Gabriel Attal l’avait annoncé lors de son discours de politique générale fin janvier. « Quand on a rendez-vous chez le médecin et qu’on ne vient pas sans prévenir, on paye », avait-il martelé devant les parlementaires. Dans un entretien donné à la presse quotidienne régionale, ce week-end, le premier ministre a précisé que les patients qui n’honorent pas leurs rendez-vous et annulent moins de 24H à l’avance devront payer ce qu’on appelle « une taxe lapin » de 5 euros. La somme sera retenue via une empreinte bancaire sur les plateformes de prise de rendez-vous ou par les soignants eux-mêmes. La mesure devrait entrer en vigueur l’année prochaine.
27 millions de consultations annulées par an
Cette « taxe lapin » pourrait permettre de récupérer 15 à 20 millions de créneaux médicaux. Le Premier ministre s’appuie sur des données récoltées début 2023 par l’Académie nationale de médecine et le Conseil national de l’ordre des médecins qui évaluaient entre 6 et 10 % les patients qui, chaque semaine, n’honorent pas leur rendez-vous, soit 27 millions de consultations annulées par an. La Caisse nationale de l’assurance maladie avait, elle, évalué le taux d’annulation entre 3 et 4 %. Selon Matignon, ce nouveau » mécanisme de « responsabilisation » des patients permettra de « répondre au souci majeur des Français : l’accès aux médecins, la capacité de trouver un rendez-vous dans des délais acceptables ».
La majorité sénatoriale de la droite et du centre s’en félicite. « C’est une mesure qui est née au Sénat, donc on ne peut qu’y être favorable. A l’époque, l’exécutif n’avait pas travaillé techniquement sa mise en place car il considérait que sujet devait être renvoyé à la négociation conventionnelle entre les médecins et l’Assurance maladie », rappelle Philippe Mouiller, le président LR de la commission des affaires sociales du Sénat.
En effet, la Haute assemblée a déjà voté deux fois « la taxe lapin » en 2023. En février d’abord, lors de l’examen de la proposition de loi sur l’accès aux soins et confiance aux professionnels de santé, la rapporteure Corinne Imbert (apparentée LR) avait fait voter, contre l’avis du gouvernement, un article additionnel permettant de déterminer, dans le cadre de la convention médicale, la possibilité de déterminer les modalités et les conditions d’indemnisation des médecins au titre des rendez-vous non honorés. Mais après l’échec de la négociation conventionnelle entre les médecins et l’Assurance maladie, la mesure n’avait pas survécu à la navette parlementaire.
« Nous ne pouvons pas laisser aux médecins le soin de l’appliquer ou non »
Quelques mois plus tard, alors que les négociations autour de la nouvelle convention médicale reprenaient, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 avait donné une nouvelle occasion à Corinne Imbert de déposer un amendement en faveur d’une « taxe lapin ». La pénalité pour le patient devait être fixée par le gouvernement, dans un décret pris après consultation du Conseil d’État. L’amendement avait finalement été supprimé de la version définitive du texte, adopté à l’aide de l’article 49-3 à l’Assemblée nationale en décembre dernier.
« Le gouvernement était d’accord avec nous sur le fond mais renvoyait la mesure aux négociations autour de la convention médicale. Et on voit aujourd’hui qu’elles n’avancent pas », observe Corinne Imbert (lire notre article). Si la sénatrice se félicite de voir ce mécanisme « de responsabilisation des patients » en passe d’être mis en œuvre, des interrogations demeurent sur la méthode. La « taxe lapin » nécessitera de passer par une loi car le code de la santé publique indique que les honoraires « ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués ». « Pour l’instant, on ne voit rien dans l’agenda, donc j’imagine que nous examinerons ce dispositif dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Mais nous ne pouvons pas voter le principe d’une taxe lapin et laisser aux médecins le soin de l’appliquer ou non. Elle doit être appliquée par tout le monde », prévient-elle. En effet, l’exécutif prévoit que la pénalité reste à la main du médecin qui pourra décider de ne pas l’appliquer s’il juge les raisons du patient valables. S’il décide de l’appliquer, les 5 euros iront directement dans sa poche.
Pour mémoire, l’amendement de Corinne Imbert au dernier PLFSS prévoyait qu’une partie de la taxe lapin bénéficie à l’assurance maladie et le reste aurait été reversée aux professionnels de santé concernés par l’indemnisation.
« Cette taxe lapin ne doit pas coûter plus cher qu’elle ne rapporte »
« Notre objectif était avant tout de responsabiliser les patients. Ce n’est pas avec cette taxe qu’on allait renflouer les comptes de la Sécu. On cherchait la bonne formule et on voulait que le gouvernement reprenne la main », rappelle la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, Élisabeth Doineau (Union centriste). La sénatrice n’est, elle, pas forcément opposée à laisser la possibilité aux médecins le choix de l’appliquer ou non. « Il faut bien qu’il y ait un arbitre et les médecins connaissent leur patientèle et pourront déterminer si l’annulation est excusable. Mais l’objectif reste bien de discipliner les patients. Il faudra être attentif aux problèmes de gestion. Cette taxe lapin ne doit pas coûter plus cher qu’elle ne rapporte ».
« Une usine à gaz, je regrette que le Sénat ait eu une idée aussi saugrenue. », dénonce Bernard Jomier, sénateur socialiste et médecin de formation qui souligne que « cette taxe lapin » est loin de faire consensus au sein de la profession. Dans un communiqué, la Fédération Française des Médecins Généralistes, MG France, n’a pas hésité à torpiller la mesure. « Comment la taxation de 5 € que pourra percevoir le médecin dont le patient lui aurait fait faux bond va redonner du temps médical quand les dispositifs de rendez-vous en ligne continuent à proposer aux plus aisés la possibilité de réserver autant de créneaux qu’ils le souhaitent ? » interroge le premier syndicat français des médecins généralistes.
« On ne peut pas organiser une permanence des soins tout en dérégulant le système de santé »
« Personnellement, j’exerce dans un cabinet où le premier rendez-vous se fait par téléphone. Vous ne pouvez prendre rendez-vous par Internet seulement si vous êtes connu du professionnel. Et si un patient multiplie les annulations, on ne le prend plus, c’est aussi simple que ça », insiste Bernard Jomier avant d’ajouter : « Est-ce vraiment au Premier ministre d’annoncer cette mesure. Gabriel Attal doit vraiment arrêter d’imiter Nicolas Sarkozy en parlant à tout bout de champ ? Surtout quand les annonces sont contradictoires. Gabriel Attal annonce une taxe lapin et en même temps une expérimentation permettant l’accès direct à des médecins spécialistes. Je ne vois pas comment on peut organiser une permanence des soins tout en dérégulant le système de santé. C’est à rebours de ce qu’on a fait depuis 20 ans ».
La raison d’être de Doctolib : « Faire en sorte qu’il y ait plus de temps médical »
La sénatrice communiste, Céline Brulin trouve « d’un cynisme total d’annoncer la taxe lapin dans la presse quotidienne régionale ». « Gabriel Attal s’adresse à 6 millions de Français qui n’ont pas de médecin traitant. Ce gouvernement à une grande appétence pour la culpabilisation. Il l’a prouvé en doublant la franchise médicale », s’insurge-t-elle.
Le 20 mars dernier, la commission des affaires sociales du Sénat auditionnait le directeur général de Doctolib, Jean-Urbain Hubau. Ce dernier avait évoqué un taux de rendez-vous non honorés sur sa plateforme compris entre 3 et 4 %. Selon lui, trois motifs étaient en cause : l’oubli, l’impossibilité de contacter le professionnel et l’incivilité. Jean-Urbain Hubau assurait que les deux premières « n’existaient plus » avec l’utilisation de Doctolib car la plateforme rappelle par SMS les rendez-vous et offre la possibilité de l’annuler 24H sur 24. Reste la troisième, l’incivilité, pour lequel Doctolib, « a développé énormément de fonctionnalités », telles que l’impossibilité de prendre rendez-vous avec deux professionnels en même temps. « Notre raison d’être est de faire en sorte qu’il y ait plus de temps médical », assurait-il.