Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Le Sénat adopte le projet de loi d’orientation et de programmation de la Justice
Par Simon Barbarit
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Lors d’un vote solennel, le Sénat a adopté cet après-midi par 231 voix contre 13 le projet de loi d’orientation et de programmation de la Justice pour la période 2023-2027. « Vous avez envoyé un signal fort à toutes les juridictions et à tous les établissements pénitentiaires de ce pays et je vous en remercie », a déclaré le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti à l’issue du scrutin.
Budget de la Justice en hausse : 10 000 recrutements et 15 000 places de prison
La semaine dernière, lors de l’examen et du vote des articles, Éric Dupond-Moretti avait défendu un texte qui devrait « tourner la page du délabrement et de la clochardisation de la justice française », en augmentant le budget annuel du ministère de la Justice de 9,6 milliards d’euros à 11 milliards d’ici 2027. Un effort budgétaire qui devrait permettre 10 000 recrutements et la construction de 15 000 places de prison supplémentaires. « Il y a 60 000 places et 73 000 détenus. Je ne vais pas libérer 13 000 détenus. Je veux assumer une réponse pénale ferme », avait déclaré le ministre de la Justice en séance.
Le Sénat a tenu à flécher plus précisément ces recrutements. Le projet de loi prévoyait en effet simplement la création d’au moins 1500 postes de magistrats et 1500 postes de greffiers sur le quinquennat. Les sénateurs ont modifié l’article premier pour mettre l’accent sur les greffiers, avec 1800 postes, ainsi que l’embauche de 600 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP).
Face à la pénurie de personnels pénitentiaires, le projet de loi prévoit aussi le recrutement de surveillants en qualité de contractuels pour une période de trois ans, renouvelable une fois. Les candidats devront être âgés entre 18 et 30 ans.
Réforme du code de procédure pénale
Le texte adopté par le Sénat habilite aussi le gouvernement à réformer le code de procédure pénale par ordonnance. Une mesure votée presque à contrecœur par les sénateurs. « Nous n’aimons pas transmettre notre compétence à légiférer au gouvernement. Néanmoins les travaux de codifications sont toujours fastidieux », avait rappelé la co-rapporteure du texte, Agnès Canayer (app-LR).
Le garde des Sceaux a tenu à apporter des garanties avec un travail de codification effectué par un comité scientifique et suivi par un comité parlementaire représentatif des groupes politiques de l’Assemblée et du Sénat. Éric Dupond-Moretti s’est aussi engagé à ce que le nouveau code de procédure pénale ne rentre pas en vigueur avant la ratification de l’ordonnance par le Parlement, et donc un nouveau vote une fois les détails connus.
Création de pôles spécialisés sur les violences intrafamiliales dans les juridictions
Sur ce point, Éric Dupond-Moretti s’est aussi engagé à reprendre le rapport de Dominique Vérien sur les violences intrafamiliales, qui préconise la création de « chambres spécialisées » sur la question dans les juridictions. Une mesure d’ordre réglementaire, insuffisante pour Laurence Rossignol, sénatrice socialiste qui a plaidé pour la création de véritables juridictions spécialisées sur le modèle espagnol. En séance, la sénatrice écologiste Mélanie Vogel a tout de même réussi à faire passer un amendement qui précise l’entrée en vigueur des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au plus tard au 1er janvier 2024.
Activation à distance des téléphones portables pour certaines enquêtes
Les sénateurs ont aussi voté l’extension des perquisitions de nuit actuellement réservées dans les affaires de terrorisme et de criminalité organisée. Le texte les étend aux crimes de flagrance contre les personnes, sur la requête du procureur de la République, lorsqu’elles sont nécessaires « pour prévenir un risque imminent d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves et indices du crime qui vient d’être commis, ou pour permettre l’interpellation de son auteur. »
Mais la mesure la plus débattue du texte fut l’activation à distance des téléphones portables par les enquêteurs, soit pour géolocaliser une personne, soit pour réaliser des captations de sons et d’images – des écoutes. La géolocalisation est autorisée sur requête du procureur de la République, ou du juge d’instruction, pour des affaires relatives à un crime ou à un délit puni d’au moins dix ans d’emprisonnement, tandis que les écoutes pourront être autorisées par un juge dans des enquêtes relevant du terrorisme ou du crime organisé.
Malgré les protestations de la gauche contre un risque d’écoute généralisé – « toute conversation dans l’espace public est alors sous écoute », s’est par exemple inquiété Guy Benarroche (EELV). La majorité sénatoriale a simplement souhaité encadrer le dispositif. La proposition de la sénatrice écologiste, Mélanie Vogel d’interdire explicitement ces écoutes pour les journalistes, les médecins, notaires et huissiers n’a pas été retenue. La rapporteure LR Agnès Canayer a préféré se baser sur la rédaction initiale qui protégeait les lieux comme les cabinets médicaux, les entreprises de presse ou les études de notaires et des huissiers, et l’étendre aux personnes travaillant dans ces lieux protégés ainsi qu’à leur domicile.
Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti a tenté de répondre à ce qu’il a qualifié « de cris d’orfraie » en rappelant que ces techniques étaient déjà autorisées : la géolocalisation des suspects par la pose de balises, les écoutes et les images par la pose de caméras et de micros. « L’idée est de faire prendre le moins de risques possibles aux officiers de police judiciaire, de les protéger », a-t-il argumenté. Le ministre a également rappelé que ces techniques étaient subordonnées à l’autorisation d’un juge.
Expérimentation des tribunaux économiques
La mise en place à titre expérimental de tribunaux des affaires économiques est issue d’un rapport et d’une proposition de loi des sénateurs François Bonhomme (LR) et Thani Mohamed Soilihi (Renaissance). L’idée a été reprise dans les Etats généraux de la justice et constitue l’article 6 du projet de loi d’orientation et de programmation de la Justice 2023-2027.
Le Sénat a adopté l’expérimentation de cette nouvelle juridiction qui remplacera les tribunaux de commerce. Ces derniers ont compétence pour traiter des litiges commerciaux, et ne sont pas composés de juges professionnels mais de juges consulaires. Dans sa version initiale, le projet de loi prévoyait d’intégrer des magistrats professionnels en tant qu’assesseurs dans les nouveaux tribunaux des affaires économiques.
En commission des lois, le Sénat les a supprimés « car les tribunaux de commerce ne le souhaitaient pas. Et les juges professionnels ne souhaitaient pas siéger en tant qu’assesseurs », a rappelé la co-rapporteure du texte, Dominique Vérien (centriste). Le texte prévoit par ailleurs d’élargir les compétences de ces tribunaux aux agriculteurs. En commission, les sénateurs les ont également élargis aux professions réglementées du droit.
Lors des débats, plusieurs amendements déposés par les sénateurs de gauche ont tenté, sans succès, de faire sortir les agriculteurs du champ de compétence de ces nouveaux tribunaux des affaires économiques, dont les contentieux relèvent actuellement des tribunaux judiciaires. « Les activités agricoles obéissent à des impératifs dont les contours se définissent selon des critères très spécifiques, différents des activités des commerçants et des artisans […] Dans une conjoncture défavorable aux agriculteurs, le moment ne nous paraît pas opportun de bouleverser cette situation », avait fait valoir le sénateur communiste Gérard Lahellec.
La rapporteure a émis un avis défavorable. Elle rappelle que la commission des lois a introduit des juges consulaires issus du monde agricole. « On va me dire que des agriculteurs vont s’intéresser aux terres de leurs voisins. Mais par rapport aux entreprises, on pourrait avoir le même risque. Il existe pour les agriculteurs comme pour les autres juges consulaires, une règle de déport », avait-elle soutenu.
Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a lui défendu un amendement visant à exclure de la compétence du tribunal des activités économiques les procédures amiables et collectives des professions réglementées du droit. « Les professions du droit n’exercent pas au sens strict de professions à caractère économique », avait justifié le ministre.
« Les avocats n’ont pas spécialement envie de dire qu’ils font faillite. Mais ça leur arrive. C’est une position constante du Sénat d’inclure l’ensemble des professions, y compris libérales. Il n’y a pas de raison que les professions réglementées du droit en soient exclues », lui avait alors répondu Dominique Vérien avant que l’amendement ne soit rejeté.
Déjudiciarisation des saisies sur salaires
En ce qui concerne le civil, les sénateurs ont adopté l’article 17 qui transfère aux commissaires de justice (huissiers de justice) l’exécution des saisies de rémunération, jusqu’à présent réservées au juge judiciaire. Les écologistes et les socialistes avaient déposé des amendements de suppression. La sénatrice PS, Marie-Pierre de la Gontrie, a souligné que cette déjudiciarisation entraînerait des frais de justice plus importants pour les débiteurs sans que le gain de temps ne soit établi pour les justiciables.
La commission des lois a toutefois cadré un peu plus le dispositif en insérant une phase de négociation amiable avant d’en arriver à la saisie sur rémunération.
Magistrats syndiqués : le Sénat impose le respect du « principe d’impartialité »
Cet après-midi, le Sénat a aussi voté le projet de loi organique relatif à l’ouverture, modernisation et responsabilité du corps judiciaire par 239 voix contre une.
Dans son article 1er, qui porte sur le statut de la magistrature, un amendement du sénateur centriste, Philippe Bonnecarrère, rappelant le respect du principe d’impartialité pour les magistrats syndiqués a suscité le débat et l’opposition des élus de gauche, la semaine dernière. « Nous considérons que tout syndicat de magistrats à une liberté totale d’expression […] Reste la notion d’impartialité. Elle est tellement importante qu’elle doit irriguer l’action individuelle des magistrats mais également l’action collective des magistrats. Nous ne voyons pas en quoi il pourrait y avoir une entrave à la liberté d’expression au travers de la notion d’impartialité ? » avait défendu l’élu.
Son amendement fait référence à une décision de justice récente du tribunal judiciaire de Mamoudzou qui a conduit à la suspension de l’évacuation d’un bidonville de l’île. La juge, auteure de la décision, fut par le passé vice-présidente du Syndicat de la magistrature. Le député LR de Mayotte Mansour Kamardine avait alors demandé le déport des magistrats membres de ce syndicat classé à gauche. Le Conseil supérieur de la magistrature avait alors rappelé que « la liberté syndicale est reconnue aux magistrats » et que les prises de position d’une organisation syndicale « ne sauraient servir de fondement à la mise en cause de l’impartialité d’un magistrat au seul motif qu’il serait membre de cette organisation ».
« Il serait prématuré de toucher au statut des magistrats »
Après l’avis favorable de la commission, le garde des Sceaux, s’était lui montré prudent. « La frontière entre l’outrance et la liberté d’expression syndicale est un sujet très sensible et qui réclame une réflexion approfondie. C’est la raison pour laquelle j’ai saisi pour avis le Conseil supérieur de la magistrature […] Il serait prématuré de toucher au statut des magistrats sur ce point avant d’avoir obtenu sa réponse ».
« Neutraliser l’activité syndicale »
A gauche, les élus avaient alerté sur les implications de cet amendement et ont demandé sans succès à Philippe Bonnecarrère de retirer son amendement. « Le retrait de la liberté syndicale des magistrats, beaucoup l’ont essayé. J’espère que ce n’est pas le chemin que vous voulez emprunter », s’était inquiétée Marie-Pierre de la Gontrie.
La présidente du groupe communiste, Éliane Assassi s’est elle aussi émue d’un amendement qui pourrait « neutraliser l’activité syndicale. Aujourd’hui les syndicats et demain qui ? La liberté syndicale est une liberté fondamentale donc respectons cette liberté fondamentale ».
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