Alors que le gouvernement demande un effort budgétaire de 5 milliards d’euros aux collectivités – « 11 milliards » selon les élus – le socialiste Karim Bouamrane affirme que « Michel Barnier est totalement inconscient ». Le PS a organisé ce matin, devant le congrès des maires, un rassemblement pour défendre les services publics.
Au Sénat, l’audition poignante du collectif à l’origine de la pétition contre les accidents de chasse
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Morgan Keane est devenu le symbole des accidents liés à la chasse. Ce jeune homme de 25 ans a perdu la vie à Calvignac (Lot) le 2 décembre 2020, en plein confinement, parce qu’un chasseur l’avait pris pour un sanglier. Un an plus tard, deux de ses amies, qui militent pour un meilleur partage des campagnes et un encadrement plus strict de la chasse, étaient auditionnées devant la représentation nationale. C’était la première audition, sur la quarantaine prévue dans le cadre de la mission de contrôle sur la sécurisation de la chasse du Sénat, ce 7 décembre 2021. Cette structure temporaire a été créée en novembre, en réponse au succès rencontré par la pétition « Morts, violences et abus liés à la chasse : plus jamais ça ! », déposée par le collectif « Un jour, un chasseur ». 120 000 internautes ont apporté leur soutien aux revendications en faveur d’un encadrement plus sévère de la chasse et de la délivrance des permis.
Durant près d’une heure, Mila Sanchez, à l’origine de la pétition, et son amie, Léa Jaillard, cofondatrice du collectif « Un jour, un chasseur » confient au Sénat leur histoire personnelle, avec la disparition de Morgan Keane. Elles relayent surtout beaucoup de témoignages douloureux, compilés ou recueillis par leur association. Depuis un an, le collectif affirme recevoir « une vingtaine de témoignages » chaque jour de personnes qui partagent leur sentiment d’insécurité face aux pratiques de la chasse ou qui ont été confrontées à des situations à risque.
« On parle de morts […] et on nous parle du respect des règles de sécurité ? »
Les deux jeunes femmes auditionnées ont aussi relevé 52 accidents sur les quatre derniers mois, dans leur revue de presse. Le bilan : un décès et onze blessés, chasseurs non inclus. « Ce recensement minimal est bien la preuve que l’insécurité des ruraux et des usagers des campagnes est réelle », expose avec gravité Mila Sanchez. Sur un écran, les sénateurs voient défiler des visages de victimes ou des impacts de balles perdues sur des bâtiments. « Des mesures doivent être mises en place de toute urgence », appelle Mila Sanchez.
La jeune femme s’étonne surtout de certaines réactions, celle du procureur du Lot concernant le tir mortel de 2020, ou celle de Willy Schraen (président de la Fédération des chasseurs) au drame de cet automobiliste près de Rennes, décédé de ses blessures près de Rennes, après une balle perdue en novembre. « On parle de morts, on parle de balle dans le cou sur une 4 voies entre Rennes et Nantes, de balle de gros calibre en plein thorax dans son jardin, et on nous parle du respect des règles de sécurité ? Parler de règles de sécurité lorsqu’elles sont meurtrières […] c’est se rendre complice de ces morts et les banaliser. »
À chacune de leurs interventions, l’émotion transparaît, mêlée d’un sentiment de révolte. Lorsque sa voisine Léa Jaillard prend la parole, ce sont les propositions qui prennent le relais, après les témoignages et l’ébauche d’une dure réalité statistique. La mesure phare du collectif est l’instauration de deux journées sans chasse par semaine, le mercredi et le dimanche. Selon un sondage Ifop de novembre, 69 % des Français se disent favorables à une proposition de Yannick Jadot (Europe Écologie-Les Verts) d’interdire la pratique de la chasse pendant les week-ends et les vacances.
Les deux militantes demandent également une distance de sécurité minimale pour éloigner la chasse des habitations ou des routes, ou encore davantage de contrôles dans l’octroi des permis ou des armes. « Il est évident que la formation ainsi que les règles de sécurité sont insuffisantes et doivent être revues », estime Léa Jaillard. Avec une formule assez cash, elle appelle les sénateurs à leur responsabilité et à faire évoluer la législation. « Un législateur, qui prend le risque de faire cohabiter 98 % de la population avec 2 % de chasseurs, dont les balles sont incontrôlables et létales jusqu’à 3 km, et qui le sait, est donc responsable des accidents qui peuvent en découler. »
Le rapporteur de la mission de contrôle, Patrick Chaize (LR), a d’ores et déjà promis que la pétition ne resterait pas lettre morte. « Nous souhaitons y apporter des réponses », s’est-il engagé. La commission doit se pencher sur le bilan des dernières lois votées, comme la loi du 24 juillet 2019, qui comporte un volet renforcé sur la sécurité des chasses, ou encore la loi du 30 juillet 2020 (visant à protéger les victimes de violences conjugales). Cette dernière prévoit notamment des dispositions sur la confiscation d’armes des conjoints violents. Léa Jaillard fait mention d’un fait divers récent. Un homme, déjà condamné à deux reprises pour des violences avec arme et menaces, est accusé d’avoir tué sa fille avec un fusil de chasse. « Comment ces gens-là peuvent-ils avoir encore des armes chez eux ? » s’exclame Léa Jaillard. Les questions s’enchaînent sur les solutions qu’elles imaginent pour faire reculer le nombre d’accidents.
« On partage l’émotion qui est la vôtre »
Du côté de leurs auditeurs, le discours ne laisse personne indifférent, et plusieurs font preuve d’empathie. « On est touchés par votre témoignage. On partage l’émotion qui est la vôtre », réagit la sénatrice LR Dominique Estrosi Sassone. « C’était poignant, touchant », ajoute le sénateur écologiste Daniel Salmon. Lorsqu’est évoquée la situation du petit frère de Morgan Keane, présent sur les lieux du drame, une prise de conscience apparaît sur l’absence de soutien psychologique. L’affaire ne sera pas jugée avant 2022. « Je partage cette idée d’un accompagnement sérieux pour les témoins », intervient la sénatrice LR Marie Mercier.
La mission de contrôle a à peine entamé ses travaux, mais dès lors cette première audition met déjà en lumière des difficultés d’appréhension du phénomène. Les deux femmes précisent que leur travail de synthèse n’est sans doute que « la partie émergée de l’iceberg » et que des refus de plaintes peuvent aussi contribuer à laisser certains incidents en dehors du champ statistique. « Il semble, sans que la mission dispose de chiffres précis à ce stade, que le nombre d’incidents – des impacts de projectiles sur les habitants, sans blessures graves – serait en hausse », déclare le rapporteur Patrick Chaize.
« Il va falloir qu’on le creuse », réagit à l’issue de l’audition la présidente de la mission Maryse Carrère (Rassemblement démocratique social et européen). Son groupe doit procéder durant les prochains mois à une quarantaine d’auditions. « Elle a vocation à entendre toutes les parties prenantes sans a priori », insiste-t-elle. Les représentants des chasseurs mais aussi l’Office français de la biodiversité, pour ne citer qu’eux, seront évidemment auditionnés. Les sénateurs vont en parallèle étudier les exemples à l’étranger et prévoir des déplacements sur le terrain.
Le rapport de travail – avec ses recommandations – sera remis à l’été prochain, une fois la période électorale passée, « en dehors de l’émotion et des polémiques », souligne Maryse Carrère.