Introduit par la révision constitutionnelle de 2008, le référendum d’initiative partagée (RIP) avait été pensé pour introduire une dose de démocratie directe dans la Vème République en permettant de déclencher un référendum sur initiative parlementaire et citoyenne. Depuis son entrée en vigueur en 2015, seul le RIP sur la privatisation de la société Aéroports de Paris (AdP) a franchi l’étape du Conseil constitutionnel, et aucun n’est allé au bout du processus. Jusqu’à celui déposé par la gauche parlementaire sur la réforme des retraites ? Le Conseil constitutionnel validera – ou pas – la procédure ce mercredi, mais le RIP ne sera pas au bout de ses peines pour autant. Pour tout comprendre sur toutes les conséquences de la décision qui sera rendue ce 3 mai, point d’étape sur la procédure complète du référendum d’initiative partagée.
Dépôt d’une proposition de loi référendaire par 185 parlementaires
Pour déclencher un référendum d’initiative partagée, au moins un cinquième des parlementaires doivent signer une proposition de loi référendaire. Avec 577 députés et 348 sénateurs, la barre à atteindre est donc de 185 parlementaires.En l’état actuel des forces politiques, cela veut concrètement dire qu’au sein de l’opposition, seule la gauche (la Nupes à l’Assemblée et les groupes socialiste, communiste et écologiste au Sénat) et la droite (la majorité sénatoriale et les groupes LR et LIOT à l’Assemblée) ont les capacités d’enclencher la procédure. Avec 88 députés et aucun sénateur, le RN est loin du compte.
Le 20 mars dernier, plus de 250 parlementaires de gauche ont ainsi déposé une proposition de loi référendaire fixant l’âge légal de départ maximum à 62 ans. Après son invalidation, nouvelle tentative le 13 avril avec
un second RIP. Validation du Conseil constitutionnel
Nous sommes donc maintenant à l’étape de la validation du Conseil constitutionnel. Celui-ci rend sa décision sur la proposition de loi des parlementaires en jugeant deux aspects.D’abord, la proposition de loi ne peut porter que sur les domaines énumérés par
l’article 11 de la Constitution, soit l’organisation des pouvoirs publics, soit les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent. Cela peut paraître large, mais par sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel en fait une interprétation assez précise. Par exemple, le RIP des parlementaires socialistes sur la taxation des superprofits
avait été jugé non constitutionnel par le Conseil en octobre dernier, au motif qu’il portait sur la politique fiscale, et non « économique, sociale ou environnementale. »Deuxièmement, le Conseil constitutionnel juge aussi de la conformité interne de la proposition de loi à la Constitution, c’est-à-dire si le dispositif proposé – même s’il porte bien sur les sujets listés à l’article 11 – ne contient pas de mesures anticonstitutionnelles.
C’est ce qu’il s’était passé en août 2021 à propos de la proposition de loi référendaire portant sur « l’accès universel à un service public hospitalier de qualité », portée par des parlementaires de gauche et de droite. Les Sages avaient jugé qu’un des articles du texte renvoyait à la Conférence nationale de santé des décisions qui relevaient du pouvoir réglementaire de la Première ministre.La proposition de loi référendaire de la gauche sur la réforme des retraites devra donc respecter ces deux critères de périmètre et de conformité à la Constitution pour être validée par le Conseil constitutionnel ce vendredi.
Neuf mois pour recueillir 4,8 millions de signatures
Le cas échéant, il faudra que le RIP sur les retraites recueille ensuite le soutien d’au moins 10% du corps électoral, soit actuellement environ 4,8 millions de personnes qui devront remplir un formulaire sur une plateforme dédiée, avec vérification préalable de l’inscription au répertoire électoral unique (REU). Le recueil des signatures est ouvert pour neuf mois, et le Conseil constitutionnel doit ensuite vérifier la conformité des signatures.En 2019-2020, la campagne seule référendaire à ce jour avait permis de recueillir presque 1,1 million de soutiens pour un référendum à propos de la privatisation du groupe Aéroports de Paris. Lors de la vérification des signatures,
le Conseil constitutionnel n’avait constaté « que peu de tentatives d'usurpations d'identités », mais avait signalé des « pistes d’évolution à explorer » sur l’ergonomie et la fonctionnalité de la plateforme de recueil des signatures.
Le Parlement a 6 mois pour s’en saisir, sinon le Président de la République convoque un référendum
Si le seuil de 4,8 millions était atteint pour la première fois, le Parlement aurait six mois pour examiner la proposition de loi, sans quoi le Président de la République devra convoquer un référendum. Cela veut dire que le texte devrait être examiné au moins une fois à l’Assemblée et au Sénat sous six mois.Le succès de la campagne de recueil des soutiens n’entraîne donc pas nécessairement l’organisation d’un référendum mais obligera a minima le Parlement à examiner de nouveau la question de l’âge légal de départ à la retraite.
La validation du RIP suspendrait-elle l’application de la réforme des retraites ?
Si le Conseil constitutionnel venait à valider la procédure du second référendum d’initiative partagée, le recueil des signatures
n’entraînerait pas automatiquement la suspension de l’application de la réforme des retraites.En revanche, en 2019, l’exécutif avait décidé de suspendre l’application de la privatisation d’ADP, alors même que la loi Pacte avait été adoptée au Parlement. Constitutionnellement, rien ne l’obligerait à faire de même si ce cas se présentait sur la réforme des retraites.Début de réponse ce mercredi 3 mai en fin d’après-midi, avec la publication de la décision du Conseil constitutionnel sur le référendum d’initiative partagée.