Dès son entrée en fonction, Bruno Retailleau avait promis d’utiliser « tous les leviers » pour réduire l’immigration, aussi bien légale qu’illégale. En attendant une potentielle nouvelle loi immigration, le ministre de l’Intérieur va pour le moment passer par la voie réglementaire.
Le 8 octobre dans son discours aux préfets, le ministre a demandé aux préfets de « s’impliquer personnellement dans ce combat pour réduire l’immigration ». La consigne est limpide : « Eloignez plus et régularisez moins ».
« Il appartient au ministre de l’Intérieur de fixer un cadre »
Pour cela, les représentants de l’Etat auront à leurs dispositions deux nouvelles circulaires. La première portera sur le rôle des préfets dans ce nouveau pilotage de la gestion de l’immigration, la seconde remplacera la circulaire Valls de 2012 sur l’admission exceptionnelle au séjour. Une circulaire qui ne donne pas de droit opposable à la régularisation mais permet aux préfets, qui gardent un pouvoir discrétionnaire, de régulariser au cas par cas, selon des critères familiaux ou de travail. « L’idée sous-jacente était déjà de faire reposer l’admission exceptionnelle au séjour à des critères d’intégration. La loi, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit la régularisation (CESEDA), prévoit la régularisation des étrangers en situation irrégulière que ce soit par le travail ou la famille. Il appartient ensuite au ministre de l’Intérieur de fixer un cadre. Un cadre qui n’est opposable pas aux préfets », explique Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes.
« J’espère que les préfets auront une obligation de résultat dans cet objectif de réduction des régularisations »
La dernière loi immigration avait durci les conditions d’obtention d’un titre de séjour, en renforçant les critères de maîtrise de la langue française, mais également en le subordonnant à la signature d’un contrat d’engagement de respect des principes de la République. La nouvelle loi autorise également à titre exceptionnel la délivrance d’une carte de séjour « travailleur temporaire » ou « salarié » d’une durée d’un an, aux étrangers en situation irrégulière exerçant dans les métiers en tension. Une possibilité prévue par la loi, dont pourront se saisir les préfets lorsque la liste des métiers en tension sera publiée. Elle n’a toutefois pas été évoquée par le ministre de l’Intérieur. Le patron du Medef, Philippe Martin indiquait pourtant il y a 15 jours « faire confiance aux préfets » pour appliquer cette mesure. « Ce n’est pas le Medef qui a la charge de la politique migratoire dans ce pays. Supprimer la circulaire Valls qui a fait son temps, était une vraie nécessité. J’espère que les préfets auront une obligation de résultat dans cet objectif de réduction des régularisations », soutient la sénatrice LR, Jacqueline Eustache-Brinio. « Entrée illégale = pas de régularisation. Félicitations à Bruno Retailleau de mettre en place cette mesure de bon sens que nous réclamions au sein de notre groupe et lors des lois immigration depuis longtemps », a salué sur X, la sénatrice LR, Valérie Boyer.
« En supprimant la circulaire Valls, le ministre est largement dans l’effet d’annonce. Nous avons déjà connu des critères stricts de régularisation comme en 2006 sous Nicolas Sarkozy. Mais il faut bien comprendre que les régularisations sont une soupape de sécurité pour les préfets, qui sont sollicités par des employeurs, étudiants, ou des particuliers qui emploient des aides à domicile, par exemple. Ils ne peuvent pas ne pas régulariser sinon le système explose », objecte Serge Slama. Matthieu Tardis, codirecteur de Synergie Migration (centre de recherche sur les questions d’asile, d’immigration et d’inclusion) indique pour sa part « que la cohérence voudrait que l’on s’assure déjà de pouvoir éloigner les personnes avant de réduire les régularisations. Personne n’a intérêt à ce qu’il y ait trop de personnes en situation irrégulière sur notre territoire ».
Sur ce point, Bruno Retailleau a indiqué vouloir utiliser les nouvelles possibilités, prévues dans la nouvelle loi, pour lever les protections contre l’éloignement ou l’expulsion, (lire notre article sur ce sujet). S’appuyant sur les circonstances du meurtre de la jeune Philippine, le locataire de Beauvau est également revenu sur la volonté du Premier ministre, Michel Barnier de rallonger la durée de rétention des étrangers en situation irrégulière. « Sans attendre une évolution législative », Bruno Retailleau demande aux préfets de faire appel, systématiquement, de chaque décision de libération d’un centre de rétention administratif pour les étrangers auteurs de troubles graves à l’ordre public. Et ce même si l’appel n’est pas suspensif.
A contre-courant d’une mission du Sénat
« Il y a une volonté de la part Bruno Retailleau de mettre la pression sur les préfets pour réduire les régularisations à une portion congrue. En tant qu’ancien ancien adjoint au logement à Paris, je sais que cette circulaire permettait de résoudre des situations concrètes. Sans possibilité de régularisation, des milliers de personnes supplémentaires se verront contraintes de s’entasser dans des centres d’hébergement saturés ou, pire, à la rue, aggravant une situation sociale et humanitaire déjà critique. Car, sans titre de séjour, impossible d’effectuer une demande de logement social », rappelle le sénateur communiste Ian Brossat.
Hasard du calendrier, une mission d’information transpartisane du Sénat sur les femmes sans abri, à laquelle a participé sénatrice LR, Agnès Evren demande cette semaine aux préfets « un effort particulier » pour régulariser les femmes sans abri en situation irrégulière, dans le cadre de la circulaire Valls afin de répondre à « l’embolie » des places d’accueil.