C’est une « décision-cadre » de la Défenseure des droits, qui n’a pas de valeur contraignante pour l’Etat et son administration, mais qui vient parachever une série de décisions de justice pointant le non-respect du cadre européen dans le contrôle de la frontière franco-italienne.
Dans cette décision, Claire Hédon, à la tête de l’autorité administrative indépendante, rappelle tout d’abord que « concernant les frontières intérieures (de l’Union européenne), le principe est la libre circulation des personnes » conformément au règlement européen dit code frontières Schengen. « Le droit de l’UE assure ainsi l’absence de tout contrôle des personnes aux frontières intérieures, quelle que soit leur nationalité, lorsqu’elles franchissent les frontières », rappelle-t-elle.
Rétablissement du contrôle aux frontières en 2015
Or, en 2015, à l’approche de la COP 21, la France avait rétabli le contrôle à ses frontières. Saisi en référé par des associations, le Conseil d’Etat avait estimé dans un premier temps « que les contrôles pratiqués ne faisaient « pas apparaître de méconnaissance manifeste du cadre légal que ce soit par leur ampleur, leur fréquence ou leurs modalités de mise en œuvre ». « Ces contrôles ne sont donc pas équivalents à un rétablissement d’un contrôle permanent et systématique à la frontière franco-italienne », avait établi le juge administratif.
Ces neuf dernières années, la France a alors notifié à la Commission européenne sa décision de procéder à ces contrôles tous les 6 mois. Mais en septembre 2023, alors que le Parlement s’apprêtait à examiner le projet de loi immigration, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé « l’obligation pour les États membres de l’Union européenne, d’appliquer les garanties juridiques minimales prévues par la directive européenne dite « retour aux personnes qui sont interpellées à la frontière intérieure, afin que leurs droits fondamentaux soient respectés ».
Le 2 février 2024, le Conseil d’Etat a suivi la CJUE en rendant inapplicable un article du Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) qui permettait aux autorités françaises de refouler en quelques heures les étrangers en situation irrégulière sans accord de réadmission avec les autorités italiennes. « La décision du Conseil d’Etat est très complexe et laisse une marge de manœuvre au ministère de l’Intérieur. Elle prend néanmoins en compte la décision de la CJUE. Et la Défenseure des droits a pu constater sur le terrain le non-respect des standards de la directive retour qui garantit un minimum de droits et assure qu’il n’y ait pas d’arbitraire dans le traitement des demandes d’asile ou la prise en charge des mineurs non accompagnés. Ce n’est pas la première fois que la Défenseure des droits émet ces observations. Toutefois, cette nouvelle décision-cadre démontre que même après les décisions de la CJUE et du Conseil d’Etat, la situation ne change pas à la frontière italienne », observe Nicolas Hervieu, enseignant à Sciences Po et juriste spécialisé en droit européen des droits de l’homme.
Familles et mineurs « enfermés sans fondement légal et dans des conditions indignes »
En effet, la Défenseure des droits a constaté l’existence de « procédures et pratiques qui ne sont pas conformes à la directive retour, au droit européen et au droit national ». Sont cités, « l’absence de recours à une procédure équitable et transparente, impliquant notamment un examen de la situation individuelle de la personne, la motivation des décisions en fait et en droit ou encore l’accès à l’interprétariat », pour les personnes interpellées. Les équipes de Claire Hédon ont également constaté que des familles, des mineurs et des demandeurs d’asile « se retrouvent enfermés pendant plusieurs heures, voire une nuit entière, dans des locaux présentés comme des espaces de « mise à l’abri », sans fondement légal et dans des conditions indignes ». Parmi les autres griefs, elle retient la non prise en compte des demandes d’asile car les personnes sont considérées comme « non-entrées » sur le territoire, et des procédures qui entravent l’accès des mineurs non accompagnés à la protection de l’enfance, en violation de l’intérêt supérieur de l’enfant et des droits des mineurs. En conséquence, la Défenseur des droits appelle le ministère « à faire cesser, dans les plus brefs délais, les procédures et pratiques constatées et à mettre fin aux atteintes multiples portées aux droits des personnes qui sont contrôlées à la frontière franco-italienne ».
Quand Les Républicains fustigeaient la décision du Conseil d’Etat
Il y a deux semaines le président de LR, Éric Ciotti et la tête de liste aux Européennes, François-Xavier Bellamy étaient en déplacement au poste frontière de Menton. Ils avaient alors publiquement déploré la décision du Conseil d’Etat. « Il faut désormais faire une procédure de réadmission qui est longue et compliquée et en cas de nouvelle crise migratoire, il est évident qu’il sera impossible de protéger la frontière. Des policiers et des gendarmes confient que des individus pourtant dangereux et repérés comme tels, sont malgré tout relâchés parce qu’il n’est pas possible de les garder », avait fait valoir François-Xavier Bellamy.