Les retraits de candidats, en vue de faire barrage au Rassemblement national au second tour des législatives, se sont poursuivis tout au long de cette journée du 2 juillet. Sur les 306 triangulaires qui se sont dessinées à l’issue premier tour, plus de 200 se transforment en duels, selon des décomptes encore provisoires. Ce « front républicain » redonne des marges de manœuvre aux candidats du Nouveau Front populaire ou aux candidats du camp présidentiel pour espérer l’emporter face au Rassemblement national, arrivé le plus souvent en tête le 30 juin. Mais cette stratégie de l’entre-deux-tours ne doit pas masquer une réalité : ce sont les électeurs qui détiennent la clé du scrutin dimanche.
Rien ne dit que les électeurs d’un candidat, qui s’est retiré, vont se reporter d’un seul ensemble vers l’adversaire du candidat RN. Les enquêtes d’opinion réalisées le jour du second tour des élections législatives de juin 2022 ont documenté des comportements très variables. Selon un sondage Harris Interactive du 19 juin 2022, parmi les électeurs de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) du premier tour, 45 % se sont abstenus en cas de duel entre le RN et la majorité présidentielle, contre 31 % choisissant le candidat d’Emmanuel Macron et 24 % le candidat RN. Un sondage de Cluster 17 anticipe également cette année une abstention du même ordre, dans ce type de configuration, mais l’enquête a été réalisée avant le premier tour.
En 2022, un électeur sur deux de la majorité présidentielle s’était abstenu en cas de duel entre la gauche et le RN
Pour les électeurs du premier tour d’Ensemble (la majorité présidentielle), en cas de duel NUPES-RN, 48 % ont décidé de s’abstenir au second tour en 2022, 34 % ont fait le choix de la NUPES et 18 % ont choisi le RN. Les électeurs de LR se sont montrés également très partagés dans les duels entre la NUPES et le RN : 37 % affirment s’être abstenus, 36 % ont choisi le candidat de gauche, et 27 % le RN. Ces chiffres montrent que la notion de front républicain n’est pas absolue.
La forte progression des bulletins blancs ou nuls d’un tour à l’autre (7,64 % au second tour, soit plus de trois fois qu’au 1er tour) témoignent aussi de la volonté de nombre d’électeurs ne refuser de trancher entre deux finalistes dans lesquels ils ne se reconnaissent pas.
Autre donnée importante tirée de l’expérience de 2022, élection marquée par une participation bien moins importante qu’en 2024 : les écarts entre les deux candidats d’une législative ne se sont réduits que marginalement au second tour, nous enseigne un article cosigné par Bernard Dolez, professeur de sciences politiques à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Annie Laurent, directrice de recherche émérite au CNRS. « Les deux candidats restant en lice progressent de manière sensiblement égale en pourcentage des inscrits ou, pour dire les choses autrement, gagnent un nombre voisin de voix d’un tour à l’autre », écrivent les deux politologues. Selon leurs données, dans les duels Ensemble-RN, un candidat Ensemble a gagné en moyenne 7900 voix d’un tour à l’autre, contre 6900 voix pour son adversaire RN. Dans les duels NUPES-RN, un candidat NUPES progresse en moyenne de 6100 voix, et celui du RN de 6800 voix. « Le second tour atteste d’une faible fluidité électorale entre trois blocs électoraux désormais équidistants », résument les deux auteurs de l’étude.
« La victoire s’offre dans 80 % des cas au candidat arrive en tête au premier tour », notaient deux politologues en 2022
L’étude des résultats les ont également amenés à un autre constat : « la victoire s’offre dans 80 % des cas au candidat arrive en tête au premier tour. Le second ne parvient à combler son retard qu’une fois sur cinq. » Pour rappel, le 30 juin, le RN est arrivé en tête dans 297 des 577 circonscriptions (110 en 2022).
Cependant, il convient de prendre des précautions avant de transposer les exemples du passé dans la situation actuelle. « On est dans une situation fondamentalement différente. En 2022, la question n’était pas de savoir si le RN allait accéder au pouvoir, mais qui pouvait obtenir une majorité entre Ensemble et la NUPES, ça ne favorisait pas vraiment les reports », rappelle Mathieu Gallard, directeur d’études à Ipsos France.
Le niveau de la participation pourrait être un premier indicateur dimanche matin et après-midi pour savoir si la réduction de l’offre politique au second tour a conduit certains électeurs orphelins à bouder les urnes. « Il y a d’abord les gens qui se sont abstenus dimanche, qui peuvent rentrer dans le jeu. Et à l’inverse, des gens qui ont voté au 1er tour, qui peuvent estimer que l’offre proposée entre deux extrêmes ne leur convient pas, et qui s’abstiendront », prévient toutefois Pierre Bréchon, professeur émérite de science politique à Sciences Po Grenoble. Le politologue apporte aussi une autre nuance : « Quand il n’y a pas désistement, et qu’il y a triangulaire, on n’est pas non plus obligé de refaire exactement que la première semaine. L’électeur est de plus en plus mobile. »
Les électeurs d’Ensemble moins enclins à voter pour LFI que pour le PS ou les écologistes
Pierre Bréchon note également que la sensibilité du candidat Nouveau Front populaire en lice sera une donnée importante pour l’électeur macroniste. « Il se reportera plus facilement pour un candidat de gauche modérée, un écologiste, voire un communiste, qu’un candidat LFI. »
C’est ce que soulignait une enquête Ipsos Talan réalisée pour France Télévisions, Radio France et Public Sénat, à la veille du premier tour des législatives. Dans l’hypothèse d’un second tour opposant le Nouveau Front populaire contre le RN, les électeurs proches d’Ensemble seraient 40 % à voter pour un candidat PS, 38 % pour un candidat écologiste, mais seulement 32 % pour un candidat de la France insoumise.
Autant de déperditions qui pourraient coûter cher aux partisans du « front républicain », dans les circonscriptions où le RN a dépassé les 40 % des voix au premier tour.