Le Sénat vote la création d’un « livret d’épargne souveraineté » pour « soutenir l’industrie de défense »

La majorité sénatoriale a adopté, dans le cadre de l’examen du projet de loi de programmation militaire, la création d’un nouveau livret d’épargne, exonéré d’impôt et de prélèvement, afin d’aider le financement des PME du secteur de la défense, qui ont du mal à obtenir des prêts bancaires. Un « sujet majeur », selon le ministre Sébastien Lecornu, qui pointe cependant des difficultés « techniques ».
François Vignal

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Les armes coûtent (très) cher et les produire tout autant. Pour répondre aux difficultés de financement des petites et moyennes entreprises du secteur de la défense, le Sénat a créé un « livret d’épargne souveraineté », dans le cadre de l’examen du projet de loi de programmation militaire 2024-2030. Ajouté en commission par l’adoption d’un amendement du rapporteur LR, Christian Cambon, ce nouveau produit d’épargne a été adopté en séance, ce mercredi. Comme le livret A, il serait exonéré d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux.

« Une dimension pédagogique » et « même patriotique »

Il s’agit de répondre aux « grandes difficultés qu’ont les entreprises de défense. Pas les grandes, mais les petites, les moyennes, les sous-traitants, qui se voient de plus en plus refuser l’accès au système bancaire, notamment du fait des règles imposées par Bruxelles et par la frilosité du système bancaire », explique Christian Cambon, par ailleurs président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat (voir la première vidéo). Cette idée de nouveau livret d’épargne vient d’une proposition issue d’un rapport des sénateurs Pascal Allizard (LR) et Yannick Vaugrenard (PS).

Selon ce dernier, dans la période internationale actuelle, « c’est important de faire comprendre à l’ensemble de nos concitoyens que des efforts seront nécessaires, par l’intermédiaire de l’épargne », a défendu le socialiste. Pascal Allizard voit par ailleurs dans la création de ce livret « une dimension pédagogique » et « même patriotique ».

Il faut « retravailler les choses » car « Bercy a des doutes », souligne le ministre Sébastien Lecornu

Pour le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, cet « enjeu d’accès au financement bancaire », comme celui du cadre européen, sont des « sujets majeurs ». « On ne peut pas nier qu’il y a une difficulté », souligne le ministre. Le « signal » envoyé par la commission lui « semble évidemment aller dans le bon sens », surtout « quand on voit que certaines entreprises ont des difficultés à avoir accès aux produits bancaires car ils travaillent en lien avec la dissuasion nucléaire, et on ne peut pas aider des entreprises qui seraient en lien avec des armes, je cite, « de destruction massive » ». Regardez :

S’il défend l’adoption de la mesure pour que la réflexion puisse se prolonger jusqu’à la commission mixte paritaire, il faut néanmoins « sans doute » « retravailler les choses », admet le ministre, appelant à un « vrai travail avec Bercy », le ministère de l’Economie. Sébastien Lecornu ajoute : « Est-ce que ça fonctionne ? Bercy a des doutes, pour des raisons non pas d’opportunité politique, mais techniques. Est-ce que c’est comme ça qu’il faut s’y prendre ou par un autre biais ? Peut-être ».

« Aucune étude d’impact » et un risque « d’effet d’éviction » au détriment du livret A, craint l’écologiste Guillaume Gontard

Les communistes et les écologistes ont tenté, en vain, de supprimer ce livret. « Vous voulez prendre une partie de l’épargne populaire pour financer l’industrie de défense. (…) Rien ne dit que ça servira pour des dépenses de souveraineté. Ça financera des industries de défense dont le modèle économique revendiqué (…) sont les exportations d’armement », a dénoncé le sénateur PCF Pierre Laurent, y voyant une mesure « bancale, improvisée à la dernière minute ».

Cette mesure « n’est assortie d’aucune étude d’impact », a dénoncé de son côté le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard (voir la vidéo ci-dessus), qui craint des « effets d’éviction par rapport aux produits existant comme le livret A ou le livret développement durable (LDD). Le livret A finance largement les logements sociaux (…) et va aussi aux collectivités territoriales pour financer des projets d’investissement public, comme la construction d’infrastructures ou des équipements municipaux ». Une partie du LDD va par ailleurs à « la rénovation énergétique des logements ». L’écologiste souligne par ailleurs que « le taux de rémunération n’est pas précisé, et il existe un vrai risque de perte de capital, car aucune garantie du capital n’est mentionnée ». Le sénateur de l’Isère ajoute :

 Menacer le financement du logement social et de la transition écologique pour financer les industriels qui n’en ont aucunement besoin, ou pas de besoin spécifique, ne nous paraît pas acceptable. 

Guillaume Gontard, sénateur écologiste de l'Isère

« Des lobbys, j’allais dire extrémistes, bien financés »

La création de ce livret « n’a rien de bancal, ni d’improvisé, c’est simplement une réponse à une préoccupation », a rétorqué Christian Cambon, avant d’ajouter :

 Il faut arrêter les fantasmes. Le livret vise simplement à donner la possibilité à des Français qui veulent soutenir leur industrie de défense d’agir pour leur sécurité, d’investir dans un livret. 

Christian Cambon, président LR de la commission des affaires étrangères et de la défense

Cédric Perrin, sénateur LR qui n’hésite pas à prendre la parole pour défendre ce qu’on appelle la BITD (base industrielle et technologique de défense), monte à son tour au créneau. « On vit une situation paradoxale car depuis le 24 février 2022, et l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine, on aurait pu croire qu’un certain nombre de lobbys, j’allais dire extrémistes, bien financés, auraient commencé à comprendre que si on veut vivre dans un monde où le développement durable, la démocratie ou le développement de la société se font en bonne harmonie, il faudra a minima vivre dans une société en paix et sécurité. Et pour ça, il faut financer notre défense », soutient le sénateur du Territoire de Belfort.

« La réponse du ministre est claire. Le dispositif n’est absolument pas prêt », pointe le communiste Pierre Laurent

Des explications de la droite qui n’ont pas eu d’effet sur la gauche, qui n’en démord pas. « Après ces échanges, je ne suis pas rassuré, voire même moins rassuré », rétorque l’écologiste Guillaume Gontard. Le communiste Pierre Laurent ajoute pour sa part : « La réponse du ministre est claire. Le dispositif n’est absolument pas prêt ». Leurs amendements de suppression ont été rejetés et l’article portant la création du livret a été, lui, adopté.

Lire aussi >> Programmation militaire : Sénat et gouvernement alignés sur « l’ambition », pas sur le rythme de l’effort budgétaire

Dans la même thématique

Le Sénat vote la création d’un « livret d’épargne souveraineté » pour « soutenir l’industrie de défense »
2min

Politique

Retrait de la plainte de Noël Le Graët : « une décision sage et prudente » réagit Amelie Oudéa-Castera

A quelques jours de l’audience qui devait avoir devant la cour de justice de le République, Noël Le Graët, par la voix de son avocat a annoncé retirer sa plainte pour diffamation contre l’ancienne ministre des Sports. Invitée dans l’émission Sport etc, Amélie Oudéa-Castéra réagit en exclusivité à cette annonce au micro d’Anne-Laure Bonnet.

Le

G7 summit in Borgo Egnazia
6min

Politique

Nomination des commissaires européens : « On constate qu’Ursula von der Leyen ne peut pas se passer du soutien de Giorgia Meloni », note un spécialiste des partis européens 

La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.

Le

Le Sénat vote la création d’un « livret d’épargne souveraineté » pour « soutenir l’industrie de défense »
2min

Politique

Face au « désarroi » des collectivités, Karim Bouamrane, maire PS de Saint-Ouen, « appelle à la prise de conscience du premier ministre »

Alors que le gouvernement demande un effort budgétaire de 5 milliards d’euros aux collectivités – « 11 milliards » selon les élus – le socialiste Karim Bouamrane affirme que « Michel Barnier est totalement inconscient ». Le PS a organisé ce matin, devant le congrès des maires, un rassemblement pour défendre les services publics.

Le