Ils étaient une petite vingtaine d’élus autour de la table de Gérald Darmanin pour un déjeuner de travail, ce jeudi. Au menu des discussions, le projet de loi immigration qui arrive en séance publique le 6 novembre et qui divise la majorité sénatoriale de la droite et du centre, pourtant déterminée à légiférer sur ce sujet, à tel point qu’un vote n’est pas encore acquis.
Les socialistes et les Républicains déclinent
Le président du groupe LR, Bruno Retailleau avait donné consigne à ses troupes de ne pas s’y rendre. « Le texte, on doit en délibérer au Parlement et certainement pas autour d’une bonne table sous les décors lambrissés des ministères de la République », avait-il justifié. Parmi les LR, seuls François Noël Buffet et la corapporteure du texte, Muriel Jourda, étaient présents.
Du côté des socialistes, aucun élu non plus n’a répondu à l’invitation. « Le travail parlementaire se tient au Parlement et pas dans une réunion de commission des lois délocalisée dans la salle à manger du ministre de l’Intérieur », explique la vice-présidente de la commission, Marie-Pierre de la Gontrie (PS) qui rappelle qu’en début d’année, avant le report de l’examen du texte, Gérald Darmanin et Olivier Dussopt avaient rencontré les présidents de groupe séparément. « Olivier Dussopt a depuis disparu », relève-t-elle.
Et c’est bien le volet régularisation, porté à l’époque par le ministre du Travail, qui coince au sein de la majorité sénatoriale. Les groupes Républicains et centristes ne parviennent toujours pas à trouver un accord sur leur unique point de divergence : la régularisation des sans-papiers dans les métiers en tension. Le fameux article 3 qui permet à un étranger qui travaille durant au moins huit mois dans un de ces secteurs, de se voir délivrer « de plein droit » une carte de séjour temporaire. Pour LR, la mesure n’a rien à faire dans la loi et doit passer par une circulaire, au risque de créer « un appel d’air ». Le règlement viendrait modifier la circulaire Valls de 2012 qui ne permet actuellement les régularisations dans les métiers en tension que si la demande est conjointe de la part de l’employeur et du salarié.
« Il a trouvé étrange que des parlementaires souhaitent passer par un règlement »
Selon nos informations, pour Gérald Darmanin, la voie réglementaire ne signifie pas suppression de l’article 3. « Il a expliqué qu’il fallait garder au moins une partie de l’article 3 pour automatiser le renouvellement des titres de séjour des personnes qui travaillent. Même en passant par un règlement, nous avions besoin d’une accroche législative. C’était d’ailleurs le cas pour la circulaire Valls qui est inscrite dans la loi. Il a trouvé étrange que des parlementaires souhaitent passer par un règlement. Surtout, il a clairement indiqué qu’en passant uniquement par un règlement, on créerait un droit opposable et on augmenterait le nombre de régularisation. Soit l’inverse de ce que veulent Les Républicains », rapporte un participant.
Un autre élu complète. « Il y aura des amendements pour adapter l’article 3 aux départements d’Outre-mer comme Mayotte ou la Guyane car, avec le taux de chômage sur place, la notion de métiers en tension n’a pas beaucoup de sens ».
Le ministre semble donc rejoindre la position des sénateurs centristes qui souhaitent, eux aussi, modifier l’article 3 comme l’expliquait le président du groupe, Hervé Marseille, hier. « L’article 3 concerne un périmètre très restreint, la restauration, l’agriculture, le bâtiment. 7 000 personnes, des gens qui travaillent, qui ne sont pas toujours en situation régulière […] Les Républicains sont d’accord avec nous pour dire qu’on peut régler tout ça par la voie d’une circulaire, en modifiant la circulaire Valls. Le seul point (de divergence) c’est qu’on puisse dire dans l’article 3, ou un autre, qu’on va changer la circulaire ».
L’article 4 pas encore enterré
En ce qui concerne l’article 4, une autre ligne rouge de la droite sénatoriale qui vise à permettre aux demandeurs d’asile de travailler dès le dépôt de leur demande de régularisation, Gérald Darmanin « aurait été moins clair » selon les dires des sénateurs. « On a compris qu’il ne serait pas contre sa suppression mais qu’il fallait quand même trouver une solution pour conserver certaines choses dans la loi, par exemple les travailleurs qui ont obtenu l’asile dans un autre pays européen et qui travaillent en France ».
« Sachez que ce n’est pas à ce déjeuner que les choses vont se résoudre », avait prévenu, mercredi, le président LR de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet. Il est temps que l’examen du texte commence.