Le rapport des Etats généraux alerte sur « l’état de délabrement » de la justice

Le rapport des Etats généraux alerte sur « l’état de délabrement » de la justice

Augmentation des moyens, réforme de la justice civile et pénale, révision institutionnelle, après neuf mois de travaux, le rapport des Etats généraux de la Justice vient d’être remis à Emmanuel Macron, ce vendredi. Il formule une série de recommandations pour remédier au « délabrement avancé » de l’institution judiciaire.
Simon Barbarit

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C’est un gigantesque chantier qui attend l’exécutif. 9 mois après le lancement des Etats généraux de la Justice, le rapport vient d’être remis officiellement au chef de l’Etat et le constat est sans appel.

Le rapport du comité présidé par Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’Etat évoque un état de délabrement avancé » de l’institution judiciaire. « La justice ne parvient plus à exercer ses missions dans des conditions satisfaisantes ».

Rédigé par douze personnalités (magistrats, politiques, avocats…), le document de 217 pages prône une « augmentation des moyens » alloués à la justice, plaidant notamment pour le recrutement d’au moins 1 500 magistrats supplémentaires, 2 500 à 3 000 greffiers et de 2000 agents administratifs et techniques dans les cinq prochaines années.

A la sortie de l’Elysée, Jean-Marc Sauvé indique avoir eu l’impression que le président et le gouvernement ont fait « bon accueil à ce rapport ».

« C’est une sorte de fourre-tout dans lequel l’exécutif pourra piocher »

Devant le Parlement cette semaine, la Première ministre, Élisabeth Borne avait, de fait, annoncé une future loi de programmation de la justice permettant le recrutement de « 8 500 magistrats et personnels de justice supplémentaires », soit la proposition du rapport.

« Oui, bizarrement c’est ce qu’il y avait dans le programme d’Emmanuel Macron », ironise Céline Parisot, président de l’Union Syndicale des Magistrats (USM). « C’est assez décevant, aucune piste n’est détaillée. C’est une sorte de fourre-tout dans lequel l’exécutif pourra piocher. On peut toutefois se satisfaire d’y voir une reconnaissance de l’état de délabrement de la justice. Et ce ne sont pas des magistrats de base qui l’affirment », ajoute-t-elle.

En effet, en décembre dernier, dans le journal Le Monde, 3 000 magistrats et une centaine de greffiers dénonçaient la dégradation de leurs conditions de travail et le manque de temps pour traiter les dossiers.

Au Sénat, ce constat d’une dégradation des conditions de travail des acteurs du monde judiciaire et ses conséquences, le manque de confiance en l’institution, est partagé depuis longtemps. Dès 2017, un rapport transpartisan intitulé : « 5 ans pour sauver la justice » proposait notamment une loi quinquennale afin d’augmenter de 5 % par an les moyens de la justice ».

> > Lire notre article. Tensions à la Cour de Cassation avec Dupond-Moretti : « Un simple moment d'agacement  », rapporte François-Noël Buffet

« Une réforme systémique de la justice civile »

Pour accompagner l’augmentation de moyens, le rapport Sauvé propose « une réforme systémique de la justice civile ». Pas vraiment grand public, « c’est pourtant la justice du quotidien. Cette priorisation de la justice civile et prud’homale est essentielle », se félicite, Agnès Canayer, vice-présidente LR de la commission des lois du Sénat.

Parmi les pistes suggérées figure « une clarification des missions du juge », recentrées sur « ses missions fondamentales » plutôt que de le submerger par des tâches qui ne sont pas les siennes, affirme en substance le rapport. « Il est indispensable que l’essentiel des efforts à venir soit orientés vers la première instance, où l’affectation des moyens et les méthodes de travail doivent être repensées de fond en comble », insiste le comité.

En ce qui concerne la justice prud’homale, les états généraux font le même constat que les sénateurs dans un rapport de 2019, corédigé par Agnès Canayer. Les délais sont trop longs. Ils peuvent atteindre trois ans. Et les taux d’appel sont de 60 %. Sans aller jusqu’à remettre en cause la composition paritaire (employeurs et salariés). Le comité fait les mêmes recommandations que le rapport sénatorial. Désormais baptisés tribunaux de travail (ou tribunaux prud'homaux pour le Sénat), ils dépendraient uniquement du ministère de la justice sans lien le ministère du travail comme c’est le cas actuellement. L’échevinage ses conseils de prud’hommes, (un juge professionnel entouré de juges citoyens) n’est pas retenu en raison du principe de réalité.

« Maintien du juge d’instruction »

Le rapport juge aussi que « le code de procédure pénale est excessivement complexe, illisible » et demande sa refondation.

Toutefois, le comité propose, dans sa majorité, « le maintien du juge d’instruction au regard de son apport estimé décisif dans les affaires les plus complexes, lesquelles engagent l’autorité et la réputation de la justice ».

« Le code de procédure pénale nécessite une réforme globale, et non des petites retouches. C’est ce qui a été fait pour la justice pénale des mineurs. Même si nous n’avons pas suffisamment de recul pour l’évaluer », soutient Agnès Canayer. Pour mémoire, le code de procédure pénale a été retouché récemment avec l’évolution du régime d’irresponsabilité pénale.

Enfin, le comité des Etats généraux revient sur des serpents de mer institutionnels et propose, à son tour, une réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) en lui accordant un pouvoir d’avis conforme sur les propositions de nomination de ces magistrats ainsi que sur les sanctions disciplinaires qui les concernent. Le CSM n’aurait, en revanche, pas le pouvoir de nommer les procureurs de la République et des procureurs généraux comme le demandent les syndicats. « L’exécutif veut garder la main sur le parquet, ce rapport est conforme à la volonté de l’exécutif », regrette Céline Parisot.

» Lire notre article : Justice pénale : le Sénat veut mettre fin aux lois d’émotion

Plus consensuel, le comité des Etats généraux demande la suppression de la Cour de Justice de la République (CJR), et d’aligner « sur le droit commun les règles de procédure et de compétence applicables aux membres du gouvernement, sous réserve de l’institution d’un dispositif de filtrage ». Ces mesures nécessiteraient une révision de la Constitution.

« Nous sommes globalement favorables aux préconisations de ce rapport. Reste à savoir qu’elle sera la volonté politique de les appliquer ? et qu’elles seront les moyens alloués ? », note Agnès Canayer.

Pour mémoire, le budget du ministère de la Justice en 2021 et 2022, a connu une hausse de 8 %. Mais pour les syndicats de magistrats, cette hausse est également en trompe-l’œil car elle concerne essentiellement le pénitencier.

A ce sujet, le rapport estime, « qu’une réponse fondée uniquement sur la détention par l’enchaînement de programmes de construction d’établissements pénitentiaires ne peut constituer une réponse adéquate […] Le prononcé de courtes peines d’emprisonnement, qui ne permettent ni d’agir sur le comportement de la personne, ni de préparer sa réinsertion, (doit être) aussi limité que possible », peut-on lire.

 

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