Financiarisation du football : « Dans d’autres secteurs, ça aurait fait scandale », estime l’ancien patron de l’OM

La commission d’enquête sénatoriale sur la financiarisation du football auditionnait ce mardi, l’ancien président de l’Olympique de Marseille, Christophe Bouchet auteur de « Main basse sur l’argent du foot français » est revenu sur l’accord très contesté, conclu entre la Ligue de football professionnel (LFP) et le fonds d’investissement CVC en 2022.
Simon Barbarit

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« On va essayer d’aller droit au but ». La métaphore était attendue de la part d’un ancien président de l’Olympique de Marseille. Mais si Christophe Bouchet était auditionné ce mardi la commission d’enquête sénatoriale sur la financiarisation du football, ce n’est pas uniquement pour ses anciennes fonctions, mais parce qu’il est l’auteur du livre « Main basse sur l’argent du foot français » (ed. Robert Lafon). Un ouvrage dans lequel il revient sur l’accord passé entre la ligue de football professionnelle (LFP) et le d’investissement luxembourgeois, CVC, c’est dire l’objet principal de la de la commission d’enquête.

« Dans d’autres secteurs, ça aurait fait scandale […] Là, c’est passé relativement inaperçu […] Il se trouve que les journalistes qui commentent le football ne s’intéressent pas du tout à l’économie du football. Et à l’inverse, les journalistes économiques ne considèrent pas cette industrie digne d’intérêt », relève Christophe Bouchet.

« Pourquoi les présidents de clubs l’ont accepté ? […] ça reste un mystère »

Il faut, en effet, revenir quelque peu en arrière pour comprendre les enjeux de cette affaire peu connue du grand public. La loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France a autorisé la LFP a crée une filiale pour commercialiser les droits audiovisuels, à la condition que la ligue conserve au minimum 80 % du capital de cette société. Quelques mois plus tôt, la LFP a dû faire face « à un triple tsunami ». « La crise sanitaire, l’arrêt des compétitions, et la défaillance de notre principal partenaire, Mediapro […] Au niveau macroéconomique, c’est une perte de 1,8 milliard d’euros pour les clubs depuis 2019 », avait expliqué Vincent Labrune devant les sénateurs. Suite à la défaillance du diffuseur Mediapro en 2019, les droits du championnat français avaient dégringolé, de l’ordre de 50 %.

C’est dans ce contexte que la filiale commerciale, LFP Media, chargée de commercialiser les droits TV des championnats professionnels de football en France (Ligue 1 et Ligue 2) passe un accord avec CVC.

Pour 1,5 milliard d’euros, LFP Media, la nouvelle filiale chargée de commercialiser les droits TV des championnats professionnels de football en France (Ligue 1 et Ligue 2) cède « définitivement » 13 % de ses parts à CVC. Sur le 1,5 milliard d’euros déboursés par le fonds d’investissement, 1,130 milliard est directement destiné aux clubs. La répartition des sommes se fait selon des tranches définies en fonction du prestige sportif des clubs et va de 200 millions d’euros pour le PSG à 3 millions d’euros pour les clubs de Ligue 2. Ce mode de répartition est contesté en justice par le club du Havre, qui s’estime lésé par le mode de répartition des fonds acté par la LFP (lire notre article).

Fin mars, le parquet national financier (PNF) a ouvert une enquête préliminaire sur les conditions de cet accord. « Cette répartition est très singulière […] L’Olympique de Marseille ne touche que 80 millions d’euros », rappelle l’ancien président de l’OM qui estime que « la valeur économique du championnat ne tient que pour deux clubs, le PSG et l’Olympique de Marseille ».

Toutefois, une clause prévoit que les clubs qui disputent la coupe d’Europe bénéficieront des droits internationaux au prorata de leurs points UEFA. « De ce point de vue là, le PSG a fait un bon accord mais ça a complètement bloqué l’OM », considère Christophe Bouchet.

En ce qui concerne les conditions du « deal », Christophe Bouchet pose une question sans avoir les éléments de réponses. « Pourquoi les présidents de clubs l’ont accepté ? […] ça reste un mystère ». D’autant qu’à la différence de la Liga espagnole avec laquelle CVC a aussi passé un accord, l’accord français est lui illimité.

Son livre sorti à l’automne dernier n’a pourtant pas eu l’effet escompté auprès des présidents de clubs professionnels, qui, le 23 novembre dernier, ont voté une nouvelle fois en faveur de ces accords, à l’occasion d’une assemblée générale de la ligue convoquée après l’action en justice du club havrais.

Le Sénat s’intéresse de près à cet accord car la LFP bénéficie d’une sous-délégation de service public. « Est-ce que nous parlementaires, l’Etat, devons borner un peu plus les choses » ? interroge le sénateur socialiste, Jean-Jacques Lozach.

« Comment un président d’une institution de sous délégation de service public peut toucher un bonus de l’extérieur »

Christophe Bouchet a déploré l’absence de politique sportive en France au niveau professionnel. « A la différence de l’Espagne qui a misé sur le sport pro, et a bien assimilé que c’était un pouvoir d’attractivité économique du pays. Ça n’a jamais été la volonté de la France » […] « Je pense que le ministère des Sports n’a jamais eu l’accord », affirme-t-il.

Christophe Bouchet a interrogé le ministère sur le bonus touché par Vincent Labrune dans le cadre de cet accord. « Je leur ai demandé comment un président d’une institution de sous délégation de service public peut toucher un bonus de l’extérieur. C’est comme si un maire, après avoir délivré un permis de construire, touchait une gratification de Vinci ou Bouygues. Vous iriez en prison assez rapidement », a-t-il comparé. « Je lui ai posé la question, elle m’a dit qu’elle avait trouvé ça normal », a-t-il relaté en expliquant Amélie Oudéa-Castéra n’avait pas « mesuré » les enjeux de ce sujet.

Toutefois, est-ce que ce deal conclu entre la LFP et CVC relevait du ministère des Sports ? « Je ne crois pas. Il y a eu une validation générale de cet accord sur la base : Les présidents de clubs nous exaspèrent. Ils ont trouvé une solution entre eux qui ne coûte rien. C’est une très bonne idée quelles qu’en soient les conditions », a-t-il interprété.

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