Après le déclenchement du 49.3 par Michel Barnier pour faire passer le projet de loi de finances de la Sécurité sociale, la motion de censure du Nouveau Front Populaire, si elle est votée par le Rassemblement national, pourrait faire tomber le gouvernement ce mercredi 4 décembre. Ce qui mettrait à l’arrêt plusieurs textes législatifs.
Inquiétude autour de l’avenir d’Anticor : « C’est scandaleux ! », dénoncent des sénateurs de gauche
Par Pierre Maurer
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Benalla, Alstom, « les sondages de l’Elysée »… Autant d’affaires politico-judiciaires dans lesquelles une petite association de près de 3800 membres a été en première ligne pour mener le combat judiciaire : Anticor. Spécialisée depuis 18 ans dans la lutte contre la corruption, en particulier des élus et hauts fonctionnaires en tout genre, elle bénéficie d’un agrément lui permettant de porter plainte en saisissant un juge d’instruction, même quand le Procureur de la République a décidé de ne pas poursuivre. Mais celui-ci va expirer et devait être renouvelé par Matignon au début du mois de février. Le Premier ministre a finalement décalé sa prise de décision au 10 février… Avant de reporter de nouveau. Le dossier est depuis août sur le bureau de Jean Castex. En principe, ce devait être au garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, de délivrer cet agrément. Mais l’ancien ténor du barreau est lui-même visé par une enquête « pour prise illégale d’intérêt » après les plaintes déposées par Anticor et des syndicats de magistrats.
« C’est scandaleux et inquiétant »
Le délai ultime pour l’association expire désormais ce vendredi 12 février. « C’est scandaleux et inquiétant », a réagi mercredi sur Twitter la sénatrice socialiste de Paris, Marie-Pierre de la Gontrie, vice-présidente de la commission des lois. L’association s’est exprimée dans un communiqué ce jeudi : « A défaut de renouvellement, l’agrément tombera. Anticor subsistera, mais sera privée des armes du droit. » Et s’interroge à coups de posts sur les réseaux sociaux : « Qui a intérêt à empêcher notre action contre la corruption ? À priver les citoyens du droit de défendre un intérêt collectif en justice quand les procureurs hésitent à le faire ? À qui profite le crime ? Qui veut la peau d’Anticor ? »
« Je ne comprends pas cette décision ! », s’exclame Jean-Pierre Sueur. Pour le sénateur socialiste, lui aussi membre de la commission des lois, Anticor exerce une « vigilance utile dans notre démocratie ». Le gouvernement affirme à Capital encore vérifier des informations concernant « des aspects techniques des dons : la nature, la structure, les montants et la fréquence » ainsi qu’un « point sur les procédures internes de prévention des conflits d’intérêts au sein de l’association ». « C’est un petit peu étouffer la démocratie… », remarque l’écologiste Esther Benbassa. La sénatrice de la commission des lois souligne que la manœuvre semble « maladroite ». « Ça me gêne fortement. C’est envoyer des mauvais signaux à la population qui se dit qu’on restreint déjà assez nos libertés », dénonce-t-elle. « Si le gouvernement nous refuse l’agrément, nous irons devant le juge administratif. Notre dossier est extrêmement solide et nous obtiendrons gain de cause », affirmait au Figaro Éric Alt, vice-président d’Anticor.
« Mélange des genres »
Ses détracteurs soupçonnent l’association, essentiellement composée d’avocats et de magistrats, d’être « politisée » et de « mélange des genres ». Sous ce quinquennat, Anticor est à l’origine de plusieurs procédures en cours visant des proches d’Emmanuel Macron — le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, mis en examen dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne et le Secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, à propos de ses liens avec le géant italien des croisières MSC. Ce qui fait dire au député Bruno Questel (LREM), toujours au Figaro, que « la question justement se pose de voir une association loi 1901, tout agréée qu’elle soit, tenir entre ses mains toutes les clés de la République, parce qu’elle a le droit de se porter partie civile même quand la justice a dit le contraire. Nous voyons bien que chez Anticor, il n’y a aucune décorrélation entre la démarche politique de ses membres et les actions en justice qu’elle mène ».
« Anticor bénéficie pleinement de la loi sur les associations et c’est une liberté fondamentale », rétorque Jean-Pierre Sueur. Esther Benbassa abonde : « Anticor est un corps intermédiaire qui fait agir les autorités et les institutions pour qu’elles combattent la corruption. Dans les pays dictatoriaux, la corruption n’a pas de limites. Chez nous on a des limites car ces associations sont vigilantes ». Elle sourit : « Leurs détracteurs les accusent d’être politisés ? Et ceux qui les empêchent de travailler ne sont pas politisés peut-être ? Ce ne sont pas ma voisine ou d’autres qui connaissent Anticor. Tout est politique. » Récemment, un tiers des administrateurs de l’association ont démissionné en dénonçant la politisation de l’organisation. Le Canard enchaîné souligne que depuis des mois, l’association qui met en avant son indépendance, refuse de révéler le nom de son plus gros donateur. Une critique émise aussi en interne, selon une lettre consultée par Public Sénat. L’association revendique ce droit, que lui a d’ailleurs reconnu la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Entre le gouvernement et l’association, le bras de fer perdure. « Tout cela crée un climat pas très optimiste. Notre démocratie il faut la garder entière et réactive ! », presse Esther Benbassa. En France, la corruption représente 120 milliards d’euros soit 6,1 % du PIB, l’équivalent du budget de l’Éducation nationale.