« Le groupe social qui a le plus bénéficié de la politique économique actuelle reste les ultra-riches » pour Gabriel Zucman

« Le groupe social qui a le plus bénéficié de la politique économique actuelle reste les ultra-riches » pour Gabriel Zucman

Gabriel Zucman, économiste spécialiste des inégalités et professeur à l’Université de Berkeley, était invité de l’émission « Allons plus loin ». Il y a développé ses thèses à propos de la justice fiscale, de la taxation des hauts revenus et de la situation aux États-Unis, où il conseille Bernie Sanders dans la campagne des primaires démocrates.
Louis Mollier-Sabet

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Invité sur notre plateau hier soir, Gabriel Zucman, auteur avec Emmanuel Saez du Triomphe de l’injustice, est revenu sur les déséquilibres de la politique fiscale menée par Emmanuel Macron, qui aurait majoritairement été bénéficiaire aux foyers les plus aisés.

« Le groupe social qui a le plus bénéficié de la politique économique actuelle reste les ultra-riches »

L’économiste a cité l’étude menée de l’Institut des politiques publiques, qui prend en compte l’ensemble des mesures économiques du quinquennat d’Emmanuel Macron et dessine une répartition des gains de « revenu disponible », qui prend en compte la part du revenu imposé et les gains de revenus liés à l’ensemble des prestations sociales : « Le décile du bas (les 10% des Français les moins riches) n’a eu aucun gain de revenu, les classes moyennes ont vu leur revenu augmenter de 2 ou 3%, quand les 0,1% des Français les plus riches ont eu un gain de 4%. »

Une situation qui, en moyenne, ne se détériore pas pour la population, mais, qui pour Gabriel Zucman, caractérise une croissance mal répartie : « Dans un contexte de très faible croissance depuis la crise financière, cela me paraît difficilement justifiable. » L’économiste des inégalités conclut : « Le groupe social qui a bénéficié le plus de la politique actuelle est celui des ultra-riches, celui des 0,1% les plus riches. »

Justice sociale et fiscalité des hauts revenus : « Cela n’est pas soutenable économiquement et politiquement. »

Cette asymétrie dans la politique fiscale du gouvernement est une affaire de déciles, de moyenne et de taux, mais elle a aussi une transcription profondément politique, que Gabriel Zucman analyse de la manière suivante : « Dire que l’on ne peut plus taxer les gagnants de la mondialisation comme les sociétés multinationales, les hauts patrimoines et les actionnaires parce qu’ils sont devenus trop mobiles et compenser le manque à gagner par l’imposition des catégories de la population qui ont moins profité de la mondialisation, comme les petits commerçants et les retraités ; cela n’est pas soutenable économiquement et politiquement. »

Pour lui, c’est l’ensemble du système fiscal français qui est difficilement « soutenable » : « Quand vous regardez l’ensemble du système d’imposition en France, il ressemble à une sorte de gigantesque impôt proportionnel où tout le monde paye environ 50% de son revenu en impôt, sauf les riches où le taux d’imposition décline à 45 ou 40% ». Ainsi, si l’on prend en compte l’ensemble des impôts en France, tous les Français sont imposés à hauteur d’environ 50% de leurs revenus, sauf les plus riches, qui payent 40 ou 45% d’impôts sur l’ensemble de leurs revenus.

« Le taux de prélèvement obligatoire est élevé en France. Il est donc particulièrement important que l’imposition se fasse de manière juste » poursuit l’auteur de Triomphe de l’injustice, un livre qui essaie précisément de lier les structures des systèmes fiscaux et le sentiment de justice sociale.  Il enchaîne ainsi : « S’il n’y avait pas beaucoup d’impôts ça ne serait pas un énorme problème, mais justement dans ce système, une norme de justice fiscale minimale devrait être que les très grandes fortunes ne payent pas moins en proportion de leur revenu que les classes moyennes et populaires. »

Comment taxer les riches sans les faire fuir ? « Il faut sortir du défaitisme »

Gabriel Zucman sur la taxation des hauts revenus : "Il faut sortir du défaitisme"
01:19


Et si ce faible niveau de taxation des plus riches est un problème, comment y remédier sans les faire fuir ? « Nous avons écrit ce livre pour s’inscrire en porte-à-faux par rapport à ce défaitisme » affirme Gabriel Zucman, qui martèle : « Il faut sortir du nihilisme. » Concrètement, explique-t-il, « les risques d’expatriation peuvent être résolus en taxant les expatriés. Aux États-Unis, si vous êtes nés américain, vous payez des impôts pour le restant de vos jours aux États-Unis, où que vous viviez. »

Et en France ? « En France, si vous partez maintenant, vous ne payez plus d’impôts en France au 1er janvier 2021. On peut peut-être imaginer un entre-deux : si vous choisissez de vous expatrier, vous allez payer des impôts pendant encore 5 ou 10 ans. » La légitimité d’une telle imposition est claire pour l’économiste : « La logique derrière cela est très forte : si vous avez bâti une grande fortune en France, c’est en partie grâce aux infrastructures et à l’enseignement français, il n’y a donc aucun droit naturel à l’expatriation une fois fortune faite. »

L’exemple américain : de la référence au contre-modèle pour Gabriel Zucman

Les États-Unis et la France sont-ils vraiment comparables ? « Il y a des différences profondes entre les États-Unis et la France au niveau des inégalités. Aux États-Unis, les 1% les plus riches possèdent 20% de la richesse nationale, quand en France c’est 12%. » Gabriel Zucman tient tout de même à rappeler que cette situation n’est pas immuable : « Les États-Unis sont le pays qui est allé le plus loin en matière d’imposition progressive des revenus et des patrimoines, avec un taux marginal d’imposition sur le revenu en moyenne de 80% jusqu’aux années 1980 », dans une période où « la croissance était forte (2%), le revenu moyen des Américains augmentait de la même façon et tous les groupes sociaux profitaient de cette augmentation dans les mêmes proportions. »

Pour l’économiste qui a beaucoup travaillé sur les États-Unis, ce tournant s’explique par des « changements idéologiques, mais aussi le triomphe d’un certain scepticisme. » Et sur ce point, il n’hésite pas à dresser un parallèle avec la France : « Au moment des débats sur la suppression de l’ISF, beaucoup de gens s’étaient laissés convaincre qu’on ne pouvait pas être les seuls à taxer les grandes fortunes. Il y a l’idéologie du ruissellement, mais plus important que ça, il y a le défaitisme et le manque d’ambition. »

« Bernie Sanders fait le pari de remobiliser les abstentionnistes »

Gabriel Zucman : "Bernie Sanders fait le pari de remobiliser les abstentionnistes "
01:47

Ce manque d’ambition s’explique pour l’économiste, conseiller technique de Bernie Sanders alors que le sénateur du Vermont est en campagne dans le cadre des primaires démocrates, les échecs récents des démocrates aux États-Unis : « Il y a 50% d’abstention aux présidentielles aux États-Unis et majoritairement chez les classes populaires, les minorités ou les jeunes qui ne se sentent pas représentés ; ni par le programme ploutocratique de Trump, ni par la plateforme des candidats démocrates type Hillary Clinton ou Obama, qui ne formulaient pas de propositions ambitieuses au niveau de la justice économique et fiscale. »

Gabriel Zucman veut faire de la candidature de Bernie Sanders une réponse à cette apathie fiscale et politique : « Le pari d’un candidat comme Bernie Sanders est le suivant : en mettant la barre à gauche, avec l’assurance maladie universelle, la gratuité de l’enseignement supérieur, l’augmentation du salaire minimum et une imposition plus progressive, on va pouvoir remobiliser une partie de ces abstentionnistes, quitte à perdre quelques voix au centre. » Un pari dont on pourra déjà tirer quelques enseignements en juin prochain, à l’issue des primaires démocrates.

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