Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
La réforme des retraites va-t-elle se transformer en « piège » pour les LR ?
Par François Vignal
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C’est l’enjeu dans l’enjeu. Que voteront les LR sur les retraites, si le gouvernement se décide à présenter la réforme par voie d’amendement dans le Budget de la Sécu à l’automne ? Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pourrait bien être l’option choisie. A l’Assemblée, la majorité relative imposera à l’exécutif de trouver des voix au-delà de son camp, ou à défaut, de passer en force par 49.3. Au Sénat, où le 49.3 n’existe pas, la position du groupe LR sera scrutée. Pour la droite, une forme de dilemme pourra vite se présenter : soit voter (si l’idée est retenue), un report de l’âge légal de départ à la retraite, une mesure qu’ils portent depuis des années. Mais au risque de voter encore une fois un texte du gouvernement et de paraître peu audible. Soit trouver les moyens de s’opposer, mais au risque cette fois de se retrouver en pleine contradiction.
Pour compliquer les choses, l’état d’esprit diffère entre députés et sénateurs LR. Par ailleurs, les LR sont en pleine campagne interne pour la présidence du parti, avec pour favoris d’un côté le député Eric Ciotti et de l’autre un certain Bruno Retailleau, qui n’est autre que le président du groupe LR du Sénat.
« Ce serait compliqué pour eux de dire qu’ils sont contre la réforme car ils sont contre la méthode. Ça les piège »
Dans la majorité présidentielle, on regarde la situation, non sans intérêt. « Je ne pense pas qu’ils voteront. Pas en plein congrès », confie une figure du groupe Renaissance à l’Assemblée. « On verra, les LR seront en campagne électorale. Je crains que le but du jeu soit d’être le plus anti Macron possible », confirme une députée de la majorité. « Avec les LR, des choses peuvent être construites », pense, plus optimiste, un ministre, « mais on ne sent pas la dynamique entre Eric Ciotti à l’Assemblée et Bruno Retailleau au Sénat ».
Un député issu des LR ne croit pas à un rejet. « Ils vont soutenir. Ils ne peuvent pas faire autrement. C’est le seul sujet où ils ont une idée précise », raille l’élu, « ils ne vont pas s’opposer à un amendement alors qu’eux en font plein dans le PFLSS… » « On sent une différence entre les LR de l’Assemblée et les LR du Sénat. Mais ce sera difficile de dire que faire les retraites dans le PLFSS, c’est contre la démocratie, alors qu’ils portent la réforme depuis des années », avance aussi un cadre de la majorité présidentielle à l’Assemblée, qui s’interroge sur leur positionnement : « Après, est-ce qu’il y aura une polarisation car ils sont en plein congrès ? Ce serait compliqué pour eux de dire qu’ils sont contre la réforme car ils sont contre la méthode. Ça les piège. Ça les oblige à se positionner sur un enjeu très identitaire pour l’électorat de droite ».
« Bien sûr, ils pensent nous piéger comme ça. On en a conscience »
Un « piège ». Le mot est lâché. A droite, le risque n’a échappé à personne. A commencer par René-Paul Savary. Le sénateur LR est le Monsieur retraites de son groupe au Sénat. C’est lui qui porte année après années un amendement, lors du PLFSS justement, repoussant l’âge légal de départ à la retraite (à 63 ans en 2018, 64 ans en 2019, à nouveau 63 ans en 2020, puis 64 ans en 2021, lors du dernier budget de la Sécu). « Bien sûr, ils pensent nous piéger comme ça. On en a conscience. Mais nous, on a la position inverse. Ce qui importe, ce n’est pas de piéger les LR. Mais qu’il y ait une réforme des retraites qui corresponde aux attentes des Français », soutient le sénateur de la Marne.
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Au Sénat, son président, Gérard Larcher, tient un discours d’ouverture. « La réforme est indispensable » a-t-il encore dit ce jeudi matin sur France 2, « de toute façon, au Sénat, nous aurons le débat sur les retraites, puisque depuis trois ans, nous avons un amendement qui nous vient de la commission des affaires sociales, dans le PFLSS ». « Nous assumerons nos responsabilités », assure l’ancien ministre du Travail, tout en rappelant son attachement au « dialogue social ».
« Un amendement tombé d’en haut sur le PLFSS, c’est inacceptable » pour Bruno Retailleau
Sur France Inter, Bruno Retailleau a lui pris ses distances sur la manière. « En matière de méthode, un amendement tombé d’en haut sur le PLFSS, c’est inacceptable » lâche le patron des sénateurs LR. Son groupe a certes utilisé la voie de l’amendement, mais parce que « c’est le seul moyen d’agir pour le Parlement. J’ai dit à Elisabeth Borne, si vous voulez vraiment faire passer cette réforme dans le PLFSS, faite la passer dans le texte initial », qui sera présenté la semaine prochaine en Conseil des ministres.
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Si l’amendement LR adopté l’an dernier reculait bien l’âge de départ « à 64 ans », tout en accélérant la réforme Touraine sur la durée de cotisation, « ce dispositif ne s’appliquerait qu’après une période de dialogue et de concertation. […] On ne peut réformer au total mépris du dialogue social. Si le dialogue social échoue, évidemment, le couperet tombe », explique Bruno Retailleau. Dans l’esprit, c’est en réalité ce que défendait le gouvernement pour la réforme avortée du précédent quinquennat.
« On peut voter des choses qui correspondent à nos attentes, sans état d’âme » soutient René-Paul Savary (LR)
Les sénateurs seront-ils prêts à voter à nouveau un report de l’âge légal ? Selon René-Paul Savary, la réponse est plutôt claire : « Bien sûr, on peut voter des choses qui correspondent à nos attentes, sans état d’âme. Il faut savoir si le Parlement est là pour faire de la construction ou de l’obstruction. Et nous, on est dans un parti d’opposition capable de construire ».
René-Paul Savary « pense qu’on restera, pour l’instant, sur nos positions ». A savoir « un report à 64 ans » et « proposer une conférence des financeurs pour associer les partenaires sociaux. On a toujours une optique de concertation avec les partenaires sociaux. Mais si les discussions n’aboutissent pas, on proposerait les mesures d’âge ». Celui qui est aussi membre du COR (conseil d’orientation des retraites) reste malgré tout prudent. « On affinera tout ça en fonction de la position du gouvernement », précise le sénateur de la Marne. Mais pour René-Paul Savary, les LR ne peuvent pas « se contenter de posture d’opposition. Nous sommes des élus responsables ».
« Je ne suis pas sûr qu’on vote le PLFSS à la fin » affirme le sénateur LR Jérôme Bascher
Reste à voir si tous les LR sont sur la même ligne. « Nous, on est ouverts, mais pas que pour une mesure au sein du PLFSS, mais pour discuter globalement d’une réforme des retraites », avance Jérôme Bascher, sénateur LR de l’Oise, selon qui voter « une mesure d’âge, et c’est tout, c’est une réforme pécuniaire, mais pas des retraites. Ce n’est pas digne ». Pour lui, « c’est un projet entier qu’il faut, et le faire voter au premier trimestre 2023 ». Les LR voteront-ils l’amendement du gouvernement ? Ici, la réponse diffère. « Ce n’est pas certain. Il y aura d’autres choses dans le PLFSS. Et je ne suis pas sûr qu’on vote le PLFSS à la fin », prévient Jérôme Bascher, qui dénonce la volonté de mettre la droite dans la nasse sur les retraites :
La politique des petits pièges, c’est stop. […] Macron essaie de faire des petits coups de com’ mais on n’est pas là pour lui servir la soupe.
Le patron des députés LR, Olivier Marleix, a lui estimé mercredi sur France Info qu’un amendement n’était « pas le bon cadre ». « Ce n’est pas comme ça qu’on gouverne un pays, sauf si on veut y mettre le feu », pointe le député, qui va cependant attendre de voir le texte pour arrêter une position de son groupe.
« C’est le problème global de LR. La plupart des choses que fait Macron, les LR les feraient aussi… »
Mais selon un député Renaissance, « les LR ne peuvent pas tomber dans un débat dérisoire sur l’amendement. Ils feraient la même réforme. C’est le problème global de LR. La plupart des choses que fait Macron, les LR les feraient aussi… » Ce député, qui vient de la droite, raille ses anciens amis :
S’ils votent, ils se prennent pour un morceau de sucre. Ils ont l’impression que le gaullisme va se dissoudre. Je croyais que le gaullisme, c’était du granit. Ils veulent exister.
Les LR peuvent aussi chercher à tirer profit de la situation. « Au Sénat, je ne les vois pas accepter de but en blanc l’amendement de l’Assemblée. Sans doute ils voudront le modifier. Mais je ne les vois pas s’opposer à la démarche qui voudrait qu’on avance », selon François Patriat, président du groupe RDPI (Renaissance) du Sénat. Ce fidèle d’Emmanuel Macron l’assure : « Ce n’est pas un piège. Ils diront que ça fait trois ans qu’ils le demandaient. Ils transformeront ça en victoire pour eux. Ils ne vont pas se renier, à partir du moment où ils obtiennent gain de cause », imagine François Patriat. C’est déjà ce qu’expliquait Bruno Retailleau, pour justifier le vote des LR sur les textes pouvoir d’achat ou sanitaire. C’est leur texte que le gouvernement a voté, et non l’inverse. De quoi trouver une porte de sortie honorable pour tout le monde.