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Fonds Marianne : le préfet Gravel dénonce le calendrier imposé par le cabinet de Marlène Schiappa
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Comment en est-on arrivé là ? La commission des finances du Sénat, armée des pouvoirs d’une commission d’enquête, a débuté ce 16 mai son cycle d’auditions, sous serment, pour comprendre les ressorts dans la sélection et le contrôle des projets subventionnés par le Fonds Marianne. Lancées par la ministre chargée de la Citoyenneté Marlène Schiappa au printemps 2021, quelques mois après l’assassinat de Samuel Paty, ces ressources devaient accompagner des associations investies dans la promotion des valeurs républicaines pour répliquer aux discours séparatistes en ligne. C’est à la suite de la publication d’enquêtes successives, sur France 2, Marianne et Mediapart, que le Sénat s’est penché sur des dysfonctionnements majeurs. Depuis, le Parquet national financier a même ouvert une information judiciaire.
Parmi les structures retenues, les deux projets les plus importants en termes de dotations budgétaires se sont révélés très problématiques. « L’un finit par un signalement [au procureur], l’autre par une demande de remboursement », a résumé avec désarroi le président de la commission sénatoriale des finances, Claude Raynal (PS).
Les sénateurs ont entamé leur cycle d’auditions en questionnant pendant trois heures Christian Gravel, le secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). C’est en lien avec cette administration que le cabinet de Marlène Schiappa a sélectionné les différents lauréats du fonds.
Ce préfet de carrière a souligné que le Fonds Marianne correspondait à une « commande politique, issue de la ministre concernée ». « Il n’y a pas eu de préparation, d’analyse, en amont, avant d’engager le travail qui a été demandé à l’administration », a-t-il relaté. Face à des sénateurs visiblement interloqués par les conditions de la genèse du fonds, le secrétaire général du CIPDR a émis des critiques sur l’agenda retenu.
« Le cabinet [de la ministre] a demandé que le temps soit accéléré »
Son équipe et lui n’étaient pas satisfaits des délais, à savoir un dépôt des candidatures entre le 20 avril et le 10 mai 2021, suivi d’un temps d’analyse des dossiers avant une réunion du comité de sélection le 20 mai « au plus tard ». « Nous avons proposé un autre calendrier avec mon équipe. Nous considérions que pour effectuer ce travail dans ces conditions optimales, il fallait prévoir un calendrier s’étalant sur trois mois. Le cabinet a demandé que le temps soit accéléré et qu’on puisse envisager toute la procédure sur cinq semaines », a témoigné le préfet Gravel. À la défense du ministère, le haut fonctionnaire a toutefois reconnu que cette demande était compréhensible au regard « du contexte de l’époque », celui des attentats survenus les mois précédents.
Le président de la commission s’est montré particulièrement surpris du laps de temps qui s’est écoulé entre le 13 avril 2021, date où le secrétariat général du CIPDR a été informé formellement du projet de Fonds Marianne, lors de la réunion d’un comité de programmation, et l’annonce officielle du lancement du Fonds le 20 avril, suivi de la diffusion de l’appel à projets le lendemain. « C’est incroyable. Si on veut avoir un cahier des charges un peu plus solide, une semaine ça paraît extrêmement court », s’est étonné Claude Raynal.
Cette nécessité d’aller vite s’est également fait ressentir sur la composition du comité de sélection, lequel réunissait trois membres du cabinet de Marlène Schiappa et trois membres du CIPDR. « Je pense que tout est lié », a estimé Christian Gravel. L’absence de personnalités extérieures a fait sourciller les sénateurs. S’il a affirmé que le comité, malgré la « surcharge de travail », avait mené à bien le processus de sélection en étant « extrêmement rigoureux », le secrétaire général en fait toutefois un exemple à ne pas reproduire à l’avenir. « Si j’avais à nouveau à m’impliquer sur ce type d’opération, j’en tirerais une première leçon : faire respecter une temporalité qui permet de travailler dans des conditions optimales. » Au total, sur les 73 associations ayant candidaté, seules 17 ont été retenues sur les 23 soumises à l’appréciation du comité de sélection, après deux phases d’écrémages dans les services du CIPDR.
« C’est une erreur de notre part. Nous aurions dû vous envoyer cette pièce »
Sur le fond des travaux du jury de sélection proprement dite, le secrétaire général s’est fait rappeler à l’ordre par les cadres de la commission des finances. Outre l’absence de comptes rendus du comité de sélection, le rapporteur Jean-François Husson (LR) a dénoncé le fait qu’un acte de candidature d’une association « tenait en une page ». C’est l’association USEPPM (Union Fédérative des Sociétés d’éducation physique et de préparation militaire), première bénéficiaire du fonds avec une dotation de 355 000 euros, qui est concernée, comme le révélait la veille Mediapart.
Le secrétaire général a fait savoir que le document transmis au Sénat n’était pas le bon. « C’est une erreur de notre part. Nous aurions dû vous envoyer cette pièce, je pense notamment à l’USEPPM. Il n’y avait pas, je vous rassure d’emblée, qu’une fiche d’une petite page. Nous avons reçu une fiche d’instruction de plusieurs pages, très détaillée et qui permettait évidemment de nous convaincre d’envisager lui accorder la première subvention […] Il ne s’agit en aucun cas d’un feuillet de quelques lignes qui aurait débloqué en un claquement de doigt 350 000 euros. » « C’est dommage de le découvrir en séance », a grincé Claude Raynal. S’excusant à plusieurs reprises pour cet oubli, le préfet s’est engagé à communiquer ledit document.
Interrogé sur les montants importants accordés aux deux bénéficiaires épinglés pour les prestations accomplies, le secrétaire général de du CIPDR a indiqué qu’ils correspondaient à la « nature des projets proposés ». « Les projets concernés avaient toutes les garanties en termes de structuration, de pertinence, d’analyse, de connaissance des codes d’Internet qui nous permettaient de considérer qu’on pouvait investir sur ces sujets-là », s’est-il défendu devant les parlementaires.
Longs échanges sur le cas du premier lauréat en termes de budget
Le cas de l’USEPPM a occupé une bonne partie des échanges entre le haut fonctionnaire et les sénateurs. Pour Christian Gravel, le dossier déposé était non seulement « ambitieux » mais « hautement qualitatif », puisqu’il était porté par une association reconnue d’utilité publique, co-dirigée de surcroît par le journaliste et écrivain Mohamed Sifaoui. Placé sous protection policière depuis des années, ce dernier est connu pour son infiltration dans un réseau terroriste. Sa présence en faisait une « caution scientifique évidente », a insisté Christian Gravel.
Au vu des sommes engagées par le Fonds Marianne, les sénateurs ont questionné leur interlocuteur sur le bilan plutôt maigre de l’association, en termes de contenus et d’engagements sur les réseaux sociaux. S’il a admis que « quantitativement », « on aurait pu espérer plus de choses », le secrétaire général du CIPDR a assuré que le bilan d’un point de vue qualitatif était « positif ». Selon lui, « 500 posts, tweets, threads et vidéos » défendant la République ont été produits. « C’est d’une rare pauvreté, je vais dire les choses », a objecté le sénateur Raynal, peu convaincu.
Et au-delà de la matière effectivement produite, c’est sur les effectifs que la commission sénatoriale a particulièrement mis le doigt. Le nombre de salariés dédiés au projet subventionné est passé de « dix à six » au moment de la demande écrite de subvention. « Il y aurait pu y avoir une petite alerte », a reproché le sénateur Claude Raynal.
Constatant un nombre de relances restées sans réponses, « trop élevé », auprès de l’association ces derniers mois dans le cadre d’un contrôle, Christian Gravel a rappelé sa décision de ne pas verser la deuxième tranche de la subvention. La justice a même été saisie. « J’ai engagé personnellement un article 40 [la saisine du procureur de la République, ndlr] étant donné les éléments convergents nous laissant penser qu’il y avait eu un certain nombre de problèmes en matière de comptabilité », a-t-il ajouté. Le secrétaire général a tenu à souligner que le contrôle s’était enclenché « avant l’emballement médiatique », fin mars.
Une seconde association financée par le Fonds Marianne a défrayé la chronique : « Reconstruire le commun ». Cette jeune structure, créée en octobre 2020, n’avait aucune activité connue au moment de sa candidature. Pour Christian Gravel, sa présidente avait exposé « un projet d’envergure, très ambitieux, assez conséquent, avec une véritable maitrise de tout ce qui relève de la communication digitale ». En clair, « pas d’ambigüité possible ». Le projet était porté par des jeunes issus du collectif « On vous voit », « qui avait déjà produit des contenus politiques ».
Un bilan « global » qualifié de « positif » par le secrétaire général du CIPDR
Pour cette seconde structure, subventionnée à hauteur de 330 000 euros, l’utilisation des fonds a été « conforme au plan de charge qui avait été acté », avec 27 salariés sur le pont, selon Christian Gravel. C’est en février 2022, que l’un de ses agents détecte des contenus à caractère politique. Ses services rappellent à l’ordre l’association. De nouveaux contenus visant des personnalités politiques de l’opposition en pleine campagne électorale ont été détectés. « Je suis très clair, très explicite sur le fait qu’il est intolérable qu’il y ait ce type de contenus. À ce moment, nous pensons qu’il n’y a que quelques contenus de cette nature-là. Je vous rappelle que l’agent concerné est objectivement en surcharge de travail », a témoigné le préfet. C’est seulement quand le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation détecte de « nombreux » contenus similaires que décision est prise d’engager une « procédure de remboursement total ou partiel de la subvention ». L’évaluation du montant est en cours, a précisé Christian Gravel aux sénateurs.
De façon globale, le préfet a insisté sur « l’écosystème associatif très restreint » qui caractéristique cette thématique de la lutte contre la radicalisation en ligne. « Rares sont les associations qui sont en mesure d’agir contre le séparatisme et de maîtriser les techniques de la communication digitale », a-t-il expliqué. La moitié des 17 bénéficiaires du Fonds Marianne étaient « déjà connus » de son administration, un « gage de confiance évident ». Rappelant que les initiatives de « contre-discours » en ligne en France relevaient encore de « l’expérimentation », le secrétaire général du CIPDR a tenu à affirmer que le « bilan global » du Fonds était « positif ». « Ce soutien financier de l’État a permis de diffuser auprès de centaines de milliers d’internautes, dont 358 000 abonnés, plus de 2000 publications en tout genre. C’est plus de six millions d’impressions pour défendre notre modèle républicain. »
Du côté de la commission des finances, c’est davantage le retard dans les contrôles entrepris qui restera dans les mémoires. « Tout cela nous paraît très léger », a lâché le rapporteur Jean-François Husson, encore troublé par la « faute hautement regrettable » du document long d’une page.
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