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Juridiction spécialisée pour les policiers : les magistrats dénoncent un « renforcement de l’Etat policier »
Par Stephane Duguet
Publié le
Confortés par le soutien de leur ministre de tutelle Gérald Darmanin, les syndicats de policiers continuent de diffuser leurs revendications, au premier rang desquelles : modifier la loi et assurer un statut particulier aux policiers. Dans une interview donnée au Figaro, Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat Unité SGP Police FO presse pour « légiférer rapidement ». « Nous voulons des magistrats spécialisés sur l’usage des armes par les forces de l’ordre, qui tiennent compte du fait qu’un policier qui utilise son arme n’imaginait pas l’utiliser cinq secondes avant », explique-t-elle.
La policière justifie sa demande sur RTL, prétextant un manque de discernement des magistrats. « On estime qu’ils n’ont pas toujours conscience des conditions dégradées de stress dans lesquelles les policiers font usage de leur arme et du coup qu’ils ne savent pas toujours bien apprécier les dossiers », affirme Linda Kebbab. Même si elle ne précise pas la forme que prendraient ces « magistrats spécialisés », cela laisse entendre que le syndicat Unité SGP Police FO plaide pour l’instauration d’une juridiction spécialisée. « On en a peu en France, indique Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public et constitutionnaliste. Il existe des juges spécialisés avec le parquet national antiterroriste ou le parquet national financier par exemple. Mais en général, cela passe par un domaine de compétence ».
Remise en cause de l’article 6 de la DDHC
La constitutionnaliste juge la demande des syndicats de police singulière : « On accorderait un statut particulier aux policiers eu égard à la qualité de ses fonctionnaires de police, mais pour des délits de droit commun et non pas par rapport à des délits spécifiques ». Du point de vue constitutionnel, Anne-Charlène Bezzina estime que cela pose « la question de l’égalité devant la loi », garantie par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui figure dans la constitution de la Ve République.
Sur le fond, elle estime que « l’état actuel de notre droit est suffisant ». « Quand on parle de l’usage de l’arme et de la question du positionnement de l’agent au moment de s’en servir, cela relève des circonstances du délit et tous les juges sont déjà obligés de se prononcer en fonction des circonstances », expose Anne-Charlène Bezzina. De plus, elle précise que pour individualiser les peines, les juges consultent des organismes comme l’IGPN qui « connaissent bien l’exercice de la profession de policier ».
Les policiers déjà protégés par le droit
Lorsqu’elle a pris connaissance de la proposition des syndicats de policiers sur les magistrats, Cécile Mamelin, vice-président de l’Union syndicale des magistrats (USM) qui se revendique apolitique, n’en est pas revenue : « J’ai l’impression de vivre dans un cauchemar démocratique ». Elle dénonce le « procès en illégitimité » qui est fait aux magistrats : « Nous ne sommes pas dans des sphères dorées, on a fait des stages à l’école de la magistrature et on échange régulièrement avec des policiers ». La vice-présidente du premier syndicat de la profession explique aussi que « les forces de l’ordre sont particulièrement protégées. » Ainsi, « les textes de lois sur les violences commises sur des policiers prévoient déjà des peines aggravées. Ils ont une protection par le droit de par leur qualité de policier », développe Cécile Mamelin.
Dans le cadre de leur mission, les policiers ont aussi des circonstances aggravantes ou atténuantes s’ils sont jugés. « Les sanctions sont parfois plus dures, car il y a la prise en compte des moyens utilisés dans le cadre de ses fonctions. Mais ça peut aussi aller dans l’autre sens et alléger la sanction », rappelle Anne-Charlène Bezzina. « Ils veulent une protection, mais viennent contester les peines aggravées dans l’autre sens », s’agace la magistrate Cécile Mamelin.
Si les gendarmes dépendent d’une juridiction spéciale, c’est parce qu’ils sont militaires contrairement aux policiers. « Ils n’ont pas la même hiérarchie et ne sont pas appelés sur les mêmes opérations », détaille Anne-Charlène Bezzina, professeure de droit public. « On pourrait créer une juridiction spécialisée pour la police, mais il faut se demander pourquoi », insiste-t-elle, rappelant que dans le cas des policiers de la brigade anticriminalité (BAC) de Marseille, l’agent placé en détention est mis en examen pour « violence en réunion », un délit de droit commun.
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Juridiction spécialisée pas plus efficace
Ce qui a choqué la vice-présidente de l’USM, c’est le contexte dans lequel cette « séquence politique » se déroule : « Dans l’épisode qu’on connaît, comment peut-on dire qu’on va modifier la loi en partant d’une affaire avec des violences illégitimes. On parle quand même d’un homme passé à tabac par des policiers. Le jeune homme n’a même pas été arrêté donc ils ne le soupçonnaient de rien ! »
Si la déléguée nationale du syndicat Unité SGP Police FO assure discuter avec des parlementaires « de la majorité présidentielle jusqu’au Rassemblement national », Anne-Charlène Bezzina met tout de même en garde contre les effets de la spécialisation des magistrats. « Le risque, c’est parfois la perte d’indépendance, comme le dit le Conseil de l’Europe. Les juges peuvent être plus durs car ils ne savent plus faire que ça. Une juridiction spécialisée n’est pas la garantie que ce soit plus efficace », met-elle en avant. Pour Cécile Mamelin, une telle juridiction ne ferait « que renforcer un État policier ».
« Le ministre de l’Intérieur n’est pas ministre de la Justice »
Au-delà du débat, la magistrate dénonce la prise de position de Gérald Darmanin : « Autant on peut comprendre le soutien aux forces de l’ordre soumis à difficultés avec les émeutes, autant on ne peut pas comprendre que le ministère de l’Intérieur promette de changer la loi alors qu’il n’est pas ministre de la Justice. »
La polémique braque aussi les projecteurs sur la relation entre l’institution policière et judiciaire. « Il faut que nos métiers se connaissent mieux », plaide Cécile Mamelin. Anne Charlène Bezzina abonde : « Le nerf de la guerre dans cette affaire, c’est la confiance de la police dans la justice. On est dans un climat démocratique tellement délétère que la police n’a pas confiance dans les décisions de justice. Il faut rappeler les principes fondamentaux de notre démocratie et redire que chacun est légitime dans sa mission. »
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