Fin de vie : la convention citoyenne se prononce pour une « aide active à mourir », Emmanuel Macron temporise

Fin de vie : la convention citoyenne se prononce pour une « aide active à mourir », Emmanuel Macron temporise

Alors que la Convention citoyenne sur la fin de vie a largement voté ce week-end pour une « aide active à mourir », Emmanuel Macron a annulé un dîner qui devait rassembler les acteurs du débat autour de l’euthanasie ce mercredi. Après de nombreux atermoiements, l’exécutif semble temporiser alors que le sujet monte en puissance dans la société.
Louis Mollier-Sabet

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Ce week-end a constitué un « tournant » sur la question de la fin de vie en France, affirme Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne. Après six week-ends de travail dans l’enceinte du Conseil économique social et environnemental (CESE), les 180 citoyens tirés au sort ont en effet répondu à onze questions autour d’une éventuelle évolution législative. Les citoyens ont ainsi déjà validé la raison de leur présence, en actant à 84 % que « le cadre [actuel] d’accompagnement de la fin de vie ne répond pas à toutes les situations rencontrées », ouvrant de fait la porte à une légalisation du suicide assisté (72 %) ou à l’euthanasie (75 %).

Campagne 2022 : Emmanuel Macron « favorable à ce que l’on évolue vers le modèle belge »

Une prise de position assez tranchée qui prend un peu de vitesse le gouvernement. Si la question de l’évolution du cadre législatif avait effectivement été posée par Élisabeth Borne lors du lancement des travaux de la Convention le 9 décembre dernier, Emmanuel Macron multiplie les atermoiements depuis plusieurs années sur le sujet. Lors de sa campagne de 2017, le candidat En Marche avait déclaré le 13 mars dans l’émission Quotidien que la question de la fin de vie « n’était pas une priorité sur le plan de la loi », et avait confié le même jour au journal La Croix qu’il était « favorable à ce que ce débat avance », mais qu’il ne se « précipiterait pas pour légiférer. »

Le sujet n’avait donc sans surprise pas véritablement été mis à l’agenda du premier quinquennat du Président de la République. Mais lors de la campagne 2022, le candidat à sa réélection a proposé de s’en remettre à une « convention citoyenne » sur le modèle de celle qu’il avait mise en place sur le climat, dont il « soumettrait » les conclusions « à la représentation nationale ou au peuple. » Dans l’entre-deux-tours, lors d’un bain de foule à Fouras (Charente-Maritime), Emmanuel Macron avait tout de même lâché « un avis personnel » lors d’un bain de foule, en se déclarant « favorable à ce que l’on évolue vers le modèle belge. »

Obstination thérapeutique, euthanasie passive ou active : qu’est-ce qui est légal en France ?

Actuellement en France, la loi Leonetti de 2005 interdit « l’obstination » thérapeutique « déraisonnable » et la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 entérine également le rôle des directives anticipées et de la personne de confiance. Les directives anticipées sont des instructions, laissées par le patient, exposant ce qu’il souhaite s’il n’est plus capable de s’exprimer. Ces directives doivent être rédigées à la suite d’une consultation d’un professionnel de santé. La personne de confiance, désignée par le patient, est celle qui est chargée de porter sa parole exprimée dans ses directives anticipées, le jour où il est dans l’incapacité de s’exprimer. Dans ces conditions, la législation actuelle autorise la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Cette pratique consiste, d’après le Centre national Fin de vie soins palliatifs, à « endormir profondément et durablement un patient atteint d’une maladie grave et incurable » afin de le soulager, lorsque le décès est attendu « à très court terme » (quelques jours maximum).

L’euthanasie dite « passive » est donc légale en France, alors que le « modèle belge » auquel se réfère Emmanuel Macron autorise l’euthanasie active pour des patients majeurs, volontaires et faisant état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable depuis 2002, sous diverses conditions encadrant la procédure. Depuis 2014, elle est aussi autorisée pour les mineurs, mais seulement dans le cas de souffrances physiques insupportables et d’une situation médicale sans issue entraînant le décès à brève échéance. La petite phrase du chef de l’Etat en pleine campagne électorale était donc apparue comme un revirement, certes présentée comme un « avis personnel », mais qui pèse lourd sur ce genre de sujets.

« Le sujet est tout sauf facile et simple »

Seulement, une fois redevenu Président de la République, Emmanuel Macron s’est remis à souffler le chaud et le froid. Si « c’est le moment de le faire, alors nous ferons », a affirmé le chef de l’État le 2 septembre lors de la remise de la grand-croix de la Légion d’honneur à l’actrice Line Renaud, marraine de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) en France. Dix jours plus tard, à la suite de la remise d’un avis de la Haute Autorité de Santé (HAS) qui ouvrait « la voie » à « une aide active à mourir », le même Emmanuel Macron expliquait « envisager le cas échéant les précisions et évolutions de notre cadre légal d’ici à la fin de l’année 2023 ». « J’ai la conviction qu’il faut bouger parce qu’il y a des situations inhumaines qui existent et qu’il faut y apporter une réponse, expliquait-il encore le 12 février. Mais « le sujet est tout sauf facile et simple », ajoutait-il le 13 septembre dernier.

Le sujet est encore moins simple quand le dîner, prévu ce mercredi 22 février, pour réunir tous les acteurs de la discussion autour de la fin de vie et faire avancer le dossier sous l’égide du Président de la République, a été annulé, rapporte Politico. D’après les informations du Monde, le moment « n’a pas été jugé opportun » par l’Elysée, trois jours après un vote qui aurait pu aliéner les représentants des cultes invités au même titre que les ministres concernés, des représentants du CCNE, du CESE, d’associations ou d’universitaires en faveur d’une évolution législative sur le sujet, comme Denis Labayle ou Frédéric Worms, directeur de l’Ecole normale supérieure.

« La balle est dans le camp du gouvernement »

La Convention citoyenne sur la fin de vie doit encore trancher de nombreux débats sur lesquels elle semble pour le moment partagée, avec notamment des proportions importantes de citoyens tirés au sort – autour d’un tiers – qui ne se sont pas exprimés sur la limitation de l’aide active à mourir aux personnes enfin de vie, ou aux personnes en capacité d’exprimer une volonté « libre et éclairée », et donc pas celles qui sont dans le coma ou démentes. Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne, a expliqué ce lundi matin sur France Info qu’à trois week-ends de travail des conclusions définitives, il restait encore du travail aux citoyens pour faire avancer ce « débat philosophique et sociétal. »

« La balle est dans le camp du gouvernement », a-t-elle ajouté. Lors de l’ouverture des travaux de la Convention, le 9 décembre, Élisabeth Borne avait retenu les leçons de la promesse d’Emmanuel Macron de transcrire dans la loi les propositions de la Convention citoyenne pour le climat « sans filtre. » La Première ministre avait ainsi simplement promis que l’avis de la Convention citoyenne sur la fin de vie constituerait un « éclairage majeur pour [son] gouvernement » et avait « pris l’engagement » de revenir devant les citoyens de la Convention pour rendre compte des suites qu’auront eu leurs recommandations, en s’expliquant devant eux sur d’éventuels points non-retenus.

Levée de boucliers à droite

Si l’encadrement de la mesure reste à définir, les votes de ce week-end semblent tout de même entériner un avis allant vers une évolution législative et l’instauration d’une forme d’aide active à mourir. Avec l’annulation du dîner de mercredi, l’exécutif semble pour l’instant temporiser, mais l’avis de la Convention arrivant le 19 mars, le sujet sera, de fait, bientôt mis sur la table. Et du côté des opposants aux évolutions législatives, on commence à sentir le vent tourner. L’alliance VITA a déclaré dans un communiqué « prendre acte avec effroi » des votes de la Convention citoyenne. Tugdual Derville, porte-parole de l’association et auteur de « Docteur ai-je le droit de vivre encore un peu ? L’euthanasie et le suicide assisté démasqués », craint une « dérive populiste » d’une société qui « affirme que des vies ne sont plus dignes d’être vécues. »

Du côté des Eglises, Monseigneur Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, s’en remettait sur notre antenne à la mise en œuvre réelle de « ce qui est prévu par la loi. » La majorité sénatoriale s’est toujours montrée réticente à une évolution de la loi Clays-Leonetti, mettant plutôt en avant la nécessité de rendre effectif les soins palliatifs, comme lors de débats de mars 2021 autour de la proposition de loi « pour le droit à mourir dans la dignité » de la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie. Un enjeu largement partagé, que soulevait aussi l’avis du CCNE de septembre dernier, et qui était déjà mis en avant dans une tribune de 2018 dans Le Monde, signée par 85 parlementaires, dont Philippe Bas, sénateur LR à l’époque président de la commission des Lois et maintenant questeur du Sénat, Bruno Retailleau, président du groupe LR, ou Agnès Canayer, sénatrice LR en pointe sur ce genre de questions.

François-Xavier Bellamy, eurodéputé LR et soutien de Bruno Retailleau lors du dernier congrès des Républicains, a déclaré ce lundi sur Sud Radio que la Convention citoyenne « ne représente qu’elle-même » et « n’engage pas notre démocratie. » Aussi bien opposé à l’euthanasie qu’au principe des conventions citoyennes, qui n’enchante pas non plus la droite sénatoriale, le numéro 2 des Républicains s’appuie sur une tribune publiée dans Le Figaro le 16 février de 13 associations de soignants, alors qu’une tribune contraire avait été publiée dans Le Monde, dix jours plus tôt pour affirmer « haut et fort que l’aide médicale à mourir est un soin. » Emmanuel Macron ne pourra reporter son dîner très longtemps.

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