La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Gouvernement Barnier : vers « une confrontation beaucoup plus frontale qu’avant » au Sénat
Par François Vignal
Publié le
La nomination de Michel Barnier à Matignon a de multiples conséquences. Au Sénat, elle va impliquer un changement de taille : le groupe LR, premier de la Haute assemblée, va passer d’une opposition à Emmanuel Macron à un groupe de soutien à la majorité gouvernementale. Les LR ont en effet décidé de leur soutien à Michel Barnier, toujours membre de leur parti.
Le paysage politique va ainsi changer à la Haute assemblée. Les macronistes étaient jusqu’ici pris en étau par la double opposition de la droite et de la gauche. Seule la gauche restera aujourd’hui opposée au gouvernement. Ce retour au classique clivage droite/gauche va-t-il tendre les débats au Sénat, davantage habitué aux échanges cordiaux ?
« C’est sûr qu’il risque d’y avoir une forme de tension entre la gauche et la droite »
« C’est difficile à dire tant qu’on ne connaît pas la composition du gouvernement. Mais dans la mesure où on peut mettre en place notre politique, c’est sûr qu’il risque d’y avoir une forme de tension entre la gauche et la droite », reconnaît le sénateur LR Laurent Duplomb. « Bien sûr », qu’il pourra y avoir des moments de tensions, soutient ce spécialiste des questions agricoles, « c’est la valeur du débat politique ». Mais Laurent Duplomb tempère. Il ne faut pas s’attendre à une guerre de tranchée comme à l’Assemblée. « Le clivage gauche/droite n’a jamais disparu au Sénat. Mais il a une forme de particularité, car il y a une forme d’entente qui est le socle de la culture sénatoriale. Après, les débats ont toujours été animés sur des sujets de clivage, mais on ne va pas rentrer dans les excès qu’on connaît à l’Assemblée ». La Haute assemblée a déjà connu en effet ces dernières années des moments de tension, comme lors de la réforme des retraites, et sur le texte immigration. Deux textes où LR et macronistes s’étaient rapprochés pour écrire à quatre mains les réformes…
« Ça va forcément changer, car les rapports de force ne sont plus les mêmes », estime pour sa part Philippe Mouiller, président LR de la commission des affaires sociales, « mais est-ce que ça va se tendre ? Je crois que ça va être plutôt lié au texte, plus que sur l’ambiance générale. Des sujets difficiles, on en aurait eu dans tous les cas. Je ne suis pas sûr que ça change fondamentale les choses », avance le sénateur des Deux-Sèvres.
« Une opposition frontale, c’est rester ferme sur nos valeurs mais ça ne veut pas dire obstruction »
Mais difficile de faire comme si de rien n’était. Le changement, c’est maintenant, et à gauche, on s’y prépare. « Ça va changer la donne et j’ai demandé à mes troupes de se préparer à une ambiance différente, de se préparer à ce changement, qui sera très net », explique Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat. Dans la forme, « avant, les ministres avaient quelques applaudissements polis de François Patriat et de Claude Malhuret. Là, il va y avoir les LR », souligne le sénateur PS du Nord. Sur le fond, « on pouvait parfois être soutenus sur telle proposition des groupes de gauche. Là, il faudra poser la question aux LR ».
Si l’ancien ministre de François Hollande promet « une opposition frontale face au couple Barnier / Macron », il précise : « Ça restera policé mais ferme, sans opposition systématique. Opposition frontale, c’est rester ferme sur nos valeurs, mais ça ne veut pas dire obstruction ».
« La centaine de sénateurs de gauche ne va pas laisser marcher sur les pieds, je vous le dis », prévient Patrick Kanner
Avec un retour au pouvoir en total décalage avec le résultat des urnes, Patrick Kanner espère que les LR ne vont pas se laisser griser. « C’est inattendu et inespéré pour eux. Ça faisait 12 ans que les LR étaient écartés du pouvoir. J’espère que cette longue traversée du désert ne va pas donner de mauvais reflexes vis-à-vis de leur opposition. Je ne pense pas, mais il faudra être vigilant pour que les droits de l’opposition soient respectés », avance Patrick Kanner. « Je n’ai pas de doute à l’égard de Gérard Larcher, Bruno Retailleau et Hervé Marseille, mais ils ont des troupes et certains voudront montrer les muscles. Mais la centaine de sénateurs de gauche ne va pas laisser marcher sur les pieds, je vous le dis… Nous représentons un petit tiers des 348 sénateurs. Un petit tiers, ça se respecte », prévient le patron du groupe PS, premier groupe de gauche et maintenant d’opposition.
Thomas Dossus, sénateur des Ecologistes du Rhône, estime qu’« on a vu depuis quelques années une dérive des LR vers la droite la plus dure. On va voir comment elle va se confronter au réel », selon l’écolo, qui rappelle que « le texte immigration et la réforme des retraites, qui a été définie au Sénat, ont clairement été rejetés par la société. On a peut-être une droite sénatoriale déconnectée de la réalité et qui va devoir se confronter à la réalité gouvernementale ».
« On va sortir de l’hypocrisie »
Thomas Dossus en tire une conséquence : « Ça va être plus simple, plus clair pour les gens de suivre les débats, car la seule opposition au gouvernement au Sénat, ce sera le front des groupes de gauche. On arrivera sur une forme plus classique de confrontation bipartisane. Il y avait une forme d’hypocrisie de la droite LR, qui s’opposait dans les mots au gouvernement mais qui a permis au gouvernement de faire voter un certain nombre de textes. Aujourd’hui, on va sortir de cette hypocrisie », lâche Thomas Dossus.
Le communiste Pierre Ouzoulias ne « doute pas que le Sénat va être au cœur du dispositif législatif. Lors de la précédente législature, déjà beaucoup de textes ont commencé leur parcours au Sénat. Ce sera encore plus. Le Sénat sera l’antichambre de la constitution de majorités pour faire passer des textes à l’Assemblée. Il y aura un renforcement du rôle du Sénat » (lire notre article sur le sujet). Pour autant, le sénateur PCF des Hauts-de-Seine ne croit pas à de plus fortes tensions. « On a des usages. Ce qui change, c’est une clarification très forte ». Mais il n’exclut que le ton monte d’un cran si revient le sujet de l’immigration. « Il y a une proposition de loi déposée en janvier sur le bureau du Sénat. Faudra que les centristes nous disent dans quel camp ils sont ? Eux qui nous reprochaient de faire une alliance contre nature avec LFI. Est-ce qu’ils acceptent la tutelle du RN ? » demande Pierre Ouzoulias.
« L’indépendance du Sénat est un acquis historique. Le groupe LR sera en soutien mais nous ne sommes jamais dociles par obligation »
Pour le sénateur LR, Max Brisson, il ne faut pas exagérer les changements à venir. « Le Sénat restera le Sénat. Les clivages politiques ne sont pas du tout comparables à ce qu’ils sont à l’Assemblée. L’indépendance du Sénat est un acquis historique. Le groupe LR sera en soutien, avec un premier ministre issu de ses rangs. Mais nous ne sommes jamais dociles par obligation, par principe, ni jamais dans l’opposition virulente par dogmatisme. Il y a des gênes dans cette maison qui font que nous serons en soutien, tout en étant indépendants et critiques, si nécessaire, en ayant des relations avec l’opposition, dans une capacité à dépasser les divergences, à être dans une démarche transpartisane », soutient le sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques. Toujours est-il que se retrouver, après 12 ans sans être aux manettes, du côté du pouvoir en place à Matignon, va nécessiter une petite période d’adaptation, comme l’explique Max Brisson :
Finalement, celui qui suit les questions d’éducation pour le groupe LR voit avant tout une bonne chose dans la nouvelle configuration. « Le clivage droite/gauche n’est pas mal en soi, c’est même un bien pour la démocratie et la fin du macronisme sera marquée par le retour de ce clivage. Mais ça n’implique pas de s’insulter. Il peut y avoir des moments de tension, on l’a vu. Il y a des textes totems, symboliques, où on peut surjouer. Mais dans la pratique quotidienne, ce n’est pas le cas. Et tous les sénateurs sont attachés à cet esprit je pense », ajoute le sénateur LR.
« On sera sur une confrontation beaucoup plus frontale qu’avant »
« On sera sur une confrontation beaucoup plus frontale qu’avant », pense Thomas Dossus. Mais l’écologiste rappelle aussi qu’« au Sénat, il y a une cordialité républicaine. Cela n’empêche pas des divergences. En réalité, on peut s’opposer sans s’invectiver, comme on le voit à l’Assemblée nationale ». Plus des échanges à fleurets mouchetés qu’une révolution de palais. Ça n’empêche pas d’appuyer où ça fait mal.
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