Influences étrangères : « Il faut défendre les utilisateurs contre les clauses abusives » des réseaux sociaux, alerte David Chavalarias
Par Crézia Ndongo
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« Maintenant, les jeunes ne donnent même plus leur 06 ou leur 07 mais leur Instagram ! » . Et ce n’est pas pour plaire à David Chavalarias. Au Sénat, le directeur de recherche du CNRS plante le décor. David Chalarias dépeint une société où, en somme, tout va plus vite. Une société, où, au fil des années, les géants du numérique prennent de plus en plus de place. Une seule solution, pour le chercheur : réguler.
Contrer les influences étrangères
Au Palais du Luxembourg, les auditions se poursuivent, dans le cadre de la commission d’enquête sur les influences étrangères dans l’espace numérique. « Beaucoup de personnalités restent sur X [anciennement Twitter] parce qu’elles y ont développé leur audience… alors que le réseau devient toxique », dénonce d’emblée David Chavalarias. Pour le chercheur, il faut contrer les ingérences étrangères qui se propagent via les réseaux sociaux. « Facebook modère à peine 20 % des contenus politiques », signale David Chavalarias. Sera-t-il entendu ? Mardi 4 juin, il succède à Eric Garandeau, le directeur des affaires publiques de TikTok France. Eric Garandeau a réfuté toute ingérence étrangère sur le réseau chinois en France.
« Il y a une opacité de TikTok, on n’a pas la possibilité de savoir qui a vu quoi », pointe Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la souveraineté numérique. « Qu’un propos de comptoir puisse avoir 100 millions de vue est une anomalie », s’insurge-t-il. Mais TikTok n’est pas le seul mastodonte dans le viseur des spécialistes. X, anciennement Twitter, n’est pas en reste. Selon David Chavalarias, le réseau d’Elon Musk fait partie des plateformes dont les pratiques sont néfastes et « abusives ». Le mot est lâché. Face à cela, « il faut défendre les utilisateurs contre les clauses abusives », prévient le directeur de recherche au CNRS. Et de faire le parallèle : « C’est comme si la Poste » permettait à un usager de recevoir des messages, d’en poster… mais que, dans le même temps, La Poste – exemple fictif ici – s’arrogeait le droit de modifier, de supprimer ou de censurer des contenus à l’envi. C’est la raison pour laquelle, la régulation est le mot d’ordre, selon David Chavalarias.
S’en donner les moyens… car il n’est pas trop tard
Pour les quatre spécialistes, il faut agir, et vite. Non, il n’est pas trop tard. Mais il faut faire des choix, et s’en donner les moyens.
David Chavalarias se montre le plus radical : « Ma thèse, c’est qu’il faut choisir entre le modèle économique des plateformes, tel qu’il est actuellement, et la démocratie. On ne va pas pouvoir avoir les deux très longtemps ». Il faudrait, selon le chercheur, remettre un peu d’ordre dans les plateformes et « veiller à ce que les valeurs fondamentales soient remises à la bonne place dans le débat public », martèle-t-il. Selon Tariq Krim, le volontarisme des acteurs publics pour lutter contre les plateformes va dans le bon sens. « Prenons l’exemple de la fameuse taxe GAFAM de Bruno Le Maire », suggère-t-il. Une « bonne idée », d’après le fondateur du think tank Cybernetica.
Julien Nocetti, chercheur au Centre d’analyse de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères, en est, quant à lui, résolument convaincu, les dérives sont telles que les pouvoirs publics ne peuvent qu’intervenir. D’autant qu’il rappelle, au passage, qu’en avril 2024, « Meta a supprimé son outil de lutte contre la désinformation qui s’appelle Crowdtangle ». Là où « la Cour suprême du Brésil a lancé une enquête contre Elon Musk », le patron de X, pour instrumentalisation de sa propre plateforme. Car le danger est là. Il gronde et se niche précisément sur ces plateformes et derrière les intelligences artificielles. Julien Nocetti mentionne, à ce titre, l’opération russe « Doppelganger », – une opération de désinformation ayant pour cible les pays occidentaux et qui se sert de l’intelligence artificielle (deep fake, faux profils, etc). A tel point que selon Julien Nocetti, les manipulations figurent en tête de liste des premiers risques mondiaux, au même titre que les guerres qui ne se font pas sur le champ informationnel ou sur les réseaux sociaux.
Tous s’accordent à dire qu’il est effectivement encore possible d’agir. A circonstances exceptionnelles, moyens exceptionnels ? Bernard Benhamou, secrétaire général de la souveraineté numérique, prend l’exemple de ce qui a été fait à la suite de la crise sanitaire. « Aujourd’hui, avec 800 milliards pour le plan Covid, la même chose risque d’avoir lieu par rapport à la guerre en Ukraine, on sait très bien qu’un emprunt massif sur les objectifs est possible et souhaitable », analyse-t-il.
Ces auditions de la commission d’enquête au Sénat s’inscrivent dans un contexte national particulier. Le ministère de l’Economie a publié son plan d’action quant à la protection des citoyens et des entreprises en ligne. La « loi numérique », promulguée le 22 mai 2024 et appelée « loi sur la protection de l’espace numérique » porte sur la régulation de l’espace numérique. Elle comprend plusieurs mesures, qui, selon Bercy, « permettront de sécuriser certains usages d’internet » afin de « mieux protéger les citoyens français, notamment les plus jeunes, et les entreprises en ligne ». Bercy souhaite que les pouvoirs publics « restaurent la confiance » dans le digital en « offrant un espace plus sûr et souverain à l’ensemble des Français ».
Le projet global de l’exécutif est de répondre à plusieurs impératifs : le fait de respecter les DSA (Adoption sur la législation des services numériques) et DMA (Digital Market Act) pour « mettre fin aux abus des géants du numérique ». Le gouvernement s’appuie, pour ce faire, sur les travaux parlementaires mais aussi sur les consultations menées au sein du Conseil national de la refondation. La loi répond également à la volonté de l’exécutif de réguler l’activité des influenceurs : cet axe est l’un des chevaux de bataille du ministre de l’Economie Bruno Le Maire.
La commission d’enquête rendra ses conclusions au mois de juillet. Mais avant, toujours dans le cadre de la lutte contre les ingérences étrangères, elle auditionnera le ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné. « Si vous n’avez pas de volonté politique aujourd’hui, personne ne pourra en avoir demain », alerte David Chavalarias.