Exportation d’armes à l’étranger : le Sénat dote le Parlement d’un pouvoir de contrôle, contre l’avis du gouvernement

Dans le cadre de l’examen du projet de loi de programmation militaire, les sénateurs de droite comme de gauche ont adopté un amendement pour doter la délégation parlementaire au renseignement de prérogatives de contrôle des ventes d’armes à l’étranger, a posteriori et sous secret défense. Malgré ce cadre strict, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, s’y est opposé.
François Vignal

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C’est un sujet sur lequel l’exécutif entend visiblement garder la main et ne pas ouvrir le débat. Du moins si l’on s’en tient à l’avis donné par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, à la demande de contrôle du Parlement sur les exportations d’armement. Il ne tient qu’en un seul mot : « Défavorable ». On a pourtant connu le ministre plus prolixe durant les premières heures d’examen du projet de loi de programmation militaire 2024-2030, ce mardi, comme pour expliquer son désaccord sur les modifications budgétaires apportées par la Haute assemblée.

C’est donc contre l’avis du gouvernement que les sénateurs ont adopté dans la soirée un amendement du rapporteur LR, Christian Cambon, qui donne de nouvelles prérogatives à la délégation parlementaire au renseignement (DPR) pour permettre un contrôle a posteriori des ventes d’armes à l’étranger. Le sujet devrait faire l’objet d’un débat en commission mixte paritaire. A moins que les députés, qui ont le dernier mot, reviennent dessus au bout de l’examen du texte.

« Nous sommes sur un sujet important qui revient régulièrement »

« Nous sommes sur un sujet important qui revient régulièrement », souligne celui qui est aussi président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat. Il note au passage que « dans d’autres parlements, c’est un sujet qui fait l’objet de contrôles beaucoup plus importants ».

Aujourd’hui, sans accord de l’exécutif, impossible de vendre des armes. Le sénateur LR a rappelé le dispositif : « Les ventes d’armes font l’objet d’un examen par une commission présidée par le premier ministre, la CIEEMG (Commission interministérielle pour l’exportation des matériels de guerre), qui examine les licences d’exportation, et qui émet un avis favorable ou défavorable. Sauf que l’ensemble de ce travail donne lieu à un assez modeste rapport, […] il ne permet en aucun cas un échange politique ».

« Utiliser la délégation parlementaire au renseignement, un organisme interparlementaire qui rassemble quatre députés et quatre sénateurs »

L’amendement de Christian Cambon, qui a reçu également le soutien des socialistes, des communistes et des écologistes, soit toute la gauche, a pour objectif « d’utiliser la délégation parlementaire au renseignement, un organisme interparlementaire qui rassemble quatre députés et quatre sénateurs, qui contrôle les activités de renseignement, avec une sous-commission pour le contrôle des fonds secrets », le tout sous le sceau du « secret absolu ».

« Plutôt que créer une délégation nouvelle, j’ai pensé qu’il était utile d’utiliser cet organisme et d’y créer une sous-commission qui vérifierait a posteriori les exportations d’armes. Le rapporteur de la CIEEMG peut venir une ou deux fois par an, pour rapporter les autorisations et les refus de licence », explique Christian Cambon. Autrement dit, ce n’est pas non plus la révolution. Réalisés sous le sceau du secret-défense, ce contrôle et les informations resteraient derrière les quatre murs de « la salle blanche » de la DPR où les téléphones sont interdits, et connus des seuls huit parlementaires qui en sont membres, comme les présidents des commissions des lois ou ceux de la défense. Christian Cambon voit au passage une autre utilité, pour l’exécutif : « Si le gouvernement est attaqué, car un jour, il y aura fatalement un accident (suite à des ventes d’armes), il pourra dire « j’ai rendu compte de mon activité au Parlement » ».

« L’utilisation de la DPR nous paraît être une bonne occasion de régler ce problème » du contrôle des ventes d’armes, conclut le rapporteur, qui « supplie le gouvernement de nous entendre sur ce sujet ». En vain. Le ministre Sébastien Lecornu s’est donc borné à se dire « défavorable »… et pas un mot de plus pour expliquer ce refus. On reste sur sa faim.

« La réponse lapidaire du ministre n’est pas très rassurante »

« Nous regrettons que le gouvernement dise juste un mot, et pas plus », a pointé le socialiste Rachid Temal. « La réponse lapidaire du ministre […] n’est pas très rassurante, sur un sujet qui gagne en sensibilité ces dernières années. S’il y a des amendements venus des bancs divers, montrez un peu plus d’égard », s’est étonné le communiste Pierre Laurent, qui a défendu de son côté la création d’une « délégation interparlementaire » spécifique « chargée de contrôler les autorisations et les licences, qui disposerait si nécessaire d’un droit de véto et dont les travaux seraient couverts par le secret ». Une nécessité « démocratique » et de « transparence », soutient le sénateur PCF, d’autant que « la France est au 3e rang mondial des pays exportateurs, on parle même du 2e rang ». A défaut d’un soutien à son amendement, Pierre Laurent s’est rangé derrière celui du rapporteur pour au moins « expérimenter » ce premier pas.

Le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard, qui a présenté un amendement similaire à celui de Christian Cambon, s’appuyant notamment sur des travaux d’Amnesty International, a « salué le choix fort de la majorité sénatoriale, qui permettra à la France de répondre aux bonnes pratiques de l’Union européenne ». Les LR, les socialistes, les communistes et les écologistes d’accord, qui plus est sur une question de défense, c’est assez rare pour être souligné. Mais pas suffisant pour emporter l’adhésion du ministre.

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