Zones commerciales bloquées, commerces dégradés ou fermés préventivement, ralentissement des activités : après trois samedis d’actions, le mouvement des Gilets jaunes commence à se faire ressentir sur l’économie. Les premières données montrent un premier aperçu de l’ampleur de l’impact.
La Banque de France a nettement révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour le quatrième trimestre : le produit intérieur brut (PIB) progresserait de 0,2%, contre 0,4% dans sa première estimation. 0,2 point de moins, c’est l’équivalent de 4 milliards d’euros. Dans son enquête mensuelle de conjoncture, publiée ce lundi 10 décembre, l’institution constate que le mouvement des Gilets jaunes « affecte » de nombreux pans de l’économie.
L’activité industrielle, notamment l’agroalimentaire et l’automobile, a stagné en novembre, mais pourrait reprendre en décembre. Le recul est aussi visible dans les services, comme les transports ou la restauration. Un ralentissement est aussi observé dans le bâtiment.
Pour les seuls centres commerciaux, le recul de fréquentation samedi 8 décembre atteint 17% (par rapport au même samedi de 2017), selon le Conseil national des centres commerciaux.
Le scénario budgétaire de Bercy semble désormais hors de portée. Le gouvernement tablait sur une croissance annuelle de 1,7% et avait construit son budget 2018 sur cette base. En septembre, la Banque de France anticipait déjà une croissance plus faible que prévu (à 1,6%), conséquence d’un contexte international « plus incertain » et d’un « trou d’air plus marqué » que prévu au premier semestre. L’Insee a fait de même en octobre.
Une croissance de 1,5% en 2018, selon Agnès Pannier-Runacher
Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, refuse pour le moment de faire une révision de la croissance pour 2018, mais admet bien que les « évènements actuels » auront un impact. Ils « devraient nous faire perdre 0,1 point de croissance de notre richesse nationale au dernier trimestre », a-t-il estimé ce lundi matin sur RTL.
Si Bruno Le Maire se montre moins pessimiste que les chefs d’entreprise interrogés par la Banque de France, sa secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher raisonne en tenant compte des prévisions révisées de l’automne. « 0,1 point pour une croissance qui était attendue à 1,6% ça veut dire que la croissance sera plutôt du côté de 1,5% », a-t-elle précisé sur l’antenne de LCI.
D’autres secteurs comme le tourisme pourraient aussi être durement touchés par les scènes de violence, notamment à Paris. Malgré une bonne lancée au premier semestre avec une fréquentation record, l’année 2018 pourrait se révéler moins bonne que prévu, si les chiffres du deuxième semestre sont moins bons que prévu.
Moins de rentrées fiscales et plus de dépenses : le budget 2019 va-t-il déraper ?
Le gouvernement s’inquiète également des conséquences plus difficiles à observer à court terme, en termes d’images. « Je vois l'impact que cela a sur l'étranger et cela n'est pas bon pour l'attractivité de notre pays », s’est inquiété Bruno Le Maire.
Conséquence de la révision de la croissance pour 2018, les perspectives pour la croissance de 2019 s’assombrissent également. Selon Denis Ferrand, directeur général de l’institut d’études économiques Rexecode, l’acquis de croissance pour l’an prochain (c’est-à-dire le chiffre annuel de la croissance si celle-ci reste sur sa lancée du 4e trimestre) ne « sera que de 0,4% ». « Il faudra cavaler fort (0,5 % chaque trimestre) pour arriver au 1,7 % du budget 2019 », a averti l’économiste. Avant la crise des Gilets jaunes, le déficit public était annoncé à 2,8% du PIB, non loin de la limite des 3% sur laquelle veille la Commission européenne.
Les craintes sur la croissance 2019, et donc sur les rentrées fiscales qui en découlent, ne seront pas le seul élément qui pèsera sur le budget 2019, dont l’examen en première lecture se poursuit cette semaine au Sénat. Il faudra également composer avec les mesures annoncées la semaine dernière par l’exécutif : la plus emblématique étant l’annulation de la hausse des taxes sur le carburant et le fioul sur la totalité de 2019, censée apporter 3,7 milliards d’euros dans les caisses de l’État. Emmanuel Macron, lors de son allocution télévisée ce lundi à 20 heures, devrait à son tour faire des gestes en direction des Français pour déminer la crise.
Comment dès lors composer avec cette nouvelle équation budgétaire ? Une hausse des prélèvements, dans le contexte actuel de grogne fiscale, semble impensable. « Je suis totalement ouvert à une l'accélération de la baisse des impôts », a même déclaré ce matin Bruno Le Maire. Reste le levier des dépenses, mais cela supposerait de réécrire le budget.
Le 4 décembre, Pierre Moscovici, le commissaire européen aux Affaires économiques, tentait de rassurer : « Dans toute hypothèse, il n’est pas question de retour à une procédure de déficit excessif […] Il faudrait pour cela être au-dessus de 3% pendant deux ans, ou au-dessus de 3,5% pendant un an ». Avant de mettre en garde deux jours plus tard sur les conséquences d’un déficit plus marqué que prévu : « Si vous créez plus de dette, c’est autant d’argent en moins pour les services publics. La dette est la plus stupide des dépenses qui soient. »