou Elisabeth Borne qui incite une personne handicapée à trouver un travail.

Un ministre confie craindre « un 21 avril à l’envers »

Comme à la présidentielle, Emmanuel Macron est finalement entré dans l’arène à l’approche du scrutin, envoyant quelques messages clefs sur le pouvoir d’achat, la santé, l’école ou la sécurité. Pour la majorité, c’est surtout haro sur la Nupes et Jean-Luc Mélenchon, accusé de tous les mots, quitte à grossir le trait et à dramatiser. Dans l’entre-deux tours de la présidentielle, Richard Ferrand rappelait pourtant les « valeurs communes » avec Jean-Luc Mélenchon. Aujourd’hui, Emmanuel Macron renvoie dos à dos « les extrêmes »… Cet activisme montre le danger que constitue la Nupes pour la majorité. Un ministre confie craindre « un 21 avril à l’envers ». « Je vois des votes stratégiques dangereux. Quand on commence à voter pour des gens dont on ne veut pas qu’ils gagnent, il ne faut pas être trop nombreux à le faire », lâche en privé ce membre du gouvernement. Conscient du risque, Emmanuel Macron a appelé jeudi à une majorité « claire ».

Sur le terrain, pas d’enthousiasme. Une candidate raconte que les réunions publiques sont vides. La macronie avance dans le brouillard et le flou. Pour preuve, ce député sortant d’Ile-de-France, qui se dit « incapable de donner le résultat dans (sa) circo ». Il ajoute : « On ne sent pas ce que ça va donner entre les ceux qui choisissent l’étiquette, la personne, la stabilité, la rupture ou la cohabitation. Beaucoup de gens vont se décider ce week-end ». Faites vos jeux, rien ne va plus.

A gauche, l’alliance de la Nupes crée l’espoir et change le jeu politique

Personne ne l’avait vu venir. Dans la foulée de la présidentielle, la gauche a réussi un tour de force historique : conclure un accord entre LFI, EELV, le PS et le PCF, sous la bannière de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale). Un accord programmatique et sur les circonscriptions. Forte des 21,95 % de Jean-Luc Mélenchon, LFI a pu négocier en position de force. EELV a suivi. Plus étonnant, après d’âpres négociations, le PS d’Olivier Faure accepte aussi de se ranger derrière le panache rouge de Mélenchon, face au principe de réalité – Anne Hidalgo a fait 1,75 % – et la volonté de sauvegarder ses députés.

Résultat : une crise profonde au PS. La minorité, qui défend une ligne sociale-démocrate classique, ne supporte pas cette alliance avec celui qui veut davantage la mort du parti à la rose. Ils pointent les désaccords sur l’Europe et la désobéissance aux traités, et les questions internationales, avec la sortie de l’OTAN ou l’aide à l’Ukraine. François Hollande, Bernard Cazeneuve, qui finira pas rendre sa carte, ou le sénateur Patrick Kanner donnent de la voix. En vain.

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Pour de nombreux électeurs de gauche, cette union paraît inespérée. Ils en rêvaient pour la présidentielle, ils l’ont eu aux législatives. Une union qui fait la force. Du fait du mode de scrutin uninominal à deux tours, partir uni plutôt que divisé renforce les chances d’être qualifié au second tour. Le seuil de 12,5 % des inscrits nécessaire pour se maintenir, et les niveaux d’abstention, qui pourrait dépasser les 50 %, renforce cette prime à l’union, synonyme de gros score.

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Derrière, c’est l’espoir de devenir la deuxième force politique à l’Assemblée qui se dessine, même si chaque formation aura son groupe. Ou peut-être plus. C’est-à-dire… la majorité. Jean-Luc Mélenchon réussit un coup de maître, en appelant les électeurs à l’élire premier ministre, transformant les législatives en troisième tour de la présidentielle. Autrement dit, il espère une cohabitation, rendue possible par les institutions. Mais dans la foulée de la présidentielle, ce serait une première, qui semble assez peu probable. En cas de cohabitation, c’est le programme de la Nupes qui s’appliquerait. Emmanuel Macron se retrouverait limité aux questions internationales.

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Malgré le peu d’intérêt pour les législatives, la Nupes a su occuper l’espace médiatique. Quitte, pour Jean-Luc Mélenchon, à aller loin. « La police tue » lance le leader insoumis, suite à un contrôle de police qui tourne au drame. La sortie lui permet encore une fois de cliver et de polariser le débat, entretenant le duel avec Emmanuel Macron, mais au risque de perdre une partie de l’électorat de gauche le plus modéré, qu’espère récupérer la macronie. « L’une des inconnues, c’est le vote écolo dans les métropoles, où Jadot a fait de gros scores. Vont-ils voter Mélenchon ? », s’interrogeait à trois jours du scrutin un ministre. Encore une incertitude.

Le RN à la traîne

Après une présidentielle où elle a su juguler la concurrence d’Eric Zemmour, Marine Le Pen s’est retrouvée au second tour. Mais comme en 2017, la candidate d’extrême droite n’a pas su percer le plafond de verre pour l’emporter. Contrairement à Jean-Luc Mélenchon, elle n’a pas su enchaîner directement sur la campagne des législatives. Le RN reste décidément un parti fait pour la présidentielle, élection autour d’une personne, les autres scrutins étant toujours plus compliqués pour lui.

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Forte de ses 41 % au second tour de la présidentielle, Marine Le Pen pourra espérer avoir un groupe à l’Assemblée. Mais entre une NUPES qui a attiré les projecteurs et la nomination du gouvernement, la responsable RN a semblé laissé filer les choses. Sans parler d’impasse, le RN donner l’impression d’anticiper par avance l’issue des législatives : la difficulté d’obtenir des sièges, avec un réflexe de barrage contre l’extrême droite, qui fonctionne encore, malgré tout. Les sondages donnent néanmoins entre 20 et 50 sièges au RN. De quoi satisfaire le parti de Marine Le Pen, qui n’a pas de groupe actuellement.

Les LR peuvent-ils créer la surprise et jouer un rôle pivot à l’Assemblée ?

Les temps sont durs pour les LR. On ne parle plus d’eux, ou presque. Pas surprenant, après la déroute de Valérie Pécresse à la présidentielle et ses 4,78 %. Malgré tout, le parti de Christian Jacob espère tirer son épingle du jeu et limiter la casse. Et pourquoi pas créer la surprise. Aujourd’hui 100 députés tout rond, depuis le départ du président du groupe, Damien Abad, pour le gouvernement, le groupe est donné entre 35 et 56 députés selon les sondages. Même au gouvernement, on n’enterre pas trop vite les LR. « La droite va sauver plus de sièges qu’on ne pense », pronostique un ministre. L’implantation locale de certains députés pourrait aider les LR à conserver quelques sièges.

Dans la défaite, les LR peuvent avoir un motif de satisfaction : la droite n’a pas explosé. Pas encore du moins. Le résultat des législatives jouera sur l’avenir. Reste que les débauchages se sont surtout limités au cas médiatique de Damien Abad, ou celui de Robin Reda, un proche de Valérie Pécresse. Et l’opération lancée par un certain Nicolas Sarkozy, qui voulait que des députés LR sortant rejoignent la majorité, en échange de l’absence de candidat en face, a fait flop.

Si Emmanuel Macron se retrouve avec une majorité relative, hypothèse tout à fait plausible, il faudra qu’il trouve des soutiens parlementaires pour constituer des majorités de circonstance, dans un mauvais remake de la IVe République. Elles seraient davantage à chercher à droite qu’à gauche, les LR étant compatibles sur la question des retraites ou de la réforme de l’assurance chômage. Le groupe, ou du moins une partie, pourrait alors jouer un rôle pivot et négocier à son avantage. Mais ce serait un cadeau empoisonné pour les LR, qui seraient, une fois de plus, divisés face à Emmanuel Macron.

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