Indépendance des médias : le Sénat adopte un texte vidé de sa substance, après de vifs échanges sur les médias du groupe Bolloré

La Haute assemblée a adopté une proposition de loi socialiste visant à renforcer l’indépendance ces médias. Mais la droite sénatoriale a supprimé les principales mesures, dont la création d’un droit d’agrément sur la nomination du directeur de la rédaction. La ministre de la Culture, Rachida Dati, a annoncé l’arrivée d’un « projet de loi issu des conclusions des états généraux de l’information ».
François Vignal

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C’est un sujet devenu sensible. Celui des médias et de leur pluralisme. Le Sénat a adopté ce jeudi une proposition de loi PS visant à « renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes », mais en la vidant largement de sa substance, sous l’action de la majorité sénatoriale de droite et du centre, et non sans susciter de vifs échanges. Des débats où la question des médias du groupe de Vincent Bolloré s’est vite invitée.

« La liberté de la presse est toujours un combat, elle n’est jamais acquise », rappelle la sénatrice PS Sylvie Robert

« La liberté de la presse est toujours un combat, elle n’est jamais acquise », a lancé en ouverture Sylvie Robert, auteure du texte, qui « insiste sur la nécessité d’agir vite, car le temps médiatique est infiniment bref » (voir la vidéo ci-dessous).

S’inscrivant « dans la poursuite des travaux menés par (l’ex-sénateur PS) David Assouline », qui avait été rapporteur d’une commission d’enquête sur la concentration des médias, la sénatrice PS de Paris, Colombe Brossel, souligne que « la volonté d’un actionnaire pèse très lourd. La ligne éditoriale d’un média peut changer du tout au tout, d’un jour à l’autre ».

Le droit d’agrément « porte atteinte à la liberté d’entreprendre » pour la droite

Au cœur des débats, la volonté de la gauche d’étendre les pouvoirs de contrôle du gendarme de l’audiovisuel, l’Arcom, en matière de pluralisme des chaînes, avec la reprise d’une décision du Conseil d’Etat qui impose au régulateur d’élargir son contrôle de la « diversité des courants de pensée » à tous les invités des émissions. Même polémique sur l’idée de renforcer les sanctions à la disposition de l’Arcom et la création d’un droit d’agrément. Ce dernier, qui existe déjà dans certains médias, permet aux journalistes de s’opposer à la nomination de leur directeur de la rédaction. On se souvient de la grève qui a marqué, durant l’été 2023, la rédaction du JDD, suite à l’arrivée de Geoffroy Lejeune, venu de Valeurs actuelles, dans le cadre du rachat du titre par Vincent Bolloré.

Mais pour la droite, ce droit d’agrément « porte atteinte à la liberté d’entreprendre ». « Il entre en collision avec un autre droit essentiel, celui des propriétaires, d’un actionnaire. Un patron de presse n’aurait pas le droit de nommer les dirigeants de sa propre entreprise ? », demande le sénateur centriste Michel Laugier, qui craint que cela « freine les initiatives des industriels dont l’investissement est essentiel ».

Rachida Dati promet un projet de loi médias pour « le début de l’année 2025 »

Ces trois mesures ont été supprimées par la majorité sénatoriale, avec l’appui de la ministre de la Culture, Rachida Dati. Reste des articles plus consensuels sur la protection des sources, les chartes de déontologie ou encore les « droits voisins », qui ont été conservées dans le texte final.

Le timing de cette proposition de loi a été critiqué par la droite, mais aussi par le gouvernement. « Il me semble que votre texte est un peu à contretemps. Il a été déposé avant la restitution des états généraux de l’information (lancés par Emmanuel Macron, ndlr), dont il ne tire pas toutes les conséquences », a fait remarquer Rachida Dati, qui s’est engagée à déposer prochainement son propre texte : « Je peux vous annoncer que mes services ont commencé la rédaction d’un projet de loi issu des conclusions des états généraux de l’information », a déclaré la ministre, espérant pouvoir « construire » avec les parlementaires ce texte, qui ne devrait pas arriver « avant le début de l’année 2025, compte tenu du calendrier parlementaire ».

Un texte « ni équilibré, ni consensuel » aux « objectifs cachés », dénonce le sénateur LR Max Brisson

Pour le groupe LR, le sénateur Max Brisson s’est montré particulièrement critique contre un texte qu’il juge « ni équilibré, ni consensuel », s’interrogeant « sur l’objectif affiché ou caché » de la proposition de loi et de sa rapporteure, Sylvie Robert, lui reprochant « d’avoir des obsessions ». Le sénateur des Pyrénées-Atlantiques estime que « ce texte fait peser de vraies menaces sur les libertés éditoriales des médias audiovisuels ».

« Nous ne faisons pas la loi avec de bonnes intentions, encore moins avec de mauvaises intentions », ajoute son collègue LR, Cédric Vial, évoquant l’exposé des motifs du texte. Ce dernier vise « C8 et Cnews », en rappelant les différentes sanctions, et rappelle « que le Journal du Dimanche a diffusé, le dernier jour de la campagne des législatives, une fausse information de nature à avoir un impact sur le processus électoral » et qu’« Europe 1 a été mise en demeure par l’Arcom pour manquement à l’honnêteté et au pluralisme de l’information pour son émission créée spécialement pour la campagne. En d’autres termes, ces canaux médiatiques tendent à devenir des instruments de propagande électorale ».

« Heureusement que Cnews fait entendre un son différent de certaines voix de France Télévisions », lance le sénateur LR Olivier Paccaud

Olivier Paccaud, sénateur (apparenté LR) de l’Oise, a lui pris le micro pour se faire clairement le défenseur des médias du groupe Bolloré (voir la première vidéo). « Oui, il y a toujours eu des noces prodigues entre la presse et la politique. Et heureusement qu’en 1898, L’Aurore de Georges Clemenceau a publié le « j’accuse » de Zola. Heureusement que de Jean Jaurès à Fabien Gay (sénateur PCF de Seine Saint-Denis et directeur de L’Humanité, ndlr), L’Humanité exprime sa vérité, qui n’est pas la mienne. Heureusement que Le Figaro, avec Hersant ou Dassault, exprime une vérité, qui n’est pas la vôtre. Heureusement que Cnews fait entendre un son différent de certaines voix de France Télévisions. Heureusement qu’Europe 1 contrebalance France Inter. Heureusement que le JDD donne une autre vision de l’information que Libération », a lancé le sénateur du groupe LR, avant d’ajouter :

 Sans le JDD, sans CNews, sans Europe 1, notre paysage démocratique perdrait de sa pluralité, de sa vitalité, de sa crédibilité. Un tout petit peu de bleu, à côté du blanc et du rouge, nous fait beaucoup de bien. 

Olivier Paccaud, sénateur (apparenté LR) de l'Oise.

« Vincent Bolloré a un combat civilisationnel », affirme le sénateur PCF Pierre Ouzoulias

Ces attaques venues des bancs LR ont suscité un tir de barrage de la gauche. « Vous défendez dans cet hémicycle l’action de Vincent Bolloré, qui le dit de façon forte et crue : il a un combat civilisationnel. C’est son droit, que nous combattons. Ce qui est préjudiciable à la démocratie, c’est qu’il se saisisse de la totalité des médias français pour mener ce combat », pointe du doigt le sénateur communiste Pierre Ouzoulias. « La liberté d’expression, ce ne sont pas les fausses informations, ce ne sont pas les violences ou les discriminations, ni les humiliations en direct à la télé », ajoute la sénatrice des Ecologistes, Mathilde Ollivier. Dénonçant la suppression de l’article sur le droit d’agrément, « qui serait un marqueur fort pour l’expression de la pluralité », le sénateur PS Yan Chantrel ajoute (voir la vidéo ci-dessous) :

 J’ai eu l’impression d’assister aux petits télégraphistes de Bolloré, et de ses scriptes, pour porter sa parole, ici, au sein de cet hémicycle. 

Yan Chantrel, sénateur PS représentant les Français établis hors de France.

« On n’a apprécié que moyennement, Monsieur Brisson, certaines attaques ad hominem à l’égard de notre rapporteure. C’est comme si, Monsieur Brisson, je vous disais que vous êtes le porte-parole de Bolloré, ce que vous n’êtes pas », a renchéri Patrick Kanner, président du groupe PS.

« Assez peiné de voir (son) texte amoindri » par la droite, Sylvie Robert, comme les socialistes, n’en a pas moins voté pour ce qu’il en restait. Regrettant que la Haute assemblée n’ait pas au moins adopté l’article 1 sur l’extension des pouvoirs de contrôle de l’Arcom, « qui avait une dimension symbolique », elle conclut : « Ce n’est pas à la hauteur du Sénat d’avoir refusé, dans ce que nous vivons, cette question du pluralisme, c’est très grave ». Des débats qui se poursuivront avec le texte du gouvernement.

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