Peu de temps après la prise de fonction de Richard Ferrand en tant que président du Conseil constitutionnel, les juges de la rue Montpensier vont examiner, ce 18 mars, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui intéresse Marine Le Pen dans son procès dans l’affaire des assistants parlementaires.
Pour rappel, le parquet requiert une peine d’inéligibilité de cinq ans avec exécution provisoire. Concrètement cela signifie que si la députée était condamnée, la peine complémentaire d’inéligibilité serait appliquée même si Marine Le Pen fait appel du jugement du tribunal correctionnel de Paris.
Une QPC en lien avec l’inéligibilité
La QPC permet à tout justiciable de soulever l’inconstitutionnalité d’une disposition législative dans le cadre d’une instance le concernant. La disposition concernée doit ainsi avoir un lien direct avec l’affaire. En l’espèce, le Conseil constitutionnel est saisi depuis le 3 janvier d’une QPC sur la question de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité. La question, transmise par le Conseil d’Etat en décembre, a été soulevée par un élu mahorais, conseiller municipal de Dembéni, condamné à une peine d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire. A la suite de cette condamnation et conformément aux articles L230 et L236 du code électoral, cet élu a été déclaré démissionnaire d’office par le préfet.
Les juges du Conseil constitutionnel ne sont donc pas directement saisis de la question de la conformité à la Constitution de l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, prévue par l’article 471 du code de procédure pénale, mais bien de la conformité des articles L230 et L236 du code électoral. « La QPC ne porte pas directement sur la conformité à la Constitution du mécanisme d’exécution provisoire en cas de peine d’inéligibilité », explique Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université Toulouse Capitole et auteur d’une tribune sur le sujet dans Libération. « La question posée consiste à déterminer si lors de l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, il résulte ou non l’obligation pour le préfet de déclarer démissionnaire d’office l’élu local qui fait l’objet d’une telle peine », précise le juriste, contacté par Public Sénat. Même si le Conseil constitutionnel fait droit aux demandes de l’élu mahorais, les conséquences juridiques sur le cas de Marine Le Pen seraient quasiment nulles. En effet, les dispositions du code électoral ne concernent que les élus locaux, un parlementaire n’est contraint de démissionner qu’après avoir été condamné définitivement à une peine d’inéligibilité, conformément à la jurisprudence Guérini. Une décision favorable à l’élu mahorais pourrait seulement permettre à Marine Le Pen de conserver son mandat de conseillère départementale en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité avec application provisoire. Un maigre lot de consolation, alors qu’une condamnation empêcherait Marine Le Pen de se présenter à l’élection présidentielle de 2027.
« La concomitance des deux décisions contribue à brouiller les choses et accroître la pression sur les magistrats »
La décision QPC peut-elle néanmoins avoir une incidence sur le jugement que doit rendre le tribunal correctionnel de Paris le 31 mars ? « Le Conseil constitutionnel ne peut pas s’estimer saisi de dispositions qui ne lui ont pas été expressément soumises par le Conseil d’Etat, d’un point de vue juridique il n’y aura pas d’impact », prévient Mathieu Carpentier. Néanmoins, le Conseil constitutionnel devra rendre sa décision le 27 ou le 28 mars, soit quelques jours seulement avant que le tribunal correctionnel ne rende son jugement. « La concomitance des deux décisions contribue à brouiller les choses et accroître la pression sur les magistrats. Le tribunal correctionnel pourrait très bien décider de ne pas assortir une éventuelle condamnation d’une exécution provisoire », estime Mathieu Carpentier. Surtout si la décision QPC acte le fait que la liberté de l’électeur doit primer sur une décision de justice non définitive motivée par le risque de récidive. “A priori, [la QPC n’a] pas grand-chose à voir avec le cas de Marine Le Pen. Toutefois, cela devrait conduire le Conseil constitutionnel à donner son avis sur le cadre de l’application de l’inéligibilité à titre provisoire”, expliquait le constitutionnaliste Benjamin Morel dans une interview accordée au Figaro.
Avant la décision, Marine Le Pen a déjà commencé à mettre la pression affirmant le 13 mars sur Europe 1 : « Si je suis interdite de me présenter avec exécution provisoire, […] ce serait incontestablement une décision profondément antidémocratique, puisqu’elle priverait le peuple français de potentiellement choisir sa future présidente de la République ».