Edit du 1er avril : Rendu public après la publication de cet article, le délibéré précise que la peine d’inéligibilité est « non obligatoire compte tenu de la période des faits déterminée à l’issue des relaxes partielles prononcées ». Le tribunal correctionnel précise que « les faits de détournement de fonds publics et/ou de complicité de ce délit pour lesquels les prévenus ont été déclarés coupables, compte-tenu des relaxes partielles prononcées, ont pris fin au plus tard le 15 février 2016 et non le 31 décembre 2016 ».
Les dispositions de la loi Sapin II « ne sont en l’espèce pas applicables », précise le même document. Le fait de prononcer cette peine d’inéligibilité était donc une « possibilité » pour le tribunal.
Le tribunal correctionnel a rendu sa décision ce 31 mars dans l’affaire des assistants parlementaires du Rassemblement national (RN). Une vingtaine d’élus, dont l’ancienne présidente du parti, Marine Le Pen, sont accusés d’avoir détourné des fonds publics européens entre janvier 2004 et fin 2016. Il est reproché à ces responsables politiques d’avoir fait rémunérer par le Parlement européen des assistants de députés européens qui travaillaient pour le Front National. Le tribunal a annoncé ce lundi que les neuf eurodéputés poursuivis étaient coupables de détournement de fonds publics, et les douze assistants coupables de recel. Tous les élus, dont Marine Le Pen, ont été condamnés à une peine d’inéligibilité, avec exécution immédiate.
Dès le mois de novembre, l’ancienne candidate à l’élection présidentielle avait dénoncé la sévérité des réquisitions du parquet. Ce lundi, le tribunal a décidé de la condamner à une peine d’inéligibilité de cinq ans avec exécution provisoire, autrement dit, une application immédiate qu’une procédure d’appel n’interrompt pas.
Cette demande de peine d’inéligibilité était attendue puisqu’elle est la règle en matière d’incrimination pour détournement de fonds publics depuis 2016, alors qu’elle était que optionnelle auparavant. C’est ce que prévoit l’article 432-17 du code pénal, tel qu’il a été modifié par la loi dite « Sapin II ». En effet, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a rendu obligatoire, le prononcé de cette peine complémentaire d’inéligibilité à l’encontre de toute personne condamnée pour une infraction d’atteinte à la probité. La date de son entrée en vigueur couvre par ailleurs la période des faits couverts dans ce procès.
Une peine systématique dans les affaires de détournement de fonds publics
En vertu du principe de l’individualisation des peines, le juge conserve toutefois la possibilité de l’écarter « par une décision spécialement motivée […] en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ». Ce cas de figure ne s’est jamais produit ces dernières années. Comme l’indiquait le ministère de la Justice auprès de Libération en novembre, les condamnations dans les affaires de détournements de fonds publics ont toujours intégré une peine complémentaire d’inéligibilité, de 2017 à 2023. Pour le dire autrement, le juge ce 31 mars n’a fait que suivre une longue jurisprudence en la matière.
S’agissant du deuxième volet, l’application avec « exécution provisoire », indépendamment d’une procédure d’appel, ne serait pas non plus une première. Plusieurs élus ont été visés par cette modalité ces dernières années, dans des procès pour détournements de fonds publics, comme l’ancien sénateur et président de la Polynésie française Gaston Flosse, Brigitte Barèges, ancienne maire de Montauban (finalement relaxée en appel), ou encore l’ancien maire de Toulon, Hubert Falco, condamné il y a quelques mois en appel. De façon globale, si ce cas de figure est « rarissime en matière de contentieux politico-financier », note le Figaro, il est loin d’être exceptionnel pour la plupart des justiciables. Selon les chiffres du ministère de la Justice, 48 % des peines d’emprisonnement ferme prononcées par un tribunal correctionnel envers une personne majeure ont été mises à exécution immédiatement en 2021, selon le quotidien.
La Cour de cassation a précisé dans un arrêt de 2022 que l’exécution provisoire « répond à l’objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine et à prévenir la récidive ». Dans le cas du procès actuel, le parquet avait estimé que la prévention de la récidive était justifiée, car les faits ont été commis sur plusieurs années et « interrompus seulement par la plainte du Parlement européen ». D’autre part, le FN a « déjà été condamné pour des faits de détournement de fonds ». Pour finir, le procureur avait observé que tout était fait « pour repousser la décision de justice et son exécution ».
Le parquet avait par ailleurs dénoncé « un enrichissement partisan inédit », par sa « durée » (plus de 10 ans), son « ampleur » (plus de 4 millions d’euros) et son « caractère organisé, systématisé ».