François Bayrou reporte la feuille de route énergétique de la France « à la fin de l’été »

Sous la pression de la droite et du RN, la publication du décret de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) a été repoussée « à la fin de l’été » par François Bayrou. Un délai qui n’épuise pas les questions qui restent autour de cette révision de la stratégie qui doit permettre à la France d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Louis Mollier-Sabet

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Cela va faire bientôt deux ans que cette loi de programmation est attendue. La « PPE » (« programmation pluriannuelle de l’énergie ») établit la trajectoire censée permettre à la France d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Pour la période 2025-2035, elle aurait dû être adoptée par le Parlement à l’été 2023, comme le prévoyait la loi Energie – Climat de 2019. Mais avec une majorité déjà relative à l’Assemblée nationale et une droite chauffée à blanc sur le sujet qui n’avait pas encore rallié le gouvernement, le sujet était difficile à mettre sur la table pour Emmanuel Macron. Disposant d’une majorité encore plus faible depuis la dissolution, les gouvernements successifs semblaient vouloir miser sur une révision de cette programmation par décret. C’était sans compter sur la droite et le Rassemblement national.

Une programmation revue par la majorité sénatoriale en octobre dernier

Depuis la participation des LR au gouvernement, la majorité sénatoriale n’hésite pas à utiliser la chambre haute pour mettre certains sujets à l’agenda, comme lors du vote d’un texte de programmation énergétique en octobre dernier (voir notre article). En l’absence de projet de loi émanant du gouvernement, la majorité sénatoriale a donc pris l’initiative sous la forme d’une proposition de loi (PPL) déposée par Bruno Retailleau – président du groupe LR à l’époque – Dominique Estrosi Sassone, présidente LR de la commission des Affaires économiques et Daniel Gremillet, rapporteur du texte et spécialiste des questions énergétiques au Sénat.

Sur le fond, le texte acte une relance du nucléaire relativement plus ambitieuse que celle dessinée par Emmanuel Macron à Belfort pendant la campagne présidentielle 2022. Avec un objectif cible de 60 % de nucléaire dans le mix électrique d’ici 2030, et de 50 % à horizon 2050, l’objectif de la PPL Gremillet correspond à une mise en service de 14 nouveaux EPR 2, au lieu des six sur lesquels planche pour le moment EDF. Le texte se place ainsi dans le scénario optimiste d’une construction rapide des six EPR 2 qui permettrait de lancer huit chantiers complémentaires.

Côté énergies renouvelables, la majorité sénatoriale a abaissé l’objectif de 40 % à 33 % du mix électrique, alors que le seuil fixé par la directive européenne RED III est de 44 %, tout en faisant quelques concessions au gouvernement. Olga Givernet, alors ministre déléguée chargée de l’Energie, avait réussi à sauver l’éolien en mer « posé » (directement sur les fonds marins) alors que la majorité sénatoriale voulait prioriser l’éolien en mer « flottant ». De même la ministre avait obtenu l’inscription d’un objectif de « développement de nouvelles installations » d’éoliennes terrestres, traditionnellement dans le viseur de la droite.

Le décret codifiant la nouvelle PPE repoussé à « la fin de l’été »

Adoptée seulement au Sénat, cette proposition de loi n’a pour le moment pas de valeur législative, mais son adoption a mis la pression sur le gouvernement, alors que le gouvernement envisageait une réforme de la PPE par décret. De son côté, le RN avait laissé planer la menace d’une censure en l’absence de vote de la PPE par le Parlement. La publication du décret a finalement été décalée, tandis que Marine Le Pen a obtenu du gouvernement la tenue d’un débat parlementaire sur la souveraineté énergétique ce lundi à l’Assemblée et le 6 mai au Sénat.

Devant un hémicycle aux bancs clairsemés, le Premier ministre a admis que la précédente PPE était « obsolète, inadaptée et dérivée d’un autre monde. » En revanche, François Bayrou est resté sur l’idée d’une révision par décret, largement décriée par l’ensemble des oppositions. Au sein même du bloc central, 164 sénateurs de la droite et du centre avaient signé un appel en mars dernier demandant au Premier ministre de renoncer à la révision de la PPE par décret (voir notre article).

François Bayrou a tout de même annoncé la création d’un « groupe de travail » piloté par Antoine Armand, député EPR, investi sur les questions énergétiques avant son éphémère passage à Bercy et le sénateur LR Daniel Gremillet. Ce groupe devrait rendre ses conclusions à « la fin du mois de mai », afin « d’avancer dans la définition de notre politique énergétique », a précisé le Premier ministre.

Un processus qui devrait d’après lui permettre d’examiner la proposition de loi Gremillet « dans les meilleures conditions dès le mois de juin » – le 16 juin a confié le cabinet du ministère des Relations avec le Parlement, à l’AFP. Le Premier ministre s’engage à ce que ces travaux parlementaires permettent au gouvernement « de proposer une version améliorée et corrigée de notre prochaine PPE » et promet l’élaboration d’un décret « d’ici la fin de l’été », alors que les acteurs du secteur poussent pour une publication le plus tôt possible afin de pouvoir répondre à des appels d’offres importants, sur l’éolien en mer notamment.

Le RN continue de laisser planer la menace d’une censure

Première oratrice à répondre au Premier ministre, Marine Le Pen a réitéré son opposition à un « décret illégal » et une « PPE intenable », tandis que Jean-Philippe Tanguy, qui a évoqué à plusieurs reprises l’éventualité d’une censure sur ce sujet, s’est félicité de « l’ultimatum » lancé par Marine Le Pen au gouvernement. Comme souvent depuis la dissolution, le RN temporise et laisse planer le doute.

À gauche aussi, la pilule a du mal à passer. « Une censure pourrait être légitime, parce que c’est une atteinte très grave au parlementarisme », estime le sénateur écologiste Daniel Salmon, qui dénonce une « confiscation » du dossier par l’exécutif. « Le travail de Daniel Gremillet a du mérite, mais il y a un refus d’obstacle du gouvernement qui veut passer par-dessus le Parlement. Si on veut un vrai débat comme le dit François Bayrou, on fait un vrai débat, on ne passe par les ersatz que sont les PPL », développe-t-il.

Son collègue socialiste, Gilbert-Luc Devinaz, abonde : « Le gouvernement a mis la charrue avant les bœufs. On devait faire une loi de programmation des énergies et on est en train de tout traiter aspect par aspect alors que tout cela nécessite une belle étude d’impact et qu’il n’y en a pas pour les PPL. Aborder tous les aspects prend du temps, mais le gouvernement ferait bien de faire jouer la démocratie parlementaire en prenant un peu le temps aujourd’hui pour en gagner beaucoup demain. » Même au sein du bloc central, le député Horizons Henri Alfandari a déploré un décret « qui n’intègre pas une vision de long terme » sur un sujet pourtant unanimement vu comme structurant pour les prochaines décennies.

Si la proposition de loi de Daniel Gremillet passe bien devant l’Assemblée nationale le 16 juin prochain, son examen ne durera qu’une seule journée.

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