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« Gabriel Attal est là pour incarner une nouvelle phase dont on ne sait pas de quoi elle sera faite »
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Un nom, et tant de questions ouvertes sur cette nouvelle page d’un quinquennat décidément bien différent du premier. Gabriel Attal a pris les rênes de Matignon. L’Élysée l’a officiellement nommé ce 9 janvier, à 12 h 40, soit près de vingt heures après qu’Élisabeth Borne a remis sa lettre de démission. Ce flottement est venu s’ajouter après plusieurs jours d’attente d’un remaniement que l’on disait imminent. Signe que la décision a été difficile à prendre et que le profil du nouveau chef du gouvernement ne faisait pas l’unanimité dans l’entourage proche d’Emmanuel Macron.
Des jours de tractations jusqu’à l’annonce du nom
« Vouloir un nouveau souffle en changeant de Premier ministre, c’est une chose. Est-ce que vous avez les ressources humaines pour le permettre, ce n’est pas évident. Il y a une carence de candidats », observe Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas. « Ce délai de nomination pourrait indiquer que l’opération n’était pas facile, notamment vis-à-vis de ministres venus de la droite », analyse Olivier Rouquan, chercheur associé CERSA (Centre d’Etudes et de Recherches de Sciences Administratives et Politiques). Le politologue rappelle que Gabriel Attal a passé ses premières années à gauche, avant d’intégrer le mouvement d’Emmanuel Macron.
Selon LCI et Politico, le choix du ministre de l’Education nationale a fait grincer des dents Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire. Deux autres cadres de la majorité, à savoir Édouard Philippe et François Bayrou, ont aussi fait part de leurs désaccords. Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée, n’était pas plus enchanté, rapporte BFMTV. « Il aimait bien l’idée de garder un technocrate, un administratif, quelqu’un de plutôt discret », rappelle Virginie Martin, docteure en science politique et professeure chercheuse à la Kedge Business School.
Derrière le président de la République, quel style de gouvernance ?
Gabriel Attal sera aux avants postes pour « mettre en œuvre le projet de réarmement et de régénération » que souhaite Emmanuel Macron, ou encore le « rendez-vous avec la Nation » annoncé à la fin de l’année. Dans la lumière médiatique depuis 2018, bon communicant, une popularité en progression depuis son arrivée à l’Éducation nationale, Gabriel Attal tranche avec le profil d’Élisabeth Borne, ou encore Jean Castex, les deux derniers choix d’Emmanuel Macron pour Matignon. « On va se retrouver avec une forme d’exécutif bicéphale. Peut-être qu’il sera un Premier ministre exécutant, mais il sera visible, il prend la lumière, ce qui n’est pas pareil », considère Virginie Martin.
Olivier Rouquan voit dans la promotion de ce proche du président de la République une façon de renouer avec « la macronie des origines, un projet aujourd’hui en panne de légitimité ». « On voit bien qu’Emmanuel Macron veut une fluidité avec son Premier ministre, ne pas négocier pied à pied comme avec Élisabeth Borne ou Edouard Philippe. Il veut un Premier ministre exécutant. On est plutôt sur une rétraction présidentialiste. On verra comment il se comporte. » Benjamin Morel n’anticipe pas de changement de ligne. « Sur le fond, il n’imposera pas grand-chose. La politique est celle dictée par l’Élysée. Il n’y aura pas d’autonomie et il est plutôt sur la même ligne. »
Après l’épisode douloureux de la loi immigration en décembre, qui a fracturé en partie la majorité présidentielle, difficile encore de dire comment Gabriel Attal imprimera sa marque à la tête du gouvernement. « Ce n’est pas un profil très identifié politiquement. Il n’irrite personne, il peut parler à tout le monde », pense Benjamin Morel.
Parler à la majorité, mais aussi aux membres de son gouvernement. Si des ministres de poids comme Bruno Le Maire ou Gérald Darmanin étaient reconduits, à quoi tiendrait l’action du plus jeune Premier ministre de l’histoire de la Ve République ? « Sa principale difficulté – qu’aurait pu aussi avoir un Julien Denormandie – c’est un problème d’autorité sur ses ministres. La question se posera. Un Bruno Le Maire ne sera pas docile », imagine Olivier Roucan.
En ligne de mire, l’échéance délicate des européennes
Déjà complexe en temps ordinaire, ce poste chef du gouvernement risque de l’être davantage en raison du contexte politique. Point crucial de l’année politique, les européennes sont la première échéance. « C’est un Premier ministre de second mandat. Il y a des tensions, avec l’idée de préparer la suite. Là, il va être confronté aux européennes. Les communicants nous expliquent qu’il est le meilleur remède contre Jordan Bardella [président du Rassemblement national, ndlr], mais s’il s’engage trop dans la campagne, il risque d’y laisser des plumes », pressent Olivier Roucan.
« Et si les résultats des élections européennes ne sont pas bons, que va faire Emmanuel Macron ? C’est un jeu dangereux », estime Virginie Martin. « Un scrutin que vous perdez à mi-mandat avec un président qui, clairement n’est pas en capacité de se représenter, on a un précédent : c’est Jacques Chirac en 2005 avec le référendum. Après on rentre dans une période de canard boiteux », projette Benjamin Morel. « Le risque est là. Si Renaissance se prend une volée de bois vert, le quinquennat est politiquement terminé. »
Dépasser le profil du communicant
Des résultats, Gabriel Attal va devoir en provoquer au cours des prochains mois, sachant que ses expériences successives dans différents ministères – les deux derniers étant le Budget et l’Education nationale, en l’espace d’un an et demi – ont été trop courtes pour qu’un bilan tangible se matérialise, notamment rue de Grenelle. « Il n’a pas eu le temps d’être critiqué, de se heurter aux duretés des négociations avec les groupes d’intérêt », relève Olivier Rouquan.
« On était dans des actes de communication, qui ne peuvent pas se concrétiser », note également Virginie Martin. « Ne risque-t-on pas d’avoir la double peine, deux profils communicants ? Sur Instagram il est très présent, mais pour en faire quoi ? C’est ce que disent ses adversaires. »
La formation du prochain gouvernement, qui se fait attendre, ou encore un éventuel discours de politique générale esquisseront des réponses sur le programme à moyen terme. « Ce qu’on attend, c’est un nouveau souffle, une vision pour le pays, une lettre de conduite un peu plus claire. Aujourd’hui les choses sont très floues », met en garde Virginie Martin. « À chaque évènement d’Emmanuel Macron, le soufflé retombe vite. Il y a une dynamique qui a beaucoup de mal à s’enclencher, faute d’incarnation concrète. »
« Dans son discours de passation de pouvoir, Gabriel Attal n’a pas livré le logiciel. Si le discours de politique générale a lieu avant Emmanuel Macron, que va-t-il raconter ? Il est là pour incarner une nouvelle phase dont on ne sait pas de quoi elle sera faite », résume Benjamin Morel.
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