Une pratique encadrée par le droit de l’Union européenne
Les lobbies désignent communément des groupes de pression, tels que des entreprises privées, des syndicats, des associations, des groupes de citoyens ou encore des organisations non gouvernementales, visant à influencer la décision publique afin de satisfaire les intérêts sectoriels qu’ils portent. Au niveau européen, le lobbying est défini par l’accord interinstitutionnel du 20 mai 2021 entre le Parlement, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne sur un registre de transparence obligatoire, couvrant « les activités exercées par les représentants d’intérêts dans le but d’influencer l’élaboration ou la mise en œuvre des politiques ou de la législation, ou les processus décisionnels des institutions signataires ou d’autres institutions, organes ou organismes de l’Union ».
Le lobbying est aujourd’hui encadré par le registre de transparence de l’Union européenne, qui recense les organisations civiles actives au sein des institutions européennes. L’inscription des lobbyistes dans ce répertoire est obligatoire pour accéder au Parlement européen, pour être invité aux auditions publiques des commissions, ou encore pour participer aux travaux informels des députés européens. Cette reconnaissance officielle implique, en contrepartie, un engagement éthique sur la base d’un code de conduite commun, dont le respect est contrôlé par une procédure spécifique de plainte et de signalement à l’encontre des organisations enregistrées.
Les retombées politiques et juridiques du Qatargate, ou l’insuffisance du cadre de prévention des ingérences étrangères
L’article 11 du Traité sur l’Union européenne, disposant que « les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile », consacre formellement le rôle moteur du lobbying dans le processus décisionnel européen. Cependant, le lobbying, dépeint sous un jour humoristique par la série Parlement, est souvent présenté comme une stratégie périlleuse, un d équilibre sur le fil de la légalité, la corruption guettant parfois l’intégrité des eurodéputés et du Parlement dans son ensemble.
L’affaire dite du « Qatargate » est un témoignage éloquent de ce péril démocratique. Le 9 décembre 2019, des médias belges mettent au jour une vaste affaire de corruption mettant en cause quatre eurodéputés et une vice-présidente du Parlement, Eva Kaïli, accusés d’avoir accepté une somme d’argent en échange de la défense des intérêts des régimes du Qatar et du Maroc. Ce scandale a conduit l’institution à s’interroger sur les moyens de durcir l’encadrement des lobbies afin de mieux prévenir toute forme d’ingérence étrangère. Le bureau du Parlement a notamment dévoilé le 17 avril 2023 un « plan de réforme » sur le renforcement et la transparence de l’institution, comprenant notamment l’interdiction pour les eurodéputés d’exercer une activité de lobbying dans les six mois suivant la fin de leurs mandats ; un délai relativement restreint que certains jugent insuffisant.
Le 13 septembre 2023, les eurodéputés ont adopté plusieurs modifications du règlement intérieur du Parlement, y inscrivant notamment l’interdiction pour ces derniers de mener des « activités de lobbying rémunérées qui sont en relation directe avec le processus décisionnel de l’Union ». En outre, les membres du Parlement sont désormais obligés de déclarer auprès de l’institution les autres activités rémunérées au-delà d’un seuil de 5 000 euros par an, ainsi que leur patrimoine au début et à la fin de leur mandat. Les députés et leurs assistants doivent également publier en ligne toute réunion ou rencontre avec des lobbyistes et des représentants d’Etat tiers, afin de réguler la constitution de réseaux d’influence informels. Dernière avancée en la matière, un comité d’éthique chargé de perfectionner et d’harmoniser les normes de transparence en vigueur a été créé le 15 mai dernier sous l’impulsion de neuf institutions de l’Union. Certains eurodéputés et associations regrettent néanmoins que ce nouvel organisme soit dépourvu du pouvoir d’initier des enquêtes ou d’édicter des sanctions.
Cette réflexion et ces progrès notables ne semblent toutefois pas porter leurs fruits en pratique, alors qu’en mars 2024 les autorités belges annoncent l’ouverture d’une enquête sur des eurodéputés d’extrême droite issus de dix Etats-membres, soupçonnés d’avoir cédé aux avances financières du site prorusse Voice of Europe, soutenu par un proche de Poutine. Une nouvelle affaire que l’engouement médiatique a aussitôt baptisée « Russiagate » et qui n’a pas fini de faire couler de l’encre.
Enjeu politique majeur, les lobbies sont une cible privilégiée des candidats aux prochaines élections européennes, en particulier à gauche du spectre partisan. Manon Aubry, tête de liste du parti La France Insoumise, dénonce les financements des eurodéputés par les lobbies et propose « d’interdire ces rémunérations annexes pour tous les députés européens ». Raphaël Glusckmann du parti Place publique prône quant à lui un affûtage des outils de lutte contre les conflits d’intérêts et la corruption. Valérie Hayer du parti Renaissance appelle de ses vœux la création d’une cellule de vigilance contre les ingérences étrangères au niveau européen.
Si les lobbies peuvent offrir un éclairage précieux sur la législation européenne, en produisant de l’information pour les décideurs publics et en portant la voix des sociétés-membres de l’Union au sommet des institutions, ils constituent également une ouverture stratégique au niveau géopolitique, une arme d’influence redoutable aux mains des autoritarismes sur l’équilibre interne de l’Europe démocratique.
Eglantine Mougin