« Ce n’est pas seulement Marine Le Pen qui est injustement condamnée. C’est la démocratie française qui est exécutée sur une simple décision de justice […] « grossière et militante », a dénoncé le président du Rassemblement national Jordan Bardella, dimanche à Pairs, place Vauban, lors du meeting de soutien à Marine Le Pen.
Depuis la condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité de 5 ans avec application immédiate pour détournement de fonds publics, la ligne de défense du RN est claire : Il ne s’agirait pas véritablement d’une décision de justice, mais d’une décision politique appliquée par des juges de gauche. Un syndicat de magistrats, le Syndicat de magistrature, classé à gauche justement, illustrerait cette dérive politique, pour le RN. « Un quarteron de procureurs et de juges prétend sortir du droit pour exercer la vendetta du système contre son seul opposant », a fustigé dans l’hémicycle le député RN Jean-Philippe Tanguy, au lendemain de la décision.
1 000 adhérents sur 9500 magistrats
Fin 2022, aux dernières élections au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le Syndicat de la magistrature a recueilli 33,3 % des suffrages, loin derrière les 66,6 % de l’Union syndicale des magistrats (USM), considéré comme apolitique. « Sur les 9500 magistrats français, au moins la moitié n’est pas syndiquée et l’USM qui défend essentiellement les intérêts corporatistes de la profession en revendique 2500. Nous n’avons pas les chiffres précis mais le SM ne doit pas avoir beaucoup plus de 1000 adhérents. Et il y a aussi Unité magistrats FO qui doit avoir quelques centaines d’adhérents. Il est plutôt classé à droite et la présidente est régulièrement invitée sur CNews », explique Laurent Villemez, professeur de sociologie à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, co-auteur avec Yoann Demoli de « Sociologie de la magistrature », (ed. Armand Colin).
« Juges rouges »
L’expression « juges rouges » est utilisée par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau le 3 avril sur France 2 à propos du Syndicat de la Magistrature. « La très grande majorité des magistrats en France observe une neutralité mais il y a parfois des organisations syndicales… Notamment une, qui s’est fait connaître avec le Mur des cons […] C’était le Syndicat de la magistrature, qui a participé à la Fête de l’Humanité », a assuré le ministre de l’Intérieur, interrogé sur la condamnation de Marine Le Pen.
Il fait ici référence à un panneau intitulé « mur des cons » illustré par des photographies de personnalités politiques de droite, magistrats, journalistes et aussi parents de victimes de crimes, avait été découvert dans les locaux du syndicat en 2013. L’ancienne présidente du SM, Françoise Martres avait été condamnée pour « injure publique » dans le cadre de cette affaire, révélatrice, pour une partie de l’opinion, de la partialité de la justice.
Sur Sud Radio, le président de l’Association des maires de France et maire de Cannes, David Lisnard a lui carrément proposé « l’interdiction du syndicat de la magistrature ».
« Les positions d’un syndicat, quel qu’il soit, n’engagent jamais personnellement les magistrats »
Fondé en 1968, le Syndicat de la Magistrature assume un positionnement à gauche et rappelle dans un communiqué de réponse à Bruno Retailleau que « les positions d’un syndicat, quel qu’il soit, n’engagent jamais personnellement les magistrats ni l’autorité judiciaire, qu’ils y adhèrent individuellement ou non ».
Laurent Villemez rappelle que l’expression « juges rouges » prend son origine dans les années 1970, « dans la foulée de la démocratisation sociale de la magistrature ». « Cette période correspond à la première massification universitaire qui a permis à beaucoup d’enfants de classe moyenne d’accéder à des études de droit. Le Syndicat de la magistrature est surtout axé sur la défense des libertés publiques. On retrouve beaucoup de ses membres dans le cabinet de Badinter. Ils ont un positionnement à gauche, mais ce ne sont pas des trotskistes ou des communistes contrairement à ce que l’expression laisserait entendre ».
L’expression « juges rouges » a été massivement popularisée par l’hebdomadaire Paris Match, qui en 1975 titrait au-dessus des visages de 6 jeunes magistrats : « Ils veulent une nouvelle justice. On les appelle les juges rouges ». Figure parmi eux, le jeune juge d’instruction Patrice Charrette, responsable du placement en détention provisoire du chef d’entreprise Jean Chapron pour homicide involontaire et infractions à la législation du travail, après la mort d’un ouvrier.
« C’est un fantasme absolu d’imaginer l’influence du positionnement politique des magistrats dans leur décision. L’essence même du métier de magistrat est d’être le plus impartial possible en mettant à distance ses opinions personnelles. Et d’ailleurs dans l’affaire de Marine Le Pen, les juges ont suivi les réquisitions du parquet. Et la présidente du tribunal correctionnel n’a pas le profil de ce qu’on pourrait imaginer être une égérie du SM. Elle est venue à la magistrature sur le tard, après une carrière dans un cabinet d’audit », souligne le sociologue.