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Immigration : la difficile recherche de compromis entre LR et les sénateurs centristes sur les métiers en tension
Par François Vignal
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Le projet de loi immigration va-t-il changer de nature après l’assassinat de Dominique Bernard, dans son lycée à Arras, et l’attentat de Bruxelles ? Aux yeux des LR, la tragique actualité leur donne raison. Ils veulent ne garder que la partie la plus dure du texte, pour mieux supprimer la disposition sur la régularisation des métiers en tensions. Pour l’exécutif, au contraire, il faut justement adopter son texte pour mieux lutter contre le risque terroriste, faisant au passage le lien entre immigration et terrorisme.
Les regards se concentrent sur le Sénat, où le texte va commencer son examen. Ou plutôt reprendre, avec son arrivée en séance le 6 novembre, puisqu’il a déjà été adopté en commission des lois en mars dernier.
L’actualité « ne peut que nous renforcer »
Ce mardi matin, avant la réunion hebdomadaire du groupe LR, le son de cloche était unanime. Les événements vont « changer fortement les choses », pense Olivier Paccaud, sénateur apparenté LR de l’Oise, « ça ne peut que nous renforcer ». « Est-ce que le climat actuel amène à se poser la question de l’article 3 (sur les métiers en tension, ndlr) et de l’article 4 (qui permet aux demandeurs d’asile de travailler dès le dépôt de leur demande de régularisation) ? C’était déjà le cas avant, et la réponse est oui », soutient Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire.
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« Le gouvernement ne peut pas s’abstenir d’entendre le message qu’on porte », demande Christine Lavarde, sénatrice LR des Hauts-de-Seine, pour qui « il serait sage de retirer les articles 3 et 4. Pour moi, ce sont deux sujets séparés ». Pour la sénatrice LR de l’Aisne, Pascale Gruny, « forcément, ça nous amène des preuves qu’il faut être très prudent. On voit l’origine des personnes qui font des attentats en Europe. Le texte va nous conforter ». « Ça va montrer que plus que jamais, il faut être intransigeant et très ferme », lance la nouvelle présidente LR de la commission des affaires économiques, Dominique Estrosi Sassone, qui renvoie vers la voie « discrétionnaire » pour les régularisations, via les préfets.
« On veut durcir le texte et le ministre de l’Intérieur dit qu’il espère que les LR vont voter un texte mollasson »
Le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, n’entend pas bouger de sa ligne évidemment. « Nous, on veut durcir le texte et le ministre de l’Intérieur dit qu’il espère que les LR vont voter un texte mollasson. Le texte est mué sur plein de choses, sur le code de la nationalité, sur les mineurs non-accompagnés, sur le regroupement familial. La commission des lois a fait son travail et on l’a durci. Mais il faut le durcir encore », lance le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau, invité ce mardi matin de la matinale de Public Sénat.
Depuis des semaines, l’article 3 sur la régularisation des métiers en tension constitue une ligne rouge. Il y voit « une nouvelle pompe aspirante en donnant un droit automatique à la régularisation à ceux qui ont fraudé en entrant irrégulièrement sur notre territoire »
Mais les LR ne pourront pas faire ce qu’ils veulent sur le texte. Car le groupe Union centriste d’Hervé Marseille, sans qui les LR n’ont pas de majorité au Sénat, est de son côté en faveur de l’article 3… Une solution est mise sur la table par la droite depuis des mois. C’est passer par la voie réglementaire. François-Noël Buffet, président LR de la commission des lois, l’évoquait déjà fin 2022, quand les ministres Darmanin et Dussopt avaient présenté les grandes lignes du texte.
« Il y a de tout temps un pouvoir discrétionnaire donné aux préfets », rappelle Bruno Retailleau
Bruno Retailleau la rappelle aujourd’hui. « Il y a de tout temps un pouvoir discrétionnaire donné aux préfets, environ 7.000 (régularisations) par an. C’est très différent. Un préfet ne va pas seulement contrôler s’il y a bien un emploi dans un secteur en tension. Il va aussi contrôler à 360 degrés la capacité d’assimilation de l’individu, et ça reste bien sûr exceptionnel. Hors de question de passer par la loi. En revanche le pouvoir discrétionnaire des préfets, de l’Etat », semble une voie de sortie, avance Bruno Retailleau. Mais pour lui, « ce n’est pas un compromis c’est la situation actuelle ».
Reste à trouver un terrain d’entente avec l’Union centriste. « Il y a un dialogue avec nos amis centristes et je pense que nous trouverons un point d’atterrissage pour qu’il n’y ait ni article 3, ni article 4 », espère Bruno Retailleau. A défaut, quitte à être mis en minorité, le sénateur LR de Vendée prévient :
« Pour l’Union centriste, nous estimons qu’un article 3 est nécessaire. Un article 3 peut-être différent de sa rédaction initiale » affirme le rapporteur Philippe Bonnecarrère
Si les LR sont durs en affaires, les centristes aussi. Bien que cette idée de la voie réglementaire pour les régularisations semblait ces derniers jours pouvoir être un compromis possible, les centristes n’entendent pas accepter sans broncher les demandes LR. « Pour l’Union centriste, nous estimons qu’un article 3 est nécessaire. Un article 3 peut-être différent de sa rédaction initiale », prévient de son côté le sénateur centriste Philippe Bonnecarrère, corapporteur du texte avec la sénatrice LR Muriel Jourda. « Il faut en particulier un article 3 qui supprimerait l’obligation d’avoir l’autorisation écrite de l’employeur pour demander la régularisation. Là, c’est totalement injuste, l’employeur qui ne donne pas sa signature peut maintenir son salarié dans une situation « d’esclavage moderne ». Nous souhaitons que ce soit le cœur de l’article 3 demain », soutient le sénateur centriste du Tarn, qui ajoute que l’emploi de sans-papiers, comme dans la restauration, « favorise les trappes à bas salaire ».
Sur la voie réglementaire, « on est d’accord sur ce principe. Sauf que nous souhaitons pouvoir le garder dans l’article 3, notamment pour résoudre cette question de l’autorisation de l’employeur, qui ne nous semble plus avoir lieu d’être. Donc on n’est pas très loin. Ça passe par un article 3 modifié, mais un article 3 », insiste Philippe Bonnecarrère. Peut-on imaginer d’écrire, dans le dur du texte de loi, que la voie discrétionnaire du préfet est une possibilité ? « Oui, on peut le faire. Le droit de la nationalité mélange des dispositions législatives et réglementaires ».
Pour le rapporteur centriste, les attentats amènent « un devoir de responsabilité dans le traitement du sujet, et une obligation de résultats, pour faire aboutir un texte efficace et utile ». Il sait bien que « la force de l’émotion des attentats commis entraîne une dramatisation de la situation qui peut entrainer un raidissement des positions ». Mais Philippe Bonnecarrère souligne que « le rôle du Sénat a changé, qu’avec l’absence de majorité à l’Assemblée, le point d’équilibre institutionnel se fait au Sénat ». C’est pourquoi « il nous appartient d’être en mesure d’aboutir sur un texte qui soit solide, cohérent et susceptible d’être voté par l’Assemblée nationale », où l’aile gauche de la majorité défend, Sacha Houlié en tête, l’article sur les métiers en tension. Autrement dit, les centristes, qui comptent dans leurs rangs, rappelons-le, des soutiens de la majorité présidentielle, ne veulent pas se limiter aux portes du Sénat dans leur position.
« Il ne faut aucune trace, aucune résonance de l’article 3 », prévient Bruno Retailleau, qui ne veut « pas d’entourloupe »
Pas sûr que du côté LR, on soit prêt à lâcher. « Il ne faut aucune trace, aucune résonance de l’article 3 », nous confiait Bruno Retailleau en fin de semaine dernière. « Il ne peut pas y avoir un bricolage, le moindre mécanisme qui subsiste de l’article 3. Pas d’entourloupe », insiste le président du groupe LR. A bon entendeur…
Philippe Bonnecarrère souligne lui que « le groupe UC a fait d’importants efforts pour trouver un compromis ». Des centristes qui s’imaginent en point d’équilibre :
Le rapporteur UC compte sur « les 15 jours qui viennent. Ils doivent nous permettre de trouver un terrain d’entente. Sinon, comme toujours dans la vie parlementaire, ça se termine par un vote ».
Les centristes « très réservés » sur la PPL Retailleau pour étendre le champ de l’article 11 à l’immigration
Si Bruno Retailleau et son groupe se retrouvent mis en minorité sur la question des métiers en tensions, il pourra toujours tenter de se rattraper sur la Constitution… ou pas. Le président du groupe LR a en effet déposé une proposition de loi (PPL) constitutionnelle pour élargir le champ de l’article 11 aux questions liées à l’immigration. « Nous voulons un référendum, élargir l’article 11, qui permettrait d’avoir un référendum sur cette question. Car quand le peuple tranche, le Conseil constitutionnel s’incline », explique ce matin le sénateur de Vendée. Le texte sera examiné lors de la « niche parlementaire » LR du 12 décembre prochain.
On sait combien réviser la Constitution, et avoir la majorité des 3/5 au Parlement, est compliqué. Mais « s’il ne se passe rien, ça crante le sujet », explique-t-on chez les LR. Autrement dit, le texte, même s’il ne va pas au bout, peut jouer le rôle de marqueur politique pour la droite.
Mais il n’est même pas sûr que la PPL soit adoptée au Sénat. La faute – ou grâce, selon comment on se place – aux centristes, de nouveau… « Sur la proposition de loi constitutionnelle de Bruno Retailleau, nous sommes très réservés sur l’extension du référendum aux sujets de l’immigration. Et nous sommes tout à fait défavorables à l’article qui viserait à se soustraire aux règles conventionnelles et au règles européennes, lorsque les intérêts fondamentaux de la Nation le justifieraient. Pour nous, c’est une forme de Brexit. Cela revient à accepter que chaque pays, au sein de l’Europe, puisse fixer ses propres règles », met en garde Philippe Bonnecarrère, « et cette idée qu’on pourrait faire abstraction des règles pendant un certain laps de temps, vient percuter l’Etat de droit. Il est souvent critiqué mais il est précieux ». La recherche, parfois difficile, d’une majorité, n’est pas toujours l’apanage de l’Assemblée.
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