La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Face à Michel Barnier, les parlementaires macronistes esquissent les principes d’une « opposition constructive »
Par Romain David
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Le vent glacial qui balaye le Clos de l’Orangerie ce mardi 10 septembre, ferait presque oublier la beauté du décor, chic et champêtre, avec ses vieilles pierres, ses poutres blanchies, ses grandes baies vitrées et sa piscine couverte. La météo, incertaine, est en accord avec l’humeur des députés et des sénateurs Renaissance, qui ont choisi cet ancien corps de ferme située à Rosny-sur-Seine, à quelques kilomètres de Mantes-la-Jolie, pour leur rentrée parlementaire. Un cadre a priori idyllique, mais qui pourrait être celui d’un mariage de raison, entre les soutiens du président de la République et le nouveau Premier ministre, issu pour la première fois en sept ans d’un autre camp politique que le leur. « Aujourd’hui, je ne sais pas si je suis dans l’opposition ou la majorité, ce qui n’est pas négligeable… », soupire Ludovic Mendes, élu de Moselle et l’un des représentants de l’aile gauche de la macronie.
Michel Barnier était attendu en fin de journée pour participer à un cocktail dînatoire avec les élus, une visite qui s’est décidée au dernier moment, tout occupé qu’il est à composer son futur gouvernement. « Je comprends qu’il veuille participer à la rentrée des groupes parlementaires. Il doit prendre la température », explique un ministre démissionnaire. « Ça a été compliqué de me dire que ce soit une bonne chose qu’il soit là, car on nous parle toujours du ‘qui’, mais jamais du ‘pour quoi’… », fulmine un député, qui regarde d’un œil inquiet la nomination du Républicain.
« Notre soutien ne peut pas être tenu pour acquis »
L’arrivée du LR Michel Barnier à Matignon, après 51 jours de flottement, achève d’acter la défaite des macronistes aux législatives anticipées. Devant les parlementaires, le Premier ministre sortant, Gabriel Attal, désormais président du groupe Ensemble pour la République à l’Assemblée nationale, a estimé que leur « premier devoir » était « de tout faire pour que ça marche ». Pour autant, il n’a rien renié du communiqué glacial transmis aux députés le jour de son départ : « Ni volonté de blocage, ni soutien inconditionnel ».
« On a le droit d’être exigeant : nous avons le droit de dire que notre soutien ne peut pas être tenu pour acquis et qu’il passe par des engagements forts sur notre programme législatif, sur nos idées et sur nos valeurs », a-t-il répété ce mardi matin, selon des participants. La plupart des élus interrogés estiment désormais faire partie de « l’opposition », mais « d’une opposition constructive ».
Il faut dire que le parcours politique de celui qui fut ministre d’Édouard Balladur, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, connu pour son engagement européen, mais qui a aussi marqué les esprits avec des positions très conservatrices pendant la primaire de la droite en 2021, nourrit un véritable embarras chez les soutiens d’Emmanuel Macron, entre ceux qui appellent au dépassement pour éviter la paralysie, dans un contexte de forte fragmentation politique, et ceux qui s’inquiètent de la ligne que pourrait incarner le nouveau chef de gouvernement.
« Michel Barnier donne plus de gages à la droite et à l’extrême droite qu’à la gauche »
Ses positions sur le rétablissement de la double peine et des peines planchers, mais aussi le moratoire qu’il voulait instaurer sur l’immigration, effraient beaucoup d’élus. À cela s’ajoute l’hypothèse d’un retour du ministère de l’Immigration, éphémère tentative de l’ère Sarkozy, sur laquelle travaillerait à nouveau Matignon, selon des informations de franceinfo. « Barnier n’a pas été nommé pour appliquer le programme de la droite », avertit une députée. « Je ne dirais pas qu’il est sous surveillance, mais il n’y a pas de secret sur le fait que nous ne sommes pas en phase avec ce qu’il porte », admet Ludovic Mendes.
D’autant que la droite fait déjà pression sur Michel Barnier, et monnaye son soutien à certains marqueurs politiques, listés dans le « pacte législatif » qu’elle a présenté au début de la période estivale. « Aujourd’hui, Michel Barnier donne plus de gages à la droite et à l’extrême droite qu’à la gauche. […] Rouvrir le dossier immigration alors que la loi de décembre n’est pas appliquée m’inquiète », avoue encore Ludovic Mendes. Et d’avertir : « Si l’on refait une loi immigration sur les thématiques que LR n’a pas su imposer dans le débat parlementaire, beaucoup d’entre nous lâcheront ».
« Il faut trouver un moyen d’arbitrer les désaccords »
Soucieux de nommer une figure de consensus, qui échapperait à la censure, Emmanuel Macron a peut-être bradé l’unité de sa propre famille politique, même si d’aucuns se refusent pour l’heure à parler de fracture. Mais de lézardes, peut-être… Si personne ne s’oppose durement, personne ne veut d’un soutien inconditionnel. Mais peut-on seulement parler d’une position d’équilibre, entre ce ministre démissionnaire qui assure « n’avoir aucun tabou sur une réforme de l’Aide médicale d’Etat (AME) », et François Patriat, le chef de file des sénateurs socialistes, qui nous assure que « personne aujourd’hui ne peut songer à une disparition de l’AME » ?
« Les désaccords ne seront pas tant sur les questions budgétaires que sur les valeurs morales, il faut trouver un moyen de les arbitrer », explique Gérald Darmanin, qui reconnait également être celui qui « est certainement le plus proche des positions de Michel Barnier ». Le ministre démissionnaire de l’Intérieur estime que le groupe doit fixer ses lignes rouges, et donc faire bloc pour renforcer sa capacité à peser, plutôt que de céder à un émiettement des positions au gré des réformes qui seront présentées.
Implicitement, il ouvre aussi la voie à la possibilité de quitter en bloc le gouvernement – dans l’hypothèse d’une participation -, comme une épée de Damoclès sur la tête de Michel Barnier. « Avant Alexandre, il y a eu Aristote », sourit celui qui est redevenu député du Nord. « Mais pour l’instant, nous ne pouvons pas mettre de lignes rouges sur un programme que nous ne connaissons pas », objecte une élue issue des rangs socialistes.
La « nouvelle architecture gouvernementale devra être la plus large possible »
« Est-ce que l’on souhaite participer à ce gouvernement ? Nous voulons le faire réussir. Mais à quelles conditions, sur quelle feuille de route ? Quelle sera la déclaration de politique générale de Michel Barnier ? », interroge Thomas Cazenave, ministre délégué sortant chargé des Comptes publics. « Nous devons prendre conscience que nous ne pouvons plus rien faire sans les 47 députés LR. Pour autant, vous ne pouvez pas faire table rase de la situation politique. S’il n’y a aucun représentant du bloc central dans le gouvernement, Michel Barnier perdra le soutien des macronistes », prédit un membre du gouvernement démissionnaire, lui-même issu des rangs de la droite.
Car la ligne politique du nouveau Premier ministre dépendra aussi des équilibres mis en place au sein de son équipe ministérielle. Quelles latitudes pour les membres de l’ancienne majorité, et notamment les élus Renaissance ? « Actuellement, on est moins bien placé pour y rentrer que Retailleau et Wauquiez », raille une députée. « Il faudra un équilibre entre les forces constructives, mais la vraie question est : arrivera-t-il à faire rentrer des personnalités plutôt situées à gauche ? »
« L’alliance avec les LR arrive aujourd’hui, elle assez naturelle, mais elle n’est pas suffisante », reconnaît volontiers Gérald Darmanin. François Patriat estime lui-aussi que la « nouvelle architecture gouvernementale devra être la plus large possible ». Surtout, le sénateur appelle à la nomination de « poids lourds politiques, capables d’assurer une forme de durée ».
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