Elections in France: Campaign Poster of Jordan Bardella, Saint-Clã©ment, Auvergne Rhã´ne-Alpes – 30 Jun 2024

Législatives : après les désistements, le RN peut-il encore décrocher la majorité absolue ?

Avec plus de 220 désistements de candidats qualifiés pour le second tour des législatives en faveur du barrage républicain, la possibilité pour le Rassemblement national d’atteindre la majorité absolue dans la prochaine assemblée s’amenuise. Néanmoins, le parti de Marine Le Pen peut encore espérer se maintenir suffisamment haut pour faire l’appoint de sièges avec d’éventuels débauchages à droite.
Romain David

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En 24 heures, le nombre record de triangulaires et quadrangulaires annoncées pour le second tour des législatives a fondu comme neige au soleil. Les appels à faire barrage au Rassemblement national, formulés dès l’annonce des résultats du premier tour dimanche 30 juin, par les partis du bloc de gauche et de manière plus confuse du côté de la majorité présidentielle, semblent avoir fonctionné à plein. Alors que 311 circonscriptions ont vu 3, voire 4 candidats se qualifier pour le second tour, à la clôture des candidatures mardi soir, 224 s’étaient officiellement désistés, selon un décompte réalisé par le journal Le Monde. Le nombre de triangulaires attendues tombe ainsi à 89, et à deux pour les quadrangulaires. Ces chiffres dépassent néanmoins le record de 1997 : 79 triangulaires, dont 76 avec un candidat du Front national.

Le 30 juin, le RN s’est qualifié pour le second tour dans 485 circonscriptions sur 577, dont 258 où il est arrivé en tête. Le parti à la flamme tricolore a fait élire 38 candidats dès le premier tour, 39 en comptabilisant les soutiens d’Éric Ciotti, le patron des LR qui a rallié Marine Le Pen. Hormis ce premier contingent, le RN dépasse les 40% dans 141 circonscriptions, ce qui a priori laisse de bonnes chances à ces candidats d’être élus.

Théoriquement, la réduction du nombre de triangulaires devrait enclencher un report de voix en direction du compétiteur le mieux placé pour battre le candidat RN. L’objectif : tenter d’enrayer la très forte dynamique du parti, et le tenir éloigné du chiffre fatidique des 289 sièges, le seuil à franchir pour décrocher une majorité absolue à l’Assemblée nationale et ainsi avoir les coudées franches pour gouverner.

Le barrage républicain, un calcul politique aux multiples inconnues

La plupart des projections réalisées avant le premier tour accordaient un maximum de 270 à 280 sièges au RN, complétés par 20 à 30 députés ciottistes, ce qui laissait espérer un carton plein aux soutiens de Marine Le Pen et Jordan Bardella. La réduction drastique du nombre de triangulaires vient nécessairement bousculer cette hypothèse. Pour autant, l’efficacité du barrage républicain est déterminée par une équation à deux inconnues : il implique d’une part que les candidats, dans chaque circonscription, suivent la consigne de désistement formulée par les états-majors – ce qui semble avoir été largement le cas -, et d’autre part que les électeurs acceptent de voter pour un candidat qui n’est pas nécessairement celui pour lequel ils ont voté au premier tour.

« Le comportement des électeurs dont le candidat a été éliminé à l’issue du premier tour ou se sera désisté reste très hésitant. Dans tous les cas cependant, ce sont les reports de voix du Nouveau Front populaire vers Ensemble et d’Ensemble vers le Nouveau Front populaire qui feront, ou non, le basculement du Parlement », écrivent dans une tribune commune publiée par Le Monde les politistes Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen.

Peut-on anticiper le comportement de ces deux types d’électorat ? La forte territorialisation des législatives et les enjeux locaux brouillent les cartes, néanmoins des reports de votes opérés lors des dernières législatives, en 2022, apportent différents éléments de comparaison.

Il y a deux ans, le RN s’était qualifié au second tour dans 206 circonscriptions. Un sondage Harris Interactive réalisé à la sortie des urnes montre que dans les circonscriptions concernées par un duel entre le camp présidentiel et le RN, 31 % des électeurs de la Nupes se sont tournés vers le candidat macroniste, 24 % vers celui du Rassemblement national et 45 % avaient préféré s’abstenir. Inversement, dans les circonscriptions opposant un candidat Nupes au Rassemblement national, 34 % des électeurs macronistes ont soutenu le candidat de gauche, et 18 % celui du Rassemblement national. Néanmoins, 48 % des soutiens d’Emmanuel Macron s’étaient abstenus.

On observe ainsi, à quelques points près, un comportement parallèle entre les électeurs de gauche et ceux de la majorité lorsqu’ils sont confrontés à un second tour où leur candidat n’est plus représenté et le RN en mesure de l’emporter : un peu plus de 30 % font barrage, près de 50 % refusent de s’exprimer et les 20 % restants se rabattent tout de même sur le RN.

L’abstention différentielle, clé du scrutin ?

Deux ans plus tard, ces équilibres pourraient être complètement bousculés par l’imminence d’une arrivée au pouvoir du Rassemblement national, ce qui n’était pas le cas en 2022. Mais aussi par les péripéties politiques des 24 derniers mois. L’adoption au forceps de la réforme des retraites, puis de la loi immigration, a braqué un peu plus les sympathisants de gauche contre la macronie, tandis que les positions affichées par LFI sur le conflit israélo-palestinien ont semé le trouble au sein de la gauche, et rendu de nombreux insoumis infréquentables aux yeux d’une large partie de la majorité présidentielle.

Une enquête Ipsos Talan réalisée pour France Télévisions, Radio France et Public Sénat, réalisée juste avant le premier tour, montre que le Nouveau Front Populaire n’est pas considéré par les électeurs comme un bloc monolithique, et l’étiquette politique du candidat pèse aussi dans la mise en place du barrage républicain : face au RN, 40 % des électeurs voteraient pour un candidat issu du Parti socialiste, 38 % s’il venait d’EELV et 32 % s’il appartenait à la France Insoumise.

Pour le politologue Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS, le second tour risque d’être en partie marqué par « une forte abstention différentielle », c’est-à-dire l’abstention de catégories spécifiques d’électeurs, qui ne se satisfont pas du choix qui leur est laissé. « Les électeurs de gauche qui n’ont pas apprécié l’alliance avec LFI pourraient s’abstenir lorsqu’ils auront à voter pour un insoumis ; chez certains LR, le ni-ni risque de l’emporter dans un duel LFI-RN, et les macronistes pourrait refuser de soutenir une gauche qui ne manquera pas de mettre en difficulté le président de la République », énumère-t-il. Il évoque également le rôle charnière des électeurs centristes et de centre-droit, opposés au RN, « mais qui ont peur du programme fiscal du NFP qui vise les catégories moyennes et supérieures, précisément celles auxquelles ils appartiennent ».

La possibilité d’une sur-mobilisation en faveur du RN

En parallèle, les appels à faire barrage peuvent aussi s’avérer contreproductifs, en provoquant une sur-mobilisation des soutiens du RN. « Il y a eu plus de 30 % d’abstentionnistes au premier tour, avec une sociologie qui correspond notamment à celle des électeurs du RN : généralement des personnes défavorisées avec un faible niveau d’étude », relève encore Luc Rouban. Le scrutin risque donc d’être déterminé par une dynamique de flux, dont il est encore difficile de savoir de quel côté elle va pencher, « entre un flux entrant d’abstentionnistes du premier tour, et un flux sortant d’électeurs écœurés, notamment devant la possibilité d’une coalition contre nature entre la gauche radicale et la majorité ».

« Il peut y avoir un fort agacement sur la question système/antisystème. On a le sentiment, depuis le soir du premier tour, que l’on est en train de rejouer le match FN/UMP-PS des années 2000. Le système politique réagit pour contrer l’option alternative que représente l’extrême droite, pourtant plébiscitée par dix millions d’électeurs. Pour sauver la démocratie, le Nouveau Front républicain flirte avec le déni démocratique », analyse Virginie Martin, professeure chercheuse à Kedge Business School. « Cela peut consolider le vote RN et, au-delà, provoquer un véritable vote de colère ».

L’hypothèse d’un bloc de gouvernement

Pour Luc Rouban, le RN et ses alliés peuvent encore espérer atteindre « 260 à 270 sièges ». « S’ils tombent à moins de 200 sièges, ce sera un échec. À 250, on pourra parler d’une double victoire : pour le Rassemblement national qui aura pratiquement triplé son nombre d’élus, mais aussi pour le Nouveau Front populaire qui aura réussi à les tenir suffisamment éloignés de la majorité absolue pour les empêcher de gouverner », relève Virginie Martin.

« Si vous avez 250 députés, c’est-à-dire peu de chances de faire adopter le moindre texte, il ne sert à rien de faire de la figuration. C’est à regarder au cas par cas, mais il y a un seuil où, je pense, cela devient gouvernable », a déclaré Louis Aliot sur France Inter au lendemain du premier tour. Si Jordan Bardella a d’abord indiqué ne pas vouloir rentrer à Matignon en l’absence de majorité absolue, le discours tenu par différents responsables du RN est plus nuancé depuis le 30 juin, même si l’objectif affiché reste les 289 sièges. Toujours sur France inter, Marine Le Pen a évoqué la possibilité d’un appoint avec le soutien d’une partie des LR, « dont certains ont exprimé par le passé une proximité avec nos options ».

La dissolution a provoqué au sein de la droite un premier moment de clarification, avec le ralliement d’Éric Ciotti et d’une soixantaine de candidats LR. Faut-il s’attendre à une nouvelle saignée au soir du second tour ? « Cela dépendra du quantitatif, c’est-à-dire du nombre de députés que parviennent à faire élire les LR [ils étaient 61 avant la dissolution, ndlr], mais aussi du qualitatif », pointe Virginie Martin. « Il peut y avoir des rapprochements sur certains sujets régaliens, moins sur les questions sociales et économiques », explique cette politologue qui imagine mal, par exemple, une personnalité comme Aurélien Pradié, qui se réclame d’une droite sociale et qui a annoncé quitter les LR, franchir le Rubicon.

À rebours, Julien Aubert, le vice-président des Républicains – qui n’est pas candidat aux législatives – n’exclut pas la possibilité d’une alliance. « À partir du moment où le RN présenterait un programme de droite, la droite, si elle est d’accord avec un certain nombre [de mesures], devrait assumer », a-t-il déclaré sur BFMTV. « Si le RN est autour de 270 députés le soir du 7 juillet, tout se jouera entre 20 heures et minuit pour savoir s’ils y vont ou non », prédit Virginie Martin.

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