Paris: Seance questions au gouvernement Assemblee nationale

Immigration : pourquoi Bruno Retailleau aurait intérêt à utiliser une proposition de loi du Sénat

Sur l’immigration, le gouvernement devra nécessairement déposer un projet de loi pour transposer le pacte asile et immigration européen. Le ministre de l’Intérieur pourrait aussi s’appuyer sur une proposition de loi sénatoriale, dont il est lui-même l’auteur, pour reprendre les mesures censurées par le Conseil constitutionnel. Un saucissonnage qui permettrait d’aller plus vite, en comptant sur la majorité du Sénat, et d’éviter le rejet d’un texte unique fourre-tout par le RN, qui dénonce le pacte européen.
François Vignal

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Le nouveau texte immigration se précise. Ou plutôt les textes immigration. On sait depuis une dizaine de jours que le gouvernement compte présenter une nouvelle batterie de mesures, moins d’un an après l’adoption d’un projet de loi qui avait largement divisé. L’objectif du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, est de globalement reprendre les dispositions qui avaient été censurées par le Conseil constitutionnel.

« Deux hypothèses »

On en sait plus sur les « véhicules législatifs », selon le vocable parlementaire, autrement dit les textes, qui seront utilisés. Comme nous l’expliquions le 14 octobre, le ministre pourrait « soit déposer un projet de loi, soit reprendre une proposition de loi du Sénat ». La piste se confirme.

« Il y a deux hypothèses », a détaillé ce matin Bruno Retailleau, invité de France Inter. « Il nous faudra de toute façon une loi de transposition du pacte asile et immigration, pour mieux tenir les frontières extérieures de l’Europe. […] La question, c’est de savoir si on ajoute en même temps des dispositions. Par exemple, après le drame de Philippine, […] passer le délai de rétention administrative de 90 à 210 jours », explique le ministre, qui continue : « Donc soit on a un seul texte, soit on a deux textes. Un texte de transposition, un projet de loi, et une proposition de loi. Il y en a une qui est prête au Sénat. Je veux bien qu’on la revoit d’ailleurs, car il faut dialoguer. J’ai déjeuné avec Gabriel Attal, il m’a donné des points sur lesquels il fallait qu’on travaille ».

Comme nous l’expliquait une source gouvernementale il y a 10 jours, passer par un texte de la Haute assemblée aurait l’avantage « de faire gagner du temps et d’arriver à l’Assemblée avec un texte voté par le Sénat ». Mais la décision de recourir à un second texte, issu du Sénat, n’est pas encore prise. « Ce n’est pas encore arbitré », a affirmé Bruno Retailleau ce matin. « Rien n’est arrêté à ce stade », confirme-t-on à Matignon, « avec une transposition du pacte asile immigration encore largement à l’étude ». Il y a encore un peu de temps. Le ou les textes ne sont pas attendus avant « février », explique-t-on de même source. Presque une éternité, dans le contexte politique actuel.

Possible recours à la proposition de loi Buffet-Retailleau sur l’immigration

Quel est ce texte sénatorial dont parle Bruno Retailleau ? En amont de l’arrivée du texte immigration de Gérard Darmanin, qui avait été plusieurs fois repoussé, le groupe LR du Sénat avait déposé pas une, mais deux propositions de loi (PPL), l’une ordinaire, l’autre constitutionnel. Le texte qui pourrait être utilisé et la PPL ordinaire pour « reprendre le contrôle de la politique d’immigration, d’intégration et d’asile », déposé le 1er juin 2023 par François-Noël Buffet, devenu ministre des Outre-Mer et… Bruno Retailleau lui-même.

Cette PPL comportait déjà les mesures qui allaient, plusieurs mois après, être censurées par les Sages dans la loi Darmanin. Elle avait inspiré la version sénatoriale du texte, qui avait été largement durci. L’autre texte, la proposition de loi constitutionnelle sur l’immigration, déposée aussi par Bruno Retailleau et François-Noël Buffet, avait été adoptée en commission, avant d’être finalement retirée de l’ordre du jour de la séance, faute de majorité avec les centristes.

« L’idée, c’est de passer d’abord par le Sénat sur certains textes sensibles »

Si la décision dépend de Michel Barnier, à Matignon, les sénateurs verraient évidemment d’un bon œil qu’un texte d’origine sénatoriale soit la source de la réforme. Passer d’abord par la Chambre Haute, où Michel Barnier dispose de la majorité, permettrait surtout de donner le « la », avant un examen dans une Assemblée éparpillée. « L’idée, c’est de passer d’abord par le Sénat sur certains textes sensibles, pour qu’ils soient examinés sur le fond, avec sérénité et avec sérieux », explique la sénatrice LR, Agnès Evren, au micro de Public Sénat. Regardez :

« On va l’aider à construire ses textes », assure la sénatrice LR Jacqueline Eustache Brinio, « l’idée, c’est de trouver la voie la plus efficace et la plus rapide possible. Et que ce soit mis en action le plus rapidement possible ». Reste à voir qui défendra la PPL, ses deux auteurs devenus ministre. La sénatrice LR du Val-d’Oise, membre de la commission des lois, serait prête à le faire, « pourquoi pas », mais « la question n’est pas tranchée ».

« C’est mieux de séparer les textes », selon Marc-Philippe Daubresse

Pour Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord, « il vaut mieux deux textes différents », autant pour des raisons de fond, que politiques. Explications : « La transposition de la directive asile et immigration est excellente pour la protection de l’Europe à ses frontières. Mais le texte dit qu’il faut répartir les migrants dans différents pays d’Europe. Or cette transposition va poser problème à une partie de l’hémicycle », met en garde l’ancien ministre. Suivez mon regard. « Les parlementaires RN n’ont pas voté la directive au Parlement européen, au motif qu’on répartit les migrants. Donc si on l’applique à la lettre, évidemment que ça ne passe pas avec les députés RN, qui ne vont pas la voter. Il n’y aura pas de majorité pour le voter », prévient ce membre de la commission des lois.

En revanche, Marc-Philippe Daubresse pense que les débats seront plus faciles sur la PPL Buffet-Retailleau. « On reprendrait ce texte, qui serait voté sans difficulté au Sénat, où il a fait l’objet d’un compromis avec les centristes, et en toute logique, il devrait l’être à l’Assemblée, où les mêmes mesures ont été votées par le RN, telles quelles », avance le sénateur LR. Or « si vous mettez toutes les difficultés dans le même panier, il y a plus de chance que ce ne soit pas voté, que de chance que ce le soit. Donc c’est mieux de séparer ». C’est le retour du « saucissonnage » alors ? « Je n’appelle pas ça le saucissonnage, j’appelle ça de la cohérence ». Et d’insister :

 Dans un contexte explosif, on ne met pas deux grenades dans le même panier, on sépare les risques. 

Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord.

L’enjeu du remplacement de Laurent Fabius à la tête du Conseil constitutionnel

Examiner un projet de loi puis une proposition de loi prendrait en revanche plus de temps dans le calendrier parlementaire. Reste à voir si Michel Barnier est prêt à renvoyer ce message. Marc-Philippe Daubresse n’y voit pas lui un problème, au contraire…

« Comme ça va durer un certain temps, le Conseil constitutionnel, quand il sera saisi, ne sera plus présidé par Laurent Fabius quand il aura à en juger. Ses fonctions s’achèvent en mars. Comme le Conseil n’est pas un arbitre impartial, mais dans un rôle très idéologique depuis pas mal de temps, ça change la donne », pense le sénateur LR du Nord. Autrement dit, il y aurait moins de chance que les Sages censure des dispositions du texte.

« Il faudrait que les députés Renaissance arrêtent de jouer dans la cour des grands, quand ils n’y sont plus »

Si le RN pourrait peut-être suivre, l’adoption de la proposition de loi ne serait en réalité pas si évidente, à l’Assemblée. Car elle divise fortement la majorité relative de Michel Barnier. « Faire une loi pour une loi, ça n’a pas de sens », avait dit son prédécesseur, Gabriel Attal, à la tête du groupe EPR (Renaissance). Pour Elisabeth Borne, c’est carrément « une mauvaise idée de passer son temps à vouloir remettre des lois, alors même que les décrets d’application ne sont même pas pris », a-t-elle renchéri hier sur France Inter.

Des questionnements qui ne passent pas, chez les LR. « Comme les mesures avaient été votées par les deux assemblées, le socle commun macroniste et LR, il y a quelques mois, il faudrait que les députés qui l’ont voté et qui ne le veulent plus aujourd’hui, nous expliquent pourquoi », s’étonne Marc-Philippe Daubresse. « Il faudrait que les députés Renaissance acceptent qu’ils n’ont pas de majorité, qu’ils ont perdu le pouvoir et qu’ils écoutent les attentes des Français. Jouer les donneurs de leçon, ça commence à être peu agaçant. Il faudrait qu’ils arrêtent de jouer dans la cour des grands, quand ils n’y sont plus », s’agace Jacqueline Eustache Brinio.

« Si ça passe grâce aux voix du RN, ça passera grâce aux voix du RN, tant mieux »

Pour trouver une majorité, il faudra peut-être compter sur les députés RN. Pas vraiment un problème pour la droite. « Si ça passe grâce aux voix du RN, ça passera grâce aux voix du RN, tant mieux », lâche une députée LR, qui ajoute : « Qui nous aime nous suive ! » Bruno Retailleau pourra au moins s’appuyer, avec certitude, sur les députés de sa famille politique. Il a d’ailleurs reçu, mardi soir, les députés du groupe de la Droite Républicaine, présidés par Laurent Wauquiez. Le ministre s’est montré « déterminé et résolu », selon une participante. « C’est important d’être à ses côtés, car il incarne une rupture », avance cette même députée, « il y a un avant et un après. Lui, c’est la parole des Français. C’est le ministre du terrain ». Pour Bruno Retailleau, qui multiplie les prises de parole dans les médias, comme lorsqu’il était dans l’opposition, l’enjeu et la difficulté seront de passer des paroles aux actes. Pour cela, il devra réussir à faire adopter ses textes.

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