France : Allocution Gabriel Attal

Législatives : le gouvernement dispose-t-il toujours de sa « pleine compétence » ou gère-t-il les « affaires courantes » ?

Arrivé en 2e position à l’issue des élections législatives, Gabriel Attal, mis en minorité à l’Assemblée, a annoncé dans la foulée, remettre sa démission à Emmanuel Macron, qui a décidé de le maintenir en fonction « pour le moment » afin « d’assurer la stabilité du pays ». Pour Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste et maître de conférences en droit public, « si le gouvernement dispose théoriquement de sa « pleine compétence », c’est politiquement qu’il est dans les affaires courantes ».
Alexis Graillot

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« Une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique », sans doute jamais ces propos issus d’une conférence de presse du général de Gaulle, le 31 janvier 1964, n’auront été autant d’actualité.

Alors que la situation politique inédite sous la Ve République a débouché sur des vides constitutionnels encore jamais comblés, se pose désormais la question des conséquences juridiques du maintien de Gabriel Attal à Matignon, qui semble désormais cantonné au rôle d’ « expédier les affaires courantes ». Une notion faiblement encadrée dans le droit.

Un encadrement du domaine des affaires courantes par le juge administratif

Malgré l’absence de texte législatif ou réglementaire clair fixant l’encadrement de cette « expédition des affaires courantes », la jurisprudence du Conseil d’Etat est venue apporter sa pierre à l’édifice pour préciser ses contours et ses limites … et ce, dès la IVe République. Dans une décision du 4 avril 1952, la haute juridiction administrative avait déclaré illégal, un décret pris en 1946, qui restreignait la liberté de la presse en Algérie. Le Conseil d’Etat avait en effet estimé que ce texte ne rentrait pas dans le cadre de « l’expédition des affaires courantes », le gouvernement de l’époque ayant démissionné la semaine auparavant.

« Cela veut dire qu’il [le gouvernement] ne peut prendre que des décrets et des arrêtés, qui se bornent à la simple application des lois déjà existantes », expliquait Vincent Couronne, fondateur des Surligneurs, média de fact-checking juridique, sur le plateau de Public Sénat, ce lundi.

Pas de limite de temps

Cependant, tant que le président de la République n’a pas signé le décret mettant fin aux fonctions du Premier ministre, celui-ci garde « pleine compétence » de ses attributions, d’après une jurisprudence du Conseil d’Etat en 1966. « Le gouvernement démissionnaire garde compétence, jusqu’à ce que le Président de la République ait pourvu, par une décision officielle, à son remplacement, pour procéder à l’expédition des affaires courantes ». 16 ans plus tard, la haute juridiction administrative a confirmé sa position en précisant que le plein exercice des compétences du gouvernement s’étalait « jusqu’au lendemain de la publication au Journal Officiel » de ladite démission. En d’autres termes, Gabriel Attal est toujours Premier ministre de plein exercice.

Une théorie juridique à nuancer au regard de la réalité politique selon la constitutionnaliste, Anne-Charlène Bezzina : « Ce n’est pas un refus de démission, c’est seulement un Président qui n’a pas signé le décret de fin de fonction », explique-t-elle. « C’est politiquement qu’il [Gabriel Attal] est dans les affaires courantes. Que peut faire le gouvernement aujourd’hui face à une Assemblée au sein de laquelle il est mis en minorité ? », interroge-t-elle. Pour la maître de conférences en droit public, le domaine des affaires courantes relève en réalité de tout ce qui concerne « des actes administratifs classiques et des urgences nationales ».

Et pour les (toujours) ministres élus députés ?

Le Président de la République n’ayant toujours pas accepté la démission de Gabriel Attal, il n’a également (par analogie), pas accepté la démission de son gouvernement. Une configuration assez ubuesque qui interroge sur le devenir des ministres, élus à la députation, à l’image de Gérald Darmanin, Marc Fesneau ou encore le Premier ministre même, élu dans les Hauts-de-Seine.

La loi organique du 13 janvier 2009 interdisant à un membre de l’exécutif à faire partie également du pouvoir législatif, les (toujours) ministres ne peuvent pas s’inscrire en leur nom dans un groupe politique, cette responsabilité échéant à leur suppléant. Si Emmanuel Macron n’a toujours pas accepté la démission du gouvernement au 18 juillet, celui-ci pourrait alors s’exposer au vote d’une motion de censure à l’Assemblée, qui le renverserait de facto. « Cela ressemble plus à une fiction de continuité », tempère Anne-Charlène Bezzina, pour qui « une démission personnelle de ministre ne met pas en cause la démission du gouvernement ». Avant d’ajouter : « Qu’il y ait ces ministres, qui se présentent en tant que membres de l’Assemblée prouve que le gouvernement est en train de mourir doucement », analyse-t-elle.

Mais n’est-ce pas dans les périodes de crise politique que la solidité des institutions prend toute sa mesure ? Elles qui ont survécu à une tentative de putsch, une motion de censure, trois cohabitations, et une majorité relative, sauront-elles se montrer flexibles à ce contexte incertain ? « Sans doute, d’autres circonstances et d’autres hommes donneront-ils plus tard à son application un tour, un style plus ou moins différents. Sans doute l’évolution de la société française nous amènera-t-elle, en notre temps de progrès, de développement et de planification, à reconsidérer l’une de ses dispositions », songeait encore le général de Gaulle, dans cette même conférence de presse de 1964.

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