Alors que le parti lepéniste est déjà en plein procès avec l’institution européenne – qui menace la candidature de Marine Le Pen en 2027 –. Jordan Bardella s’est vu refuser par le Parlement européen l’embauche de François Paradol, son directeur de cabinet, comme assistant parlementaire local. Neuf autres eurodéputés RN, élus en juillet dernier, seraient dans la même situation.
La lettre de refus du Parlement européen à Jordan Bardella, que Le Monde s’est procurée, mentionne le risque que « les ressources de l’Union européenne soient utilisées à d’autres fins que celles auxquelles elles sont censées être affectées, notamment au profit d’un mouvement politique ». Pourtant, François Paradol était déjà rémunéré pour le même travail d’assistant parlementaire local lors du dernier mandat européen de Jordan Bardella. Contrairement aux assistants parlementaires installés à Bruxelles, lui, est chargé d’expliquer le travail de son eurodéputé en France.
« Le Parlement européen regarde de plus près les activités du RN »
« Le Parlement européen resserre les boulons », indique Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’Union européenne. « Avec le procès en cours, il regarde de plus près les activités du Rassemblement national. D’autant qu’il a été agacé par la ligne de défense de Marine Le Pen. La cheffe de file des députés RN a affirmé que son parti était totalement innocent et que c’est le Parlement européen qui a une vision trop étroite de ce qu’est un assistant parlementaire », poursuit-il.
Vingt-cinq personnes, dont Marine Le Pen, sont jugées depuis le 30 septembre devant le tribunal correctionnel de Paris. Elles sont soupçonnées d’avoir mis en place, entre 2004 et 2016, un « système de détournement » de l’argent versé par l’UE destiné à l’embauche de collaborateurs parlementaires pour financer les activités politiques du parti. Le parquet a requis cinq ans de prison à l’encontre de Marine Le Pen, dont deux ans ferme aménageables, 300 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, ce qui signifie qu’elle s’appliquerait immédiatement en cas de condamnation. Le verdict sera rendu le 31 mars 2025.
« Ce qui me surprend c’est l’entêtement de Jordan Bardella et du Rassemblement national »
Le cas de François Paradol se situe « dans la même logique que les accusations contre le RN au procès », indique Olivier Costa. « Le Parlement européen entend bien que Jordan Bardella ne fasse pas payer son directeur de cabinet avec l’argent de l’Union européenne alors qu’on sait très bien qu’il ne travaille pas pour l’UE », poursuit le directeur de recherche au CNRS. Et d’ajouter : « Ce qui me surprend, c’est l’entêtement et le manque de prudence de Jordan Bardella et du Rassemblement national ».
François Paradol est un proche de Jordan Bardella depuis les premières réunions militantes de celui-ci dans les années 2010. L’homme de 37 ans dirige son équipe de collaborateurs au siège du parti à Paris. Mais d’autres responsabilités l’occupent. Notamment son mandat de conseiller régional d’Ile-de-France, son siège au conseil d’administration d’Ile-de-France Mobilités et sa fonction bénévole de président de l’Association de financement du RN. Depuis 2020, il est également assistant parlementaire local de l’eurodéputé Jordan Bardella. C’est en voulant renouveler ses fonctions, après sa réélection, que le président du parti s’est heurté au refus du Parlement européen.
Jordan Bardella souhaitait pour son directeur de cabinet un contrat de 21,5 heures par semaine, pour un salaire mensuel brut de 1 815 euros. Ce qui aurait permis de hisser la rémunération totale de François Paradol à 6 027 euros mensuel brut. Selon la lettre du Parlement européen, « étant donné ses responsabilités de président du RN et au vu de la rémunération versée par le RN à M. Paradol, il semblerait que les fonctions d’assistant du président RN de ce dernier dépassent le simple support administratif et représente plus qu’un tiers de temps ». L’institution estime donc impossible de distinguer les missions d’assistant parlementaire local de celles de directeur de cabinet.
Jordan Bardella « décontenancé »
Jordan Bardella assure au Monde avoir été « décontenancé » par la décision de l’institution européenne. « Il n’y a absolument rien de problématique. Mon assistant travaillait sous cette formule lors du mandat précédent, cela avait été validé par le Parlement européen. J’ai été contrôlé régulièrement. Il a produit des questions écrites, des revues de presse liées à l’actualité européenne, des échanges de courriels avec l’équipe d’assistants basés à Bruxelles, des notes liées aux sessions plénières », énumère-t-il. Par ailleurs, le quotidien indique que l’entourage de Jordan Bardella assure que sa demande de contrat ne concerne pas un « deux tiers-temps », comme l’écrit l’institution dans sa réponse, mais un contrat de soixante heures par mois, soit 40 % de son temps de travail.
« Les arguments du Rassemblement national se heurtent aux statuts de 2009 qui sont précis sur les taches du député parlementaire et de ses assistants », indique Olivier Costa, spécialiste des questions européennes. « Les justifications de Jordan Bardella seraient légitimes si le travail d’assistant parlementaire était réaliste pour François Paradol par rapport à son emploi du temps », poursuit-il. Et de comparer avec l’affaire des emplois fictifs de François Fillon : « Ça veut dire quoi travailler ? Penelope Fillon disait lire les journaux et faire des comptes rendus à son mari. Elle aussi faisait des revues de presse. Mais ça ne suffit pas. Il y a des statuts précis ».
François Paradol a formulé un recours auprès de l’administration du Parlement européen et a écrit à sa présidente, Roberta Metsola, pour se plaindre des délais de traitement et de « demandes et exigences excessives ». Le Parlement européen procède à plusieurs vérifications avant d’accepter l’embauche d’un assistant local. Par exemple la capacité d’effectuer les heures qu’il est censé faire ou sur ses activités extérieures. Les eurodéputés peuvent en embaucher dix au maximum. Au total, dix embauches d’assistants parlementaires locaux demandées par le Rassemblement national ont été refusées depuis juillet dernier. Comme celle de l’avocat Alexandre Varaut, qui souhaite enregistrer comme assistante parlementaire locale sa secrétaire historique, à hauteur d’un tiers-temps.