« J’ai beaucoup de respect pour Hervé le Bras mais son analyse m’a déstabilisé », reconnaît Jean-Daniel Levy, directeur Délégué Harris Interactive France. Au soir du premier tour, son institut projetait entre 257 et 297 députés Ensemble dans la future Assemblée contre 161 à 219 députés Nupes. Rappelons que le seuil de majorité absolue est fixé à 289 sièges.
Rien de bien disruptif comparé aux projections de ses concurrents. Ce vendredi, une enquête Ipsos/Sopra Steria porte le nombre de sièges d’Ensemble entre 265 et 305, contre 140 à 180 sièges pour la Nupes.
Des projections radicalement opposées de celle d’Hervé Le Bras. Dans Challenges, le célèbre démographe anticipe une majorité absolue de 360 députés pour Ensemble, 131 sièges pour la gauche, 72 pour la droite et seulement 10 pour le Rassemblement national. « Sur le nombre de députés RN, j’ai tenté le coup. C’est le seul point que je ne défendrais pas bec et ongles. Ça pourrait monter jusqu’à trente », confie au téléphone Hervé Le Bras.
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« Le report des voix était d’autant plus fort que l’écart était serré entre les deux candidats »
Pour arriver à ces projections, Hervé Le Bras s’est appuyé sur les élections départementales de 2015. Un scrutin marqué lui aussi par le tripartisme. « J’avais regardé circonscription par circonscription pour comprendre ce qu’il s’était passé entre les deux tours. Les duels avaient bénéficié très souvent au parti qui était au « centre » des deux autres. Ce report des voix était d’autant plus fort que l’écart était serré entre les deux candidats. Par exemple, dans les duels serrés entre le candidat de gauche et le candidat RN, les électeurs de droite avaient tendance à se déplacer beaucoup plus. Si l’on reprend les scores du premier tour, la droite fait 33 %, la gauche 37 % et le FN 28 %. C’est plutôt équilibré. Mais la droite remporte 1 200 cantons sur 2000, la gauche 789, et le FN, seulement 34 », souligne-t-il.
« 360 sièges pour Ensemble, ce serait quand même une grosse surprise », répond le directeur d’études à l’Ipsos
Le modèle peine pourtant à convaincre les sondeurs. « 360 sièges pour Ensemble, ce serait quand même une grosse surprise, il faudrait d’excellents reports des voix des électeurs LR. Or, n’oublions pas que sur les 13 % de la droite au premier tour, il y a beaucoup de sortants qui se sont qualifiés pour le second tour. Et pour arriver à 10 sièges, il faudrait des reports de voix catastrophiques pour le RN alors qu’il a fait plus de 18 % au premier tour contre 13 % en 2017 », relève Mathieu Gallard, directeur d’études à l’Ipsos.
Sur ce point. Jean-Daniel Levy, estime que « calquer » les départementales de 2015 sur les législatives de 2022 est d’autant moins opportun « que le rapport des Français au RN a changé ». « Déjà en 2017, les 8 candidats FN qui ont été élus députés ont gagné dans des duels face à un candidat LREM », rappelle-t-il.
Hervé Le Bras se dit lui « surpris » par le nombre de sièges que les sondages attribuent à la Nupes. La Nupes a fait 26 % au premier tour. 26 % de 577 députés, ça fait 150. Il faudrait donc des reports de voix parfaitement homogènes pour arriver à ce nombre. Et on entend quand même une très forte hostilité du RN à l’égard de la Nupes ».
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« Et le spectre d’une majorité relative pour Emmanuel Macron n’inquiète pas vraiment les Français », rappelle Jean-Daniel Levy
La perspective du vote utile en faveur de la majorité présidentielle ou de la Nupes pourrait-elle relever la participation au second tour et donc bouleverser les projections ? « Ce qu’on observe c’est une stabilité. Les électeurs savent qu’ils votent pour un député sur 577 et lorsque leur candidat n’est pas qualifié pour le second tour, ils ne se déplacent pas forcément. La participation augmente lorsqu’il y a une incertitude sur le résultat. C’est arrivé en 1997 ce qui a donné une cohabitation et en 1988 où l’élection a donné une majorité relative à Michel Rocard », poursuit Mathieu Gallard.
« Mais le risque Mélenchon s’est étiolé depuis dimanche dernier. Tous les commentateurs s’accordent à dire qu’il ne sera pas Premier ministre. Et le spectre d’une majorité relative pour Emmanuel Macron n’inquiète pas vraiment les Français. Le rôle du Parlement n’est pas très bien défini dans l’opinion et encore moins depuis l’arrivée à l’Elysée d’Emmanuel Macron qui incarne le pouvoir exécutif et législatif », complète Jean-Daniel Levy.
« J’ai fait un petit pari », conclut Hervé Le Bras avant d’ajouter qu’il sera suspendu aux résultats des élections dimanche soir ». Il ne sera pas le seul.