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Fait exceptionnel, le Sénat va refuser d’examiner le budget pour dénoncer son « insincérité »
Par François Vignal
Publié le
C’est un fait exceptionnel. Selon nos informations, le Sénat s’apprête à ne pas examiner en séance le projet de loi de finances 2017, déjà adopté en première lecture à l’Assemblée nationale. La majorité sénatoriale LR et UDI devrait l’annoncer demain, après l’examen le matin en commission de la partie recettes du budget 2017.
La majorité de droite et du centre s’est mise d’accord pour déposer une motion préalable à l’ouverture des débats en séance, le 24 novembre prochain. Concrètement, après la discussion générale avec les prises de parole du ministre et du rapporteur, l’adoption de la motion mettra fin à l’examen. La Haute assemblée ne donnera pas sa version du texte, qui sera renvoyé devant les députés.
« Nous allons marquer solennellement notre refus de nous livrer à cette exercice qui nous semble être une mascarade »
« Le Haut conseil des finances publiques nous a déjà dit que ce budget était improbable, incertain. (…) Ce budget est de notre point de vue insincère. Il faudra que le Sénat marque clairement que c’est sans doute sans précédent d’avoir une construction budgétaire aussi instable, visiblement plus destinée à assurer la campagne électorale de Monsieur Hollande ou de Monsieur Valls, on ne sait pas (…). Nous allons marquer solennellement notre refus de nous livrer à cette exercice qui nous semble être une mascarade » confirme à publicsenat.fr Vincent Capo-Canellas, vice-président du groupe UDI-UC du Sénat (voir la vidéo).
Une attitude nouvelle. Le budget 2016 avait été adopté après avoir été profondément modifié, contre l’avis du gouvernement. Sous la présidence de gauche de Jean-Pierre Bel, le budget n’avait pas été adopté par le rejet conjoint – mais pour des raisons opposées – de la droite et des communistes. Ce rejet était intervenu au terme de la discussion de la première partie sur les recettes. Cette fois, les sénateurs n’apporteront aucune modification et ne donneront pas leur version du texte.
S’il s’agit d’un fait exceptionnel, ce n’est en revanche pas une première. En 1993, la majorité sénatoriale avait déposé et adopté une question préalable sur le projet de loi de finances.
« On a parfois fait dans le passé la totalité, recettes et dépenses, et parfois on a voté contre les recettes en n’abordant pas le problèmes des dépenses. La réalité cette fois-ci c’est qu’on a le sentiment que la totalité du budget est construit sur de telle bases électoralistes que même la partie recettes est compliqué à discuter entre nous. L’idée pour le moment, c’est plutôt en réalité une motion qui permettrait de rejeter l’ensemble sans même rentrer dans le débat. Il y aurait la discussion générale et il n’y aurait même pas d’entrée dans les recettes. Une motion préalable en disant que ce budget est insincère. A partir de là, il n’y a pas de raison d’en discuter, ni sur la partie recettes ni la partie dépenses » explique le sénateur LR Roger Karoutchi, membre de la commission des finances. Regardez :
« On n’est pas là pour être les faires valoir d’un gouvernement qui essaie de donner quelques douceurs ou quelques gâteries »
La droite reproche au gouvernement ses promesses d’ordre électoral à quelques mois des élections. « On n’est pas là pour être les faire-valoir d’un gouvernement qui essaie de donner quelques douceurs ou quelques gâteries ici ou là » lance le sénateur LR Jean-Baptiste Lemoyne. Pour compliquer la tâche de l’exécutif, le ministre des Finances Michel Sapin a lui-même reconnu que ses prévisions budgétaires étaient un peu surestimées. Après avoir avancé le chiffre de 1,5% de croissance en 2017, Michel Sapin a parlé début novembre d’une croissance « au-dessus de 1,3% ».
Une autre piste était dans les tuyaux de la majorité sénatoriale : adopter au moins la partie recettes, à défaut de l’ensemble du texte. De quoi exprimer des positions et faire passer des amendements, même symboliquement, puisque l’Assemblée serait revenue dessus. Le rapporteur général du budget au Sénat, le sénateur LR Albéric de Montgolfier, évoquait encore fin octobre cette piste. « Jusqu’à maintenant, la majorité du président Larcher a toujours pris ses responsabilités. L’année dernière, comme l’année précédente, nous avons examiné le PLF jusqu’au bout en l’amendant significativement. Le Sénat a toujours assumé ses responsabilités » nous avait-il rappelé (voir notre article). Mais la majorité, autour de Gérard Larcher, en a finalement décidé autrement.
« Effet tout à fait désastreux » pour le Sénat
Le coup d’arrêt que s’apprête à mettre la droite sénatoriale au budget n’est pas du goût des socialistes. « Totalement hostile à cette manière de faire », la présidente PS de la commission des finances, Michèle André, dénonce « une posture politique ». « Ne pas étudier la loi de finances quand on est au Sénat, ça ne correspond pas à ce qu’on attend d’un parlementaire qui doit assumer ses responsabilités. J’ai fait savoir ma réprobation au président du Sénat lui-même » explique la sénatrice du Puy-de-Dôme. Elle pointe un « effet tout à fait désastreux » pour le Sénat et son « image » « de ne pas faire notre travail comme nous le devons ». Regardez :
Elle note qu’au cours des débats en commission sur les différentes missions, les Républicains n’étaient pas toujours d’accord. « Quand on apprend que les candidats à la primaire veulent supprimer 300, 400 ou 500.000 postes de fonctionnaires, on aimerait qu’ils nous disent où tout de suite. On voit bien que la réponse n’est pas facile à donner… » souligne Michèle André.
Le président du groupe PS, Didier Guillaume, a d’abord cru à « une blague » en apprenant la nouvelle, « puisque, le président du Sénat, Gérard Larcher, a dit que le Sénat (allait) préparer le budget de l’alternance. (…) Finalement, ils ont décidé d’étouffer le Sénat, de le bâillonner et j’espère de ne pas l’assassiner. Surtout, ils refusent de présenter leur programme peut-être parce qu’ils ne sont pas très en phase. La primaire de la droite fait beaucoup de dégâts collatéraux et aujourd’hui la victime, c’est le Sénat » affirme Didier Guillaume. Regardez :
En faisant l’impasse sur le budget, la majorité se retire en effet une épine du pied. Si un contre-budget était adopté, lequel ? Celui de Sarkozy ? Fillon, majoritaire au groupe LR ? Ou Juppé, majoritaire si on ajoute les sénateurs UDI ? A droite, on balaie d’un revers de main cette question. Elle n’aurait pas défini la position du Sénat. Pas plus que la date d’arrivée du texte en séance : entre les deux tours de la primaire, qui phagocytera une grande partie de l’actualité politique.