Fin de l’objectif de réduction du nucléaire, durcissement des sanctions pour les intrusions dans les centrales : que contient le texte du Sénat ?

Fin de l’objectif de réduction du nucléaire, durcissement des sanctions pour les intrusions dans les centrales : que contient le texte du Sénat ?

Le Sénat s'apprête à voter ce mardi le projet de loi sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Certaines dispositions ont été introduites par le Sénat en dehors des simplifications administratives mises sur la table par le gouvernement. Tour d’horizon du contenu du texte, qui sera définitivement voté par le Sénat mardi prochain.
Louis Mollier-Sabet

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  • Suppression de l’objectif de réduction du nucléaire dans le mix électrique à 50 %

Cela ne devait initialement pas faire partie des débats de ce projet de loi, qui « n’est pas une loi de programmation », ont inlassablement répété Agnès Pannier-Runacher et son cabinet durant tout le parcours de ce texte au Sénat. Pourtant, la majorité sénatoriale, très attachée à « la filière » ne l’a pas entendue de cette oreille, et a estimé que la relance du nucléaire ne pouvait passer que par des mesures techniques et nécessitait un « signal politique. »

Il faut dire que le débat était mal emmanché à quelques mois de la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie au Parlement. Agnès Pannier-Runacher a plaidé « l’anticipation » de difficultés techniques rencontrées par EDF et par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), avant une discussion de plein droit sur le futur des politiques énergétiques françaises à l’été ou l’automne prochain. Mais la majorité sénatoriale, tout comme la gauche, ont dénoncé la méthode du gouvernement sur le sujet, qui a d’abord fait voter des mesures techniques d’accélération des énergies renouvelables, puis du nucléaire, avant même de fixer ces objectifs dans la loi. Quoi qu’il en soit, la droite sénatoriale a fini par supprimer du code de l’énergie cet objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique à 50 % en 2035, malgré la tentative de conciliation de la ministre de la Transition énergétique.

Agnès Pannier-Runacher a en effet tout de même proposé en séance un amendement différent du texte initial, qui modifie le code de l’énergie en affirmant que l’objectif des politiques énergétiques doit être de « diversifier le mix électrique en visant un meilleur équilibre entre le nucléaire et les énergies renouvelables. » La ministre a par ailleurs fait remarquer à la majorité sénatoriale que, selon RTE, la part de nucléaire dans le mix électrique en 2050 sera de toute façon au plus de 50 %. Il faudra maintenant voir si ce « signal politique » survivra à la prochaine commission mixte paritaire contre l’avis de la majorité présidentielle, qui devra tout de même s’accorder avec la droite sur ce texte.

  • Mise en conformité des documents d’urbanisme avec la relance du nucléaire

Les débats ont ensuite été beaucoup plus fluides hier soir, au moment d’aborder les mesures qui constituaient en fait le cœur du projet de loi présenté par le gouvernement. Le Sénat a précisé quelques points techniques en séance, notamment sur l’information en amont des collectivités locales de l’impact des nouvelles installations nucléaires sur leurs documents d’urbanisme, mais le dispositif du gouvernement a globalement été validé.

Ainsi, les différentes procédures administratives ont été rassemblées et simplifiées, avec certaines dérogations dues aux « projets d’intérêt général. » Par exemple, les nouveaux réacteurs seront dispensés d’autorisation d’urbanisme, la conformité du projet aux règles d’urbanisme étant vérifiée par les services de l’Etat dans le cadre de la demande d’autorisation environnementale et d’autorisation de création, qui sont toutes les deux maintenues.

Le but de cette démarche est aussi de concentrer d’éventuels contentieux devant le Conseil d’Etat, puisque toutes ces autorisations seront délivrées par décret. Auparavant, les différentes autorisations d’urbanisme auraient pu être contestées devant d’autres tribunaux administratifs. Le gouvernement espère ainsi gagner plusieurs mois sur les délais de construction des nouveaux réacteurs, tout en « sécurisant juridiquement » la relance du nucléaire français.

  • Démarrer la construction des parkings et des bureaux avant la fin des démarches pour les réacteurs

Autre disposition du projet de loi adopté par le Sénat : effectuer « en parallèle » les démarches pour l’autorisation de construction des nouveaux réacteurs et celles nécessaires à l’édification des infrastructures secondaires. Concrètement, le but est de pouvoir débuter la construction des parkings ou des bureaux sans attendre la fin des démarches plus lourdes concernant les réacteurs à proprement parler.

  • Ne pas prendre en compte les nouveaux réacteurs dans les objectifs d’artificialisation des sols

La version adoptée par le Sénat entend exclure la construction des nouveaux réacteurs nucléaires des objectifs de « zéro artificialisation nette » auxquels sont soumises les collectivités locales. Une mesure inutile pour le ministère de la Transition écologique qui explique que les « projets d’intérêt général » sont déjà compris dans un quota d’artificialisation réservé au niveau national. Sur ce point, la majorité présidentielle et la droite devront donc trouver un point d’accord en commission mixte paritaire.

  • Cette simplification est temporaire, et ne concerne que des nouveaux réacteurs construits dans des centrales existantes

Le projet de loi précise par ailleurs que l’ensemble de ces mesures ne s’applique qu’aux nouveaux réacteurs construits à « proximité immédiate » des centrales existantes. Ainsi, sur les six premiers EPR voulus par l’exécutif, les deux premiers doivent être bâtis sur le site de Gravelines (Nord), les deux suivant à Penly (Seine-Maritime), et la troisième paire est pressentie pour une centrale jouxtant le Rhône.

Le but est double. D’une part, simplifier, là encore, les procédures pour des sites qui ont déjà été étudiés dans cette perspective. D’autre part, le ministère de la Transition écologique espère « capitaliser sur un tissu local qui accepte l’activité » nucléaire.

  • Mieux prendre en compte l’impact du changement climatique et la cybersécurité

Le rapporteur LR du projet de loi, Daniel Gremillet, avait déjà fait adopter en commission un amendement qui entend mieux prendre en compte l’impact du changement climatique et le contrôle de cybersécurité à la démonstration de sûreté exigée lors des visites décennales.

En séance, la sénatrice écologiste, Monique de Marco, a aussi fait adopter un amendement, contre l’avis du gouvernement, mais avec les voix de la droite, qui interdit l’installation de réacteurs « sur des sites vulnérables aux inondations et aux submersions marines. »

  • Renforcer les moyens de l’ASN ?

Un autre amendement de la gauche, déposé par le groupe socialiste, a été adopté en séance, avec un avis de sagesse du rapporteur LR et de la ministre Agnès Pannier-Runacher. Celui-ci demande un audit sur les « besoins prévisionnels » de l’ASN et de l’IRSN, pris en tenaille entre les contrôles des centrales existantes pour statuer sur leur prolongation, les enjeux de sûreté liés à la relance du nouveau nucléaire, et les impacts du changement climatique. L’audit devra statuer sur une éventuelle nécessité d’augmenter les moyens de l’Autorité de Sûreté Nucléaire dans ce contexte.

  • Durcissement des sanctions pour les intrusions dans les centrales

En toute fin de séance, le Sénat a adopté, contre l’avis du gouvernement, un amendement du sénateur LR Henri Leroy, défendu en séance par le sénateur LR Marc Laménie et cosigné par 50 sénateurs de la majorité sénatoriale, qui double l’amende – jusqu’à 200 000 euros – et triple la peine d’emprisonnement – jusqu’à trois ans – pour « toute personne ou association qui s’introduirait ou tenterait de s’introduire » à l’intérieur d’une centrale sans l’autorisation de l’autorité compétente.

« Les activistes zélés et leurs associations doivent savoir qu’on ne peut pas violer impunément le droit de propriété, d’autant plus lorsqu’il en va de la sécurité de nos installations nucléaires, indispensables à notre souveraineté », a expliqué Henri Leroy. « Je partage totalement votre objectif de sécurité et de protection des sites contre des intrusions. Mais les peines qui existent sont proportionnées et assez lourdes en vérité, le premier sujet est de les faire appliquer », lui a répondu Agnès Pannier-Runacher.

Du côté des écologistes, cet ultime amendement a eu du mal à passer. « Les écologistes ont toujours été hostiles à l’énergie nucléaire mais ont toujours eu une vigilance pour la sûreté, qui a amené l’industrie nucléaire à regarder de très près certaines problématiques. Lorsque des personnes montrent que l’on peut s’introduire dans une centrale, cela amène des réponses en face. Tout cela participe de la sécurisation et montre que l’industrie a des failles », a ainsi argumenté le sénateur écologiste Daniel Salmon, rejoint par son collègue, Ronan Dantec : « Les activistes ne mettent strictement personne en danger et participent d’une certaine manière à la détection des failles. »

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