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François Ruffin et les Insoumis : de l’indépendance à la prise de distance

Le député de la Somme, fort du leadership acquis ces derniers jours grâce à l’impulsion du Nouveau Front Populaire, s’affirme comme une voix indépendante des insoumis auprès desquels il a toujours siégé, au risque de se couper d'une bonne partie d'entre eux
Hugo Ruaud

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Après plusieurs années en électron libre et critique de la sphère insoumise, François Ruffin a formellement pris ses distances cette semaine avec le mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon. « Je ne vous ai demandé aucune investiture, aucune autorisation. Je ne suis pas passé sous les fourches caudines de votre bêtise, votre sectarisme ». Ces mots, qui remontent au 15 juin, sont du député sortant de la Somme. Il ne s’adresse pas à l’un de ses adversaires, macroniste ou lepéniste, mais bien à sa famille politique, la France insoumise, qui le félicitait sur Twitter pour son investiture. Le message est posté quelques jours seulement après la naissance du « Nouveau Front Populaire », alliance de fortune de toutes les forces de gauche, du NPA de Philippe Poutou à François Hollande, dressée en vitesse pour faire barrage à l’extrême droite. François Ruffin est tout sauf étranger au NFP : c’est lui qui, dès les minutes qui suivent l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, enjoint le premier les forces de gauche à faire fi du passé, de la haine et des divergences idéologiques pour s’unir. Quelques heures plus tard, il lance l’idée d’un « Front Populaire ». Le slogan, dopé par un sursaut d’inquiétude des électeurs de gauche à l’idée de voir le Rassemblement national arriver au pouvoir, est repris par les socialistes, les écologistes, et un peu plus tard par les cadres de la France insoumise. Pour Bernard Sananès, président d’Elabe, le Picard fait preuve d’opportunisme : « Il a une fenêtre qui n’était pas ouverte jusqu’à présent : l’éventualité de voir la gauche l’emporter. Avec des législatives, c’est plus envisageable que sur une élection présidentielle ». Dans cette optique, François Ruffin possède une forte légitimité. « La gauche est peut-être pour la première fois en train de réussir à capter la colère sociale, contrairement à l’époque des gilets jaunes où cette colère avait davantage profité au Rassemblement national. Or Ruffin est perçu comme audible sur ces questions-là ».

Une indépendance toujours entretenue

Pourquoi alors rabrouer aussi rudement le « sectarisme » et la « bêtise » du mouvement insoumis moins de trois jours après un l’accord du Nouveau Front Populaire ? Ces mots sont une réponse à la décision des mélenchonistes de ne pas reconduire l’investiture de cinq de leurs députés : Raquel Garrido, Alexis Corbière, Danielle Simonnet, Hendrik Davi et Frédéric Matthieu. Tous ont pour point commun d’avoir été ou d’être critiques de la direction insoumise et de Jean-Luc Mélenchon. Ruffin torpille le procédé et s’attaque directement au leader de la France insoumise : « Vous préférez un homme qui frappe sa femme (en référence à Adrien Quatennens, NDLR), auteur de violences conjugales, à des camarades qui ont l’impudence d’avoir un désaccord avec le grand chef. Notre démocratie mérite mieux que vous ». Quelques jours plus tard, à Montreuil, tandis que le Front Populaire, fondé sur la promesse de l’unité à gauche, tient son premier meeting, le député de la Somme s’affirme encore un peu plus. « Puisque nous sommes à Montreuil, et ici, ce que vous appelez une élection c’est en fait une primaire de la gauche, je veux dire mon plein soutien à mon camarade et ami Alexis Corbière ». La saillie surgit en réplique aux piques lancés au même endroit, quelques minutes plutôt, par la députée européenne Rima Hassan sous-entendant qu’Alexis Corbière était « éloigné des réalités » du combat contre le racisme. Dans le public, l’accueil est partagé : des huées se distinguent des applaudissements, avant que tout le monde scande « Union populaire », comme pour rappeler à l’Amiénois que le premier vœu des partisans du NFP n’est pas de choisir un camp contre l’autre mais de maintenir l’unité de la gauche. Mais de fait, François Ruffin s’est définitivement affranchi de la galaxie mélenchoniste. Dans un long message posté sur X le 15 juin, il appelle à « tirer les conséquences politiques et humaines » d’une « mauvaise farce » – la purge subie par les frondeurs insoumis – qui « ne coûtera qu’à leurs auteurs ». L’ancien journaliste a toujours cultivé une forme d’indépendance vis-à-vis de Jean-Luc Mélenchon. S’il siégeait bien aux côtés des Insoumis depuis 2017, François Ruffin n’a jamais été investi par la France insoumise. C’est sous la bannière de Picardie Debout, son micro parti, qu’il a brigué son premier mandat de député. Lors de son premier mandat, l’Amiénois n’hésite pas à mettre en scène ses propres coups d’éclats, à l’Assemblée nationale ou ailleurs, maniant l’agit-prop sur le terrain social, comme lorsqu’il enfile le maillot de foot d’une équipe de sa circonscription dans l’hémicycle pour « défendre le sport amateur ». L’auteur de Merci Patron ! ne suit pas ses collègues insoumis sur tous les terrains. En novembre 2019, lorsqu’il est invité à « marcher contre l’islamophobie », l’élu élude et prétexte un « foot » pour justifier son absence à la manifestation, co-organisée par le CCIF.

Voix critique

Mais c’est surtout après l’élection présidentielle de 2022 que François Ruffin se démarque des voix insoumises. Jean-Luc Mélenchon passe à quelques centaines de milliers de voix du second tour et semble, le temps d’un discours, se retirer de la vie politique. « Faites mieux ! », lance-t-il à la jeune génération, le soir des résultats du premier tour. Quelques mois plus tard, François Ruffin publie « Je vous écris de la Somme », un livre dans lequel il déplore le décalage entre le discours entretenue par une gauche urbaine et surdiplômée et les retours qui lui sont faits dans sa circonscription sinistrée de la Somme. L’ancien journaliste observe d’ailleurs un recul du vote insoumis en dehors des zones urbaines par rapport à la présidentielle de 2017. François Ruffin prône alors davantage de « centralité », et insiste pour remettre la question sociale et du travail au centre du discours de gauche. Un discours à rebours de la stratégie de « conflictualité » et de radicalité vantée jusqu’ici par Jean-Luc Mélenchon. « Quand on me dit radicalité, je nous demande : est-ce qu’il s’agit d’être applaudi dans une AG de socio à Nanterre ou de convaincre en Moselle, en Picardie, partout dans le pays ? Qu’est-ce qu’on vise ? » lançait François Ruffin aux journées d’été de la France insoumise en 2023, comme le rapporte Le Monde dans son reportage. Deux mois plus tard, les attentats du 7 octobre en Israël marquent un nouveau point de rupture. La France insoumise se retrouve sous le feu des critiques pour un communiqué qualifiant l’attaque terroriste d’ « offensive armée forces palestiniennes ». Quelques jours plus tard, François Ruffin prend ses distances avec les Insoumis dans Le Monde : « Notre parole n’est pas à la hauteur de la gravité des événements », affirme-t-il au quotidien du soir avant de se rendre, quelques semaines après, à une marche contre l’antisémitisme à Strasbourg, quand la majorité des troupes insoumises ont refusé d’y participer, fustigeant la présence de l’extrême droite. La prise de distance de François Ruffin vis-à-vis de Jean-Luc Mélenchon et la direction insoumise n’est donc pas soudaine. « Ruffin a compris qu’il y avait un une rupture entre Mélenchon et une partie de la gauche », indique Bernard Sananès pour expliquer l’émancipation progressive du député de la Somme. Pour le sondeur, François Ruffin a perçu dans ces législatives anticipées une opportunité unique pour la gauche, et c’est ce qui le pousse à se montrer aussi offensif. 

 

Le risque de l’isolement

Il reste cependant devancé par Jean Luc Mélenchon chez les électeurs de la France insoumise », complète Bernard Sananès. C’est aussi le risque que court François Ruffin à trop montrer les dents face à Manuel Bompard et Mathilde Panot : perdre sa base et se retrouver seul, « au ban de la France insoumise », analyse le président d’Elabe, selon qui « l’équilibre est difficile à trouver ». Très populaire à gauche, le député sortant de la Somme ne fait pas l’unanimité dans les rangs insoumis, où certains lui reprochent non seulement son manque de solidarité, mais aussi une forme de frilosité sur les questions sociétales, la lutte contre le racisme et la cause LGBT, très importantes chez de nombreux électeurs insoumis. En juin 2023, François Ruffin reléguait une éventuelle loi sur la GPA ou sur le genre à la marge de son projet, prônant « l’apaisement ». Ces déclarations ont immédiatement suscité l’ire de députés de son camp, à l’instar de Sophia Chikirou qui qualifiait sa déclaration comme étant « au mieux maladroite, au pire une faute politique ». Des reproches tout aussi explicites sont formulés à l’élu de la Somme sur la question du racisme. Chez certains militants et élus, son absence à la « marche contre l’islamophobie » en 2019 a laissé des traces et une forme de défiance quant à la capacité de l’élu à embrasser toutes les causes qui réunissent – ou qui font diverger – tous les courants de la gauche. « C’est bien aussi d’aller aux manifs contre le racisme ou pour Gaza. Et globalement de ne pas esquiver en période de gros vent sur l’essentiel des sujets chauds. On ne les choisit pas. Le courage fait les présidentiables. On en est très loin », tweetait fin avril la députée sortante insoumise, Nadège Abomangoli. Un avertissement quant à la capacité de François Ruffin a prendre le leadership d’une gauche unie, qui résonne avec les mots de Rima Hassan au meeting de Montreuil : « il n’y a pas de gauche sans lutte antiraciste et décoloniale ».

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