Alors que François Bayrou vient d’annoncer la composition de son gouvernement, l’exécutif peut enfin se mettre au travail, estiment les représentants du bloc central au Sénat. Pour cela, il faudra composer avec le Parti Socialiste tout en ménageant LR qui conditionne encore son soutien au gouvernement. Une tâche périlleuse.
Gouvernement Bayrou : « Il y a une forme d’impasse stratégique », juge le constitutionnaliste Benjamin Morel
Par Henri Clavier
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Même si le gouvernement n’a pas encore été annoncé, les groupes politiques qui soutiennent François Bayrou sont les mêmes que pour le gouvernement précédent. Le gouvernement Bayrou sera-t-il aussi fragile que celui de Michel Barnier ?
Oui, vraisemblablement. Ce n’était pas imprévisible. Pour réussir à obtenir une assise plus large, il aurait fallu réussir à décrocher les socialistes du Nouveau Front Populaire. Il faut se mettre à la place des socialistes, pour eux la possibilité de ne pas censurer dépend d’une capacité de survie en cas de rupture avec les insoumis. Mais l’électorat de gauche est unitaire et le report des voix du centre vers la gauche est très faible. Il serait très difficile pour les socialistes de résister à la pression mise par les insoumis sur l’électorat de gauche si le PS venait à soutenir le gouvernement Bayrou. Depuis son arrivée à la tête du Parti socialiste, Olivier Faure cherche à se détacher de l’image du quinquennat Hollande et réaffirmer l’ancrage à gauche du PS. Donc un accord inter-bloc semble suicidaire pour le PS qui n’y a aucun intérêt et s’exposerait à un risque électoral majeur.
Finalement c’est l’absence de contrat de gouvernement ou d’un accord de non-censure qui empêche de trouver une forme de stabilité ?
Pour faciliter un accord il faudrait a minima une réforme du mode de scrutin, mais les LR n’en veulent pas. Il pourrait y avoir un accord sur la proportionnelle, mais on ne sait pas sur quelle formule. L’inflexion vers la gauche présente un risque de fragilisation par rapport aux LR qui ont rappelé plusieurs fois leur opposition à la présence de personnalités de gauche dans le gouvernement. À partir de là, il y a une forme d’impasse stratégique. L’erreur des premiers pas de François Bayrou n’arrange pas la situation. Personne n’a envie de rentrer dans un gouvernement qui semble foncer dans le mur.
Par ailleurs, pour les socialistes je pense qu’il n’a jamais été question de rentrer dans le gouvernement. L’idée d’un accord de non-censure avec le bloc central s’appuyait plutôt sur la nomination d’un Premier ministre issu du Nouveau front populaire. Dès lors que c’est François Bayrou qui est nommé et qui devrait reprendre le projet de loi de finances au point où il s’est arrêté, le PS ne peut plus vraiment parler d’accord de non-censure. S’il n’y a pas de censure sur le budget, ça revient à soutenir le budget et donc le gouvernement. Avec cette idée d’accord de non-censure, les socialistes se sont retrouvés pris à leur propre piège.
En minorité, François Bayrou devrait donc se heurter aux mêmes écueils que son prédécesseur lors de l’examen des textes budgétaires ?
Effectivement, on se retrouve dans une formule « barnièriste ». Le gouvernement Bayrou sera impopulaire et proposera un budget tout aussi impopulaire. L’impopularité devrait renforcer la posture des oppositions. Est-ce que les socialistes seraient capables d’assumer de voter un budget d’austérité ? Impossible avec la présence des insoumis. Pareil pour les communistes dont le groupe à l’Assemblée nationale dépend des élus réunionnais qui sont proches de LFI.
Donc François Bayrou, comme Michel Barnier, pourrait dépendre du vote de la censure ou non par le Rassemblement national. L’erreur de Michel Barnier c’est d’avoir sous estimé la volonté du RN de censurer, mais en circonscription, les députés du RN étaient mis sous pression par les électeurs. La donne peut être différente sur un même budget si François Bayrou donne l’impression d’être conciliant à l’égard des électeurs du Rassemblement national. On peut imaginer des concessions, comme sur le mode de scrutin, mais là aussi les positions au sein de l’Assemblée nationale sont très différentes et il existe une cinquantaine de formules différentes pour instaurer un scrutin à la proportionnelle.
En revanche, même sans changer le fond des textes budgétaires, c’est-à-dire les 60 milliards d’économies et un déficit public ramené autour de 5 % du PIB, l’opinion publique peut finir par considérer qu’il est urgent d’adopter un budget. Du point de vue du fonctionnement de l’Etat, l’absence de budget va devenir problématique. Dans cette configuration, le RN peut avoir intérêt à ne pas censurer et laisser le gouvernement Bayrou adopter un budget. Mais comme on a joué les catastrophistes en décembre en disant que le pays allait s’effondrer, que les fonctionnaires ne seraient plus payés et que les cartes vitales ne fonctionneraient plus, lorsque l’on dira ça en mars, une bonne partie de l’opinion publique aura du mal à y croire.
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