Législatives : comment comprendre les résultats des sondages (et sont-ils fiables) ?

Législatives : comment comprendre les résultats des sondages (et sont-ils fiables) ?

La NUPES donnée en tête dans certaines intentions de vote mais la majorité présidentielle devant, en nombre de sièges. Ce décalage s’explique par le mode de scrutin des législatives. Mais selon le professeur de droit public, Benjamin Morel, « il faut beaucoup se méfier » de ces sondages. Jean-Daniel Levy, d’Harris interactive, le reconnaît lui-même : faire des sondages sur les législatives « est très difficile », « il faut prendre ces données avec de multiples précautions ».
François Vignal

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Avec les sondages sur les législatives, tout le monde est gagnant, ou presque. La NUPES (Nouvelle union populaire écologique et sociale) peut crier victoire, quand elle est placée en tête des intentions de vote. Comme la majorité présidentielle, donnée majoritaire en nombre de sièges. Comment expliquer ce décalage ? Et ces sondages sont-ils fiables ?

Dans la dernière étude Harris Interactive et Toluna pour Challenges, la NUPES est donnée en tête, avec 29 % d’intensions de vote au plan national, contre 26 % pour Ensemble ! (la confédération de Renaissance/LREM, du Modem et d’Horizons). Mais la projection en sièges, dans l’hémicycle, donne la majorité absolue à la majorité présidentielle (300 à 350 sièges) contre 108 à 172 sièges pour l’ensemble des composantes de l’union de la gauche.

Selon la dernière vague du baromètre OpinionWay-Kéa Partners pour Les Echos, la majorité présidentielle est certes en tête, à 27 %, pour les intentions de vote, mais suivie de près par la NUPES, à 24 %. En sièges, de nouveau, le camp macroniste est donné devant, entre 310 et 350 députés, contre une fourchette entre 140 et 170 sièges pour le total de la gauche.

« Le scrutin majoritaire à deux tours induit une prime aux formations qui sont dans les systèmes d’alliance »

Ce décalage s’explique par la nature même du mode de scrutin. Les élections législatives sont un scrutin uninominal à deux tours. Pour se maintenir au second, il faut faire au moins 12,5 % des inscrits. Autrement dit, avec 50 % d’abstention, il faut faire un score de 25 % pour pouvoir se maintenir.

« Le scrutin majoritaire à deux tours induit une prime aux formations qui sont dans les systèmes d’alliance », explique Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université de Paris II. Si bien qu’« avec 25 % des votes, on peut avoir 60 % des sièges ». Si le scrutin était 100 % proportionnel, sur liste nationale, l’hémicycle serait en revanche la parfaite image des résultats. Dans son programme, Emmanuel Macron s’est engagé à introduire une dose de proportionnelle. Mais pour l’heure, il n’y en a pas du tout. Avec cette prime aux alliances, qui permettent d’être au plus haut au premier tour, la NUPES et Ensemble peuvent logiquement en profiter.

Les effets de la « tripolarisation »

Un autre point va influer les résultats : « La tripolarisation » actuelle. « Avec un pôle de gauche, dominé par LFI, un pôle de droite déstructuré, mais dominé par le RN, et un pôle centriste, avec Ensemble, vous avez un avantage structurel pour le parti centriste. Si la NUPES est face à LREM, la droite votera probablement LREM. Si Ensemble se retrouve face au RN, la gauche va faire le castor », explique le professeur de droit, autrement dit, faire barrage à l’extrême droite. Benjamin Morel continue :

On est face à un double phénomène de castorisation de la vie politique. Les castors de droite permettent de battre Mélenchon et les castors de gauche permettent de battre Le Pen.

Résultat, « l’état de l’électorat est assez étonnant. Celui qui gagne le premier tour peut se retrouver sévèrement battu au second », ajoute le spécialiste de droit public. « Au deuxième tour, il peut y avoir des difficultés à voter pour des candidats soutenus par Mélenchon, notamment parce qu’il propose des choses qui heurtent parfois une partie de l’électorat de gauche traditionnelle d’un côté, comme un autre type d’électeurs qui appelle à se mobiliser contre lui », ajoute de son côté Jean-Daniel Levy, directeur délégué d’Harris Interactive. Si bien que les candidats NUPES, du fait de l’alliance, « ont des possibilités d’être présents au second tour plus importantes, mais ça ne garantit pas forcément la victoire ».

Seuls facteurs qui pourraient faire évoluer les choses, selon Benjamin Morel : « La porosité des électorats, avec des RN qui se reporteraient sur le candidat de gauche par anti-macronisme » par exemple, ou « la multiplication des triangulaires, mais ce qui est improbable ».

« La gauche n’est pas assurée d’avoir un candidat NUPES au second tour dans toutes les circonscriptions »

Autre facteur qui impacte le résultat final : les scores de la gauche en général, et de Jean-Luc Mélenchon en particulier, qui a tendance à être plus élevé en zones urbaines. « Le score de Jean-Luc Mélenchon est très localisé. Il n’est pas étale sur la totalité du territoire. La gauche n’est pas assurée d’avoir un candidat NUPES au second tour dans toutes les circonscriptions », ajoute le sondeur d’Harris interactive.

On touche ici à la difficulté de faire des sondages sur les législatives. Car il ne s’agit pas d’un seul scrutin national, mais de 577 élections – soit le nombre de sièges – avec chacune ses protagonistes et ses enjeux locaux.

« Les projections en siège pour les législatives, je suis très dubitatif »

Benjamin Morel ne cache pas ses doutes sur leur fiabilité. « Autant je défends mordicus nos amis sondeurs pour la présidentielle. Autant les projections en siège pour les législatives, je suis très dubitatif », commence le maître de conférences en droit public. Il continue : « La projection en sièges, je ne sais pas par quel miracle ils arrivent à ça. C’est extrêmement compliqué car il y a à chaque fois les enjeux locaux ».

Autre difficulté, que soulève l’universitaire : « Si je déclare vouloir voter LR et que dans ma circonscription, il n’y a pas de candidat LR, je fais quoi ? ». Ces sondages sur les législatives, « il faut beaucoup s’en méfier. Car une des difficultés des sondages aujourd’hui, c’est d’évaluer l’abstention. Et la question sera le taux de participation. Celui de l’électorat RN peut changer fondamentalement la donne », ajoute encore Benjamin Morel. C’est la fameuse question de l’abstention différentielle. Le camp qui mobilise plus ses électeurs que l’autre peut l’emporter, ou du moins gagner des points. Or en la matière, « l’électorat de LREM, avec des CSP + et des personnes âgées, est structurellement peu abstentionniste », souligne le professeur de droit public. De l’autre côté, « la force de Mélenchon est d’avoir donné le sentiment qu’il n’avait pas perdu et qu’il pouvait gagner », « c’est extrêmement intelligent ». Et permet de mobiliser un électorat de gauche qui aurait pu lâcher l’affaire. Benjamin Morel reconnaît cependant que les sondages permettent, sur les législatives, de « donner une forme de tendance ».

« On travaille sans connaître l’offre réelle dans chacune des circonscriptions »

Jean-Daniel Levy le reconnaît lui-même : faire des sondages sur les législatives, « c’est très difficile ». Le sondeur d’Harris interactive prévient qu’« il faut prendre ces données avec de multiples précautions. Les intentions de vote, pour notre dernier sondage, ont été réalisées dans un contexte où on ne connaissait pas la première ministre encore. De plus, on travaille sans connaître l’offre réelle dans chacune des circonscriptions. De ce fait, on n’arrive pas à tenir compte de la spécificité de l’ancrage local. Et on a un scrutin majoritaire à deux tours », comme évoqué plus haut.

Comment les sondeurs font-ils pour extrapoler des intentions de vote en nombre de siège ? « On tient compte des législatives de 2017, de la présidentielle de 2017 et 2022. On regarde comment se comportent les électeurs au premier tour dans chacune des circonscriptions, et après, on a une ou deux configurations de second tour qui apparaissent comme probables. Et on interroge les électeurs sur leur choix entre NUPES et LREM par exemple », détaille le sondeur. Jean Daniel Levy insiste : « C’est un travail à prendre avec précaution. C’est pour cette raison qu’il y a des fourchettes ».

Autre biais : les sondages « mésestiment la manière dont la campagne va se dérouler. Et ça mésestime ce qu’il peut se passer dans l’entre-deux tours », souligne le sondeur. Dans ces conditions, peut-il y avoir des surprises, avec une majorité de sièges pour la NUPES, comme en rêve Jean-Luc Mélenchon ? « Bien sûr, il peut y avoir des surprises ». Dans tous les sens.

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