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Fin du droit du sol à Mayotte : les élus doutent de l’impact de cette mesure sur les flux migratoires
Par Simon Barbarit
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Alors que tous les regards se tournent vers la Nouvelle-Calédonie, un autre dossier ultramarin embarrasse l’exécutif. Ce vendredi, en fin de journée, Emmanuel Macron reçoit une délégation d’élus de Mayotte pour leur présenter deux projets de loi : un projet de loi constitutionnel et un projet de loi ordinaire sur l’accès au territoire, l’aide au développement, la sécurité, le fonctionnement institutionnel et le point épineux concernant la « clarification » des compétences régionales de la collectivité territoriale unique de Mayotte.
Le projet de loi constitutionnelle a été annoncé par Gérald Darmanin en février dernier lors d’un déplacement dans l’île de l’océan Indien. Dans le 101e département français, confronté depuis des années à une grave crise migratoire, le ministre de l’Intérieur avait promis « l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte dans une révision constitutionnelle ».
Un mois après la large censure de la loi immigration, l’exécutif était bien décidé à ne pas laisser le sujet à la droite et l’extrême droite. « Il ne sera plus possible de devenir français si on n’est pas soi-même de parents français. Et nous couperons ainsi littéralement l’attractivité qu’il peut y avoir dans l’archipel mahorais », assurait le locataire de Beauvau.
« Je doute de l’efficacité de cette mesure spectaculaire »
Un optimisme loin d’être partagé par les deux sénateurs de Mayotte, pourtant membres du groupe de la majorité présidentielle. Thani Mohamed Soilihi rappelle tout d’abord que c’est à son initiative que le droit du sol est déjà limité à Mayotte. Ses amendements à la loi « Asile Immigration » de 2018 avaient conduit à une adaptation. Depuis cette réforme, il est exigé pour les enfants nés à Mayotte que l’un de ses parents ait, au jour de sa naissance, été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois. « Nous n’avons pas fait le bilan de cette réforme. On évalue aujourd’hui à 45 % le nombre de naissances issues de l’immigration irrégulière. Mais nous n’avons pas cherché à savoir combien de parents ont eu recours à des certificats de résidence frauduleux. Nous n’avons pas non plus communiqué sur cette nouvelle législation dans les Comores. Des femmes comoriennes arrivent aujourd’hui à Mayotte pour accoucher sans savoir que leur enfant ne bénéficiera pas du droit du sol. Dernière chose, la vague migratoire actuelle provient de l’Afrique continentale, les personnes qui arrivent ne demandent pas la nationalité française mais un statut de réfugié », expose-t-il.
« L’objectif de cette réforme, c’était quand même de limiter les naissances à Mayotte. 6 ans plus tard, est-ce qu’elle a porté ses fruits ? Non, nous en sommes à 12 000 naissances par an. Je doute de l’efficacité de cette mesure spectaculaire », renchérit Saïd Omar Oili, l’autre sénateur du département.
« Le droit du sol en France n’est pas un droit absolu »
Jules Lepoutre, professeur de droit public à l’université Côte d’Azur, rappelle que l’acquisition de la nationalité par le droit du sol est un principe constant du droit français depuis la monarchie avant d’avoir été « républicanisé ». « A la différence des Etats-Unis, le droit du sol en France n’est pas un droit absolu. La naissance sur le territoire français donne vocation à obtenir la nationalité sous réserve de remplir certaines conditions. Actuellement, un enfant né de parents étrangers doit attendre ses 13 ans, et justifier de cinq ans de résidence depuis ses 8 ans, pour que ses parents puissent réclamer pour son compte la nationalité française. A Mayotte, ce droit est encore limité, ce qui a conduit à faire baisser l’acquisition de la nationalité française à Mayotte par le droit du sol de 2 900 à 900 en 2022 pour 150 000 habitants étrangers estimé par l’Insee. Mais les flux migratoires n’ont pas baissé ».
« Supprimer le droit du sol sans réviser la Constitution conduirait probablement à une censure du Conseil constitutionnel »
Pour faire passer sa réforme, l’exécutif n’a pas vraiment d’autre choix que la voie constitutionnelle. Lors de l’examen du dernier projet de loi immigration, les députés avaient tenté de limiter un peu plus le droit du sol à Mayotte, en prévoyant que les deux parents (au lieu d’un seul) aient résidé de manière régulière sur le territoire depuis au moins un an au moment de sa naissance (contre trois mois actuellement). Cette disposition avait été censurée par le Conseil constitutionnel. Sans se prononcer sur le fond, les Sages ont estimé qu’il s’agissait « d’un cavalier législatif », c’est-à-dire une mesure sans lien direct ou indirect avec le texte initial, tel que défini à l’article 45 de la Constitution. « Supprimer le droit du sol sans réviser la Constitution conduirait probablement à une censure du Conseil constitutionnel au nom du respect d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République mais également de l’indivisibilité de la République », souligne Jules Lepoutre.
Fin des visas territorialisés, aide médicale d’Etat, externalisation des demandes d’asile
Saïd Omar Oili ne veut pas que « Mayotte devienne une exception » dans la République et compte bien rappeler à l’exécutif les propositions des élus locaux en matière d’immigration. Des propositions qui pourraient bien de nouveau enflammer les débats après la présentation du texte en Conseil des ministres fin juillet. Les élus demandent la fin des visas territorialisés, une autre spécificité de l’île, qui amène les étrangers à ne pas bénéficier d’une liberté de circulation vers la métropole car le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) prévoit que « les titres de séjour délivrés » sur l’île « n’autorisent le séjour que sur le territoire de Mayotte ».
Cette demande avait été acceptée par le ministre de l’Intérieur. Elle devrait figurer dans le projet de loi ordinaire qui accompagnera le projet de loi constitutionnelle. « Puisque nous aurons beaucoup moins de titres de séjours et que nous n’aurons plus la possibilité d’être français lorsque l’on vient à Mayotte, les visas territorialisés n’ont plus lieu d’être », avait-il justifié en février. Mais à droite des hémicycles du Parlement, la fin des visas territorialisé fait craindre un nouvel « appel d’air » de l’immigration sur le territoire métropolitain.
Les élus plaident également pour l’instauration de l’aide médicale d’Etat qui n’existe pas à Mayotte. « Mais ça n’empêche pas l’immigration, et de toute façon les médecins à l’hôpital public de Mamoudzou prennent en charge les patients sans regarder leur nationalité. Résultat : notre dette explose que ce soit dans le domaine de la santé ou des transports scolaires », insiste Saïd Omar Oili.
Thani Mohamed Soilihi préconise quant à lui d’externaliser l’examen des demandes d’Asile à l’instar « du Royaume-Uni avec le Rwanda ». « Par le biais d’accords diplomatiques, les demandes pourraient être traitées dans des pays tiers comme Madagascar ou Djibouti car les Comores ne jouent pas le jeu et ce, malgré un accord de développement passé en 2019 qui coûte 50 millions par an à la France ».
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