Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Il y a quarante ans, après des jours d’incertitude, le Sénat abolit la peine de mort
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Il y a quarante ans, jour pour jour, le Parlement adoptait définitivement, par un vote du Sénat, le projet de loi portant abolition de la peine de mort. Le 30 septembre 1981, douze jours après les députés, la chambre haute votait en faveur du texte par 161 voix, contre 126. L’issue positive de la proposition emblématique du Programme commun de la gauche était pourtant très loin d’être assurée dans cette chambre dominée par une opposition de centre-droit.
La phase d’examen en commission des lois n’avait d’ailleurs laissé aucun indice sur le sort du texte. Le premier rapporteur désigné par ses collègues, Edgar Tailhades (PS), démissionne rapidement. C’est le sénateur centriste Paul Girod qui lui succède. Son rapport, chargé d’éclairer les débats en séance, ne prend pas position, ni dans un sens, ni dans l’autre. La commission est profondément divisée.
Le rapporteur du Sénat s’en remet à la « conscience » de l’hémicycle
Il écrit : « Compte tenu de la position prise par la commission – et celle-ci ne constitue, à l’évidence, que le reflet des incertitudes de beaucoup d’entre nous -, votre rapporteur ne peut, en définitive, que s’en remettre à la sagesse du Sénat, et aussi à la conscience de chacun de ses membres. » Dans son livre L’Abolition (publié chez Fayard en 2000), Robert Badinter raconte qu’il n’était pas optimiste à ce stade de la discussion. « En bref, à la veille du débat au Sénat, tout n’était que confusion, hormis la conviction générale que le texte serait rejeté. »
Compte tenu de la nature du texte, la conférence des présidents du Sénat fixe des conditions d’examen exceptionnelles. Le temps de parole des intervenants n’est pas limité, pas plus que la durée globale des séances. Le gouvernement refuse également d’invoquer la procédure accélérée. « Après deux siècles de débats, on ne pouvait pas demander l’urgence », selon Robert Badinter. Ce qui n'empêchera pas néanmoins certains membres de la majorité sénatoriale de dénoncer la « précipitation » du gouvernement, dans cette session extraordinaire. La discussion générale s’annonce longue : une trentaine d’orateurs sont inscrits.
Un réquisitoire contre « la justice qui tue »
Les débats s’ouvrent le 28 septembre après-midi avec le discours du garde des Sceaux Robert Badinter, sous la présidence de Maurice Schumann. « Le projet que nous vous soumettons, Mesdames, Messieurs les sénateurs, n’a rien d’audacieux, ni de révolutionnaire pour la justice française. Il comble un retard international et s’inscrit tout simplement dans l’évolution nécessaire de notre justice nationale », débute en préambule le ministre. Lequel s’excuse d’ailleurs pour sa « voix voilée ». « Ce n’est point l’émotion, ce n’est pas encore la conséquence de la fatigue ; c’est simplement le malencontreux hasard d’une rencontre avec une nappe de brouillard. » De brouillard, il en est aussi question sur le destin de son projet de loi au Sénat. Son discours s’attarde sur la comparaison avec les autres Etats de la Communauté européenne, où la France fait encore figure d’exception. De quoi interpeller les bancs centristes de l’hémicycle, très attachés à la construction européenne.
Sur un ton modéré visant à dépassionner le débat, Robert Badinter reprend de nombreux arguments déjà mis en avant lors de la lecture l’Assemblée nationale et s’adresse à la « conscience des sénateurs ». Il relève ensuite « l’absence de corrélation entre l’évolution de la criminalité́ sanglante et la présence ou l’absence de la peine de mort ». « Un tel pouvoir absolu de vie et de mort n’est pas acceptable dans une démocratie, d’autant plus qu’il s’exerce au nom du peuple français : chacun de nous se trouve impliqué par l’éventuelle décision de mort prise dans ces conditions », poursuit-il.
Le ministre veut aussi marquer son opposition dès le premier jour à un amendement souhaitant limiter la peine de mort à l’assassinat d’un agent de la force publique. « Il ne peut pas, en France, exister de privilège pénal au profit d’un corps ou d’une profession, aussi respectables soient-ils », expose-t-il. « Ceux qui veulent une justice qui tue sont animés par une double conviction. D’une part, il y aurait des hommes totalement coupables, c’est-à-dire totalement responsables de leurs actes ; d’autre part, il pourrait exister une justice infaillible au point de décider que celui-ci doit vivre et cet autre mourir. »
Au cours de la discussion, plusieurs sénateurs, comme les radicaux Henri Caillavet et Edgar Faure expliquent que sur un tel sujet, il faudrait consulter les Français par référendum. Le deuxième décide de retirer sa motion de procédure, portant sur une exception de constitutionnalité, anticipant le peu de chances de succès. Le premier s’inquiète du risque « d’aboutir à une justice privée », si l’abolition était votée.
« Prenez garde à votre responsabilité ! » prévient un sénateur RPR
Tout au long de l’après-midi, les débats s’enchaînent avec passion. « Prenez garde à votre responsabilité ! Vous voulez supprimer une justice qui tue ? N’acceptez pas que cette justice qui tue des coupables — qui a tué, car elle ne tuera plus — soit demain remplacée par une justice qui laissera tuer des innocents », s’inquiète notamment le sénateur RPR Pierre Carous. « L’erreur judiciaire existe et s’il n’y avait que ce risque-là, ce serait une raison suffisante pour supprimer la peine de mort », objecte le sénateur PS Michel Dreyfus-Schmidt.
La discussion générale reprend le lendemain, et se prolonge de 16 heures à 23 heures. La nuit n’a pas adouci la vigueur des interventions. Un nouvel obstacle, sur le chemin menant vers l’abolition, tombe à l’issue de la longue discussion générale. La « question préalable », déposée par Max Lejeune (un ancien socialiste siégeant au groupe centriste de la Gauche démocratique), est rapidement rejetée, 185 voix, contre 107. Lui aussi défendait l’idée d’une consultation référendaire. « Le gouvernement, lorsqu’il vous a saisi de ce projet de loi, a agi conformément à la Constitution. Il n’avait pas d’autre voie. Ce faisant, il ne songeait pas un instant à échapper à l’opinion publique », explique Robert Badinter. Il est minuit passé. Sur les conseils du gaulliste Maurice Schumann, le garde des Sceaux décide de ne pas prolonger les débats dans la nuit. « Ils sont fatigués, vous allez à l’échec », lui aurait confié l’ancien ministre.
Des « conciliabules » dans les couloirs du Sénat
Dans son livre « L’Abolition », l’ancien garde des Sceaux relate l’ambiance en dehors de l’hémicycle. Il prend conscience peu à peu que quelque chose est en train de se jouer au sein de la Haute assemblée et que la chambre parlementaire… parlemente. « Plus que dans les discours qui se succédaient à la tribune, je percevais, lors des suspensions de séance, une animation singulière dans les couloirs et les salons velours et or du Sénat. De petits groupes animés se formaient, se défaisaient, des conciliabules se tenaient dans les embrasures. La buvette, haut lieu de la tradition républicaine, bruissait de rumeurs. »
Au troisième jour, dans la matinée du mercredi 29 septembre, l’épilogue arrive. Les sénateurs repoussent d’abord, par 174 voix contre 113, un amendement d’Edgar Faure qui souhaitait limiter la peine de mort à deux exceptions : l’assassinat d’un agent de la force publique ou celui d’un mineur de moins de quinze ans. « Chacun savait que si l’amendement d’Edgar Faure était rejeté, la voie était ouverte à l’abolition. Le moment était décisif », rappelait en 2000, Robert Badinter. L’article 1 est mis aux voix, dans la foulée, par scrutin public, c’est-à-dire avec un décompte précis du rapport de force. L’article, qui dispose que la « la peine de mort est abolie », est adopté par 161 voix contre 126. Plusieurs sénateurs de l’ancienne majorité l’ont soutenu. Les articles, plus techniques, sont adoptés les uns à la suite des autres.
Il n’est pas loin de treize heures quand le projet de loi est voté à main levée. Les socialistes ont retiré leur demande de scrutin public. Voté dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée nationale, sans amendement, le texte n’ira pas loin dans la navette parlementaire. Il est définitivement adopté. C’est le scénario idéal pour Robert Badinter, qui redoutait à la fin, une « loi votée à l’arraché », avec un dernier mot donné à l’Assemblée nationale. Le 9 octobre, la loi est promulguée et la France devient le 35e Etat dans le monde à abolir la peine capitale. Par son vote, le Parlement a réalisé le rêve de l’écrivain et sénateur Victor Hugo. « Heureux si l’on peut dire de lui : en s’en allant, il emporta la peine de mort. »
- Retrouvez le discours prononcé par Robert Badinter le 28 septembre 1981 au Sénat :