Le sénateur PCF Eric Bocquet quitte le Sénat : « Il faut continuer à éveiller les consciences sur la finance »

Sénateur du Nord depuis 2011, le communiste Eric Bocquet annonce démissionner de son mandat. Une décision « mûrement réfléchie », assure l’élu. « Le Sénat est une belle maison », salue Eric Bocquet, qui revient sur ses travaux contre la fraude et l’évasion fiscale.
François Vignal

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Quand nous étions partis sur les routes du Nord, pour suivre Eric Bocquet en campagne pour les sénatoriales, en septembre 2023, nous n’imaginions pas que le sénateur communiste allait raccrocher les gants, un peu plus d’un an après. « Il faut savoir passer la main » à « la génération suivante », dit aujourd’hui cette figure de la Haute assemblée. Ce spécialiste de la finance mondialisée, de l’évasion, de la fraude fiscale et des paradis fiscaux revient sur ses 13 riches années de mandat. Celui qui avait pour habitude de fumer son cigare, quand on le croisait autour du Palais du Luxembourg, va visiblement manquer à ses collègues. « Comment on va faire ? Toi, je ne te parle plus », lui lance une sénatrice centriste, visiblement surprise de la nouvelle, quand elle le voit ce mardi, salle des Conférences. « C’est un gars bien », sourit un autre, qui n’est pas de son bord politique non plus. Entretien (images d’Antoine Joubeau).

Vous avez décidé de démissionner, un an après votre réélection comme sénateur du Nord. Pourquoi cette décision ?

Elle était mûrement réfléchie. Je savais que j’entamais mon dernier mandat et que je passerai la main à un collègue plus jeune, la génération suivante. Dans ma tête, c’était clair. J’en ai informé mon groupe cet été, la commission des finances la semaine dernière, le Président Larcher bien sûr. Les choses se passent dans la tranquillité et la sérénité, sans difficulté aucune. Il faut savoir passer la main.

Mon successeur s’appelle Alexandre Basquin, maire d’Avesnes-les-Aubert, commune de 3.600 habitants, dans le Cambrèsis, le sud du Nord. Il a été mon collaborateur parlementaire depuis le début, il connaît très bien notre assemblée, son fonctionnement et les collectivités. Donc il sera opérationnel immédiatement, à son arrivée ici, le 2 novembre.

En vous représentant en septembre 2023, est-ce qu’il s’agissait aussi de conserver les deux sièges détenus par le PCF dans le Nord ?

Oui, il y avait cet enjeu, les choses n’étaient pas acquises arithmétiquement. Il fallait tirer la liste pour essayer de conserver nos deux sièges dans le Nord. C’est ce qu’on m’a demandé de faire. On a réussi ce pari. Alexandre Basquin était au troisième rang sur la liste, en sachant qu’il arriverait au Sénat dans les mois ou années qui suivraient.

Vous vous êtes spécialisé sur la finance, avec des commissions d’enquête du Sénat sur la fraude et l’évasion fiscale. Puis il y a eu en 2016 le livre Sans domicile fisc, écrit avec votre frère, Alain Bocquet. En 13 ans de mandat, avez-vous constaté des progrès ?

Personnellement, ça a été une expérience extrêmement enrichissante, une formation accélérée. J’étais sénateur depuis 3 mois, quand je me suis retrouvé rapporteur de cette commission d’enquête. Et ça m’a catapulté dans ce monde dont j’ignorais tout. Est-ce que les choses ont évolué ? Je pense que les choses sont dans le débat public. C’est une bonne chose. Lors du mouvement des gilets jaunes, en 2018, il y avait sur leurs pancartes, « rétablissement de l’ISF », mais aussi les paradis fiscaux, l’évasion fiscale. J’ai trouvé ça intéressant. Il y a eu des rapports parlementaires, des journalistes d’investigation. Le sujet est connu, aujourd’hui, c’est documenté. Maintenant, il faut faire monter la volonté politique pour s’attaquer radicalement à ce scandale. Michel Barnier cherche des milliards partout. Là, il y a un gisement intéressant à exploiter.

Mais l’argent, la finance, n’a-t-elle pas un temps d’avance sur le politique, la régulation ?

C’est un problème de volonté politique. Par exemple, Gérald Darmanin avait proposé de lancer un observatoire de la lutte contre la fraude fiscale, en 2018. J’avais d’ailleurs candidaté à titre bénévole. Cet observatoire n’existe pas, il n’a pas vu le jour. A l’époque, il avait dit qu’il n’avait pas été créé, car il n’avait pas trouvé de président. C’était en 2018, on est 6 ans plus tard. Donnons-nous un outil pour évaluer, en mettant dans le coup les services fiscaux, des parlementaires, des ONG, des syndicalistes, qui sont pertinents pour donner un chiffre fiable sur la fraude fiscale. Il faut bien désigner l’adversaire.

Vous avez aussi suivi de près la question des paradis fiscaux…

Oui, un autre sujet. Quand l’Union européenne dit qu’il n’y a pas de paradis fiscal en son sein, et bien le problème est réglé. Autrement dit, quand vous dites cela, il n’y a pas lieu de s’attaquer aux paradis fiscaux. Et bien si, il y a des paradis fiscaux dans notre continent. On peut parler de l’Irlande, du Luxembourg, avec 55.000 sociétés offshore qui détiennent ensemble 6.500 milliards d’euros d’actifs. Qu’est-ce qu’on a fait depuis ?

Les sujets sont connus. Il y a un scandale de temps en temps qui nous rappelle l’existence de ce phénomène, cette industrie. Mais la volonté politique n’est pas à la hauteur voulue. Donc il faut continuer à éveiller les consciences, à informer, pour faire monter la mayonnaise. Et que la pression impose au gouvernement d’agir radicalement sur ce sujet.

Vous vous êtes confronté au lobby bancaire, qui est puissant. A la suite des commissions d’enquête sur la fraude et l’évasion fiscale, il se trouve que vous avez eu du mal à obtenir un prêt auprès d’une banque, pour les sénatoriales de 2017…

Oui, j’ai eu du mal à trouver un compte pour ma campagne, effectivement. J’étais client d’une banque depuis 30 ans. On n’a pas voulu m’ouvrir un compte. C’était après les rapports. Est-ce qu’il a eu un lien ? Je n’en sais rien. Je n’ai aucune preuve. Mais oui, j’ai vécu ce petit incident.

Il y a aussi le cas de Frédéric Oudéa, ancien PDG de la Société Générale, qui avait été auditionné par l’une des commissions d’enquête. Puis quand arrive ensuite le scandale des Panama Papers, vous l’avez suspecté de faux témoignage. Pouvez-vous rappeler ce qu’il s’était passé ?

On avait eu l’occasion d’auditionner Frédéric Oudéa, lors de la première commission enquête, en avril 2012. Et je me souviens, Monsieur Oudéa avait dit, « ma banque, la Société Générale, n’a plus aucune activité au Panama. Et on apprend 4 ans plus tard, au moment des révélations sur les Panama papers, avec Elise Lucet, Le Monde et tout un consortium de journalistes, que la Société Générale, via sa filière du Luxembourg, avait créé de mémoire 649 sociétés offshore au Panama. J’ai demandé que le bureau du Sénat soit saisi pour statuer sur sa situation. Malheureusement, le bureau n’a pas donné suite, n’a pas transmis le dossier à la justice. Et ça s’est arrêté là.

Cela dit, la commission des finances a auditionné Monsieur Oudéa le 11 avril 2016, ce qui était d’ailleurs diffusé par Public Sénat. J’ai posé 5 questions précises à Monsieur Oudéa. Et je n’ai pas eu de réponse. Il me dit, « Monsieur le sénateur, vos questions sont embarrassantes », et se tournant vers la présidente de la commission des finances, Michèle André à l’époque (une socialiste, ndlr), il dit « Madame la présidente, je ne pensais pas que nous reviendrions sur ces sujets ». Voilà, fermez le banc.

Comment expliquez-vous ce choix du bureau du Sénat, à l’époque, de ne pas transmettre à la justice le cas de Frédéric Oudéa ?

Peut-être qu’il a fallu sauver le soldat Oudéa. C’est révélateur de la prégnance du monde de la finance dans cette société. Je me souviens, j’ai des collègues qui me disaient, « attention, la Société Générale est une grande banque ». Oui, mais une banque qui triche, ce n’est pas bien, qui vole des sous à la République, qui nous met en difficulté, ce n’est pas acceptable. Je sais qu’il y a eu une majorité de collègues qui ont souhaité ne pas transférer le dossier à la justice. Ça, ça m’a beaucoup marqué.

Quelle image du Sénat aviez-vous en arrivant, et quelle est-elle aujourd’hui, après 13 ans de mandat ?

Je le connaissais par le groupe communiste, je suivais son actualité. Mais quand je suis arrivé au Sénat, j’avais mes convictions et après ces 13 années passées au Sénat, au sein de la commission des finances notamment, ces convictions sont devenues des certitudes, quant à la marche du monde, la domination de la finance sur la société. J’ai appris ça. Ça m’a édifié, ça m’a éclairé, ça m’a instruit. Et je suis plus fort aujourd’hui, dans ma tête, par rapport à ce sujet-là.

Si le débat d’idées peut être fort, l’ambiance n’est pas la même au Sénat qu’à l’Assemblée, notamment dans les relations entre majorité et opposition, gauche et droite. Quels sont vos rapports avec le président du Sénat, Gérard Larcher ?

J’ai d’excellents rapports, respectueux. Ils sont mutuellement respectueux. Je ne partage pas toutes ses idées. Quand il a pris position contre l’inscription de l’IVG dans la Constitution, c’est son droit, je le respecte. Nous n’avons pas la même position. Mais je lui reconnais cette qualité de bien gérer la maison Sénat. Le Sénat est une belle maison, qui travaille, qui produit, qui réfléchit, qui propose, qui fonctionne bien. Et je trouve qu’il est respectueux des petits groupes, il leur permet d’avoir leur fonctionnement et les moyens de fonctionner. Et ça, c’est précieux.

Je m’étais permis de l’inviter, l’an dernier, à l’inauguration de la nouvelle mairie, à Marquillies, dans le Nord (commune dont Eric Bocquet a été maire pendant 22 ans, ndlr). Et quand je lui ai fait la proposition, un an auparavant, il m’a dit oui tout de suite. On sortait des questions d’actualité au gouvernement, il m’a dit « je viens ». Et il est venu. C’était le 19 février 2023, Gérard Larcher à Marquillies, avec 9 sénateurs du Nord sur les 11, présents. Un grand moment qui a marqué le village.

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