PARIS : Meeting de Jordan Bardella

Européennes : que risque le RN en utilisant l’image d’un gendarme sur un visuel de campagne ?

Dimanche, alors que Jordan Bardella tenait son dernier meeting au Dôme de Paris, un visuel de campagne du RN représentant un gendarme a provoqué la colère du directeur général de la gendarmerie et du gouvernement.
Simon Barbarit

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Un candidat ne devrait pas faire ça. C’est en substance le rappel à l’ordre fait à Jordan Bardella par Christian Rodriguez. Le patron de la gendarmerie nationale a réagi vivement à un visuel de campagne du RN, diffusé sur X, et mettant en scène un gendarme en uniforme, de dos, avec la phrase suivante : « Je suis gendarme. Le 9 juin, je vote Bardella », le tout accompagné du logo du parti.
La représentation de différents corps de métiers censés « voter Bardella » le 9 juin s’intègre dans une campagne de communication numérique du RN. L’utilisation de l’image d’un militaire pose néanmoins plusieurs questions. Elle touche tout d’abord au devoir de réserve des agents publics comme l’a souligné sur X, Christian Rodriguez.
« Vous semblez ignorer que le statut militaire interdit ce genre de message. Et le moins qu’on puisse attendre, c’est que vous respectiez le gendarme et son statut, dans ces périodes où son engagement peut le conduire aux pires conséquences. Ce message est inadmissible », a-t-il tancé.
En effet, le devoir de réserve « désigne l’obligation faite à tout agent public de faire preuve de réserve et de retenue dans l’expression écrite et orale de ses opinions personnelles », « pendant et en dehors du temps de travail ».
Pour les militaires, le Code de la Défense dispose, par ailleurs, que « les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques ne peuvent être exprimées « qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire. Cette règle s’applique à tous les moyens d’expression ».

« On laisse entendre aux Français que les gendarmes sont inféodés à un parti »

Pas de quoi inquiéter Jordan Bardella pour autant, qui a lui-même répondu au patron de la gendarmerie sur X. « Les gendarmes respectent le devoir de réserve dans leurs fonctions, contrairement à vous, qui prenez à partie publiquement un mouvement politique en pleine campagne officielle. Ils ne sont pas des sous-citoyens : ils votent, beaucoup pour le RN, ce qui a l’air de vous contrarier », a-t-il observé.

« Si vous aviez un peu conscience de l’État et de ses fonctionnaires, vous ne vous comporteriez pas ainsi, en politicien insultant », a réagi le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Le RN a également diffusé un deuxième visuel représentant le haut du corps d’un militaire en uniforme arborant un écusson tricolore avec la même mention : « Je suis militaire. Le 9 juin, je vote Bardella ». Pour ce tweet, c’est le ministre des Armées, Sébastien Lecornu qui est monté au créneau. « Respecter la République, c’est de ne jamais instrumentaliser l’armée qui protège la Nation à des fins électoralistes », a-t-il commenté sur X.

Ancien gendarme, le sénateur (LR) Henri Leroy juge « exécrable » les visuels du RN. « On laisse entendre aux Français que les gendarmes sont inféodés à un parti, ce qui les met encore un peu plus en danger et ils n’ont pas besoin de ça. Alors que le gendarme est uniquement au service de la Nation et de l’Etat », appuie-t-il.

« Nous avons la confirmation que le RN n’est pas un parti républicain »

« C’est une manière de dire : on est chez nous. On comprend bien que si ce parti arrivait, par malheur, au pouvoir, il utiliserait les moyens de l’Etat à son profit et la neutralité de l’Etat serait bafouée », alerte le président du groupe socialiste du Sénat, Patrick Kanner.

« Ces visuels sont assez révélateurs. Ce n’est pas parce que vous mettez une cravate que vous êtes respectable et nous avons la confirmation que le RN n’est pas un parti républicain. Il se fout de la République et de ses valeurs. L’armée est au service de tous les citoyens et les représenter de la sorte les met en danger », complète le patron du groupe écologiste du Sénat, Guillaume Gontard

Invité de la matinale de Public Sénat, le vice-président du RN, Sébastien Chenu a balayé « cette polémique ridicule ». « Les gendarmes respectent le droit de réserve individuellement […] Mais, on le voit dans toutes les études, ils votent majoritairement RN », a-t-il justifié.

Ce n’est pas la première fois que le RN tend la main aux militaires. En 2021, une tribune publiée sur le site internet de Valeurs Actuelles, co-signée par 1 000 militaires dont 20 généraux à la retraite décrivaient une France « en péril », en proie aux « hordes de banlieue » et à la « guerre raciale » avait reçu le soutien de Marine Le Pen. Elle leur avait répondu dans le même média : « Messieurs les généraux, rejoignez-moi dans la bataille pour la France ».

Aux dernières élections européennes une étude de l’IFOP publiée par la fondation Jean Jaurès avait relevé que dans les petites villes de garnison de l’armée de terre, le vote RN était « très nettement supérieur à la moyenne départementale ».

Il n’empêche pour le président de la commission des lois du Sénat, François Noël Buffet (LR), « ces publications sont condamnables politiquement mais aussi juridiquement ». « D’un point de vue juridique, on verra ce que dira le juge », complète Patrick Kanner.

Quelles règles a pu enfreindre le RN ?

Ce matin sur franceinfo, Gabriel Attal a martelé : « Il y a une loi qui dit que les partis politiques ne doivent pas utiliser l’image, les logos de la gendarmerie, de la police, des militaires ».

Sur les visuels mis en ligne par le RN figurent, soit le drapeau Français, soit la juxtaposition des couleurs bleu, blanc, rouge. Le code électoral interdit l’utilisation de l’emblème national et la juxtaposition de ces trois couleurs « dès lors qu’elle est de nature à entretenir la confusion avec l’emblème national ». Cette interdiction porte sur « les affiches et les circulaires (profession de foi (NDLR) ». Les visuels du RN ne sont ni l’un, ni l’autre, et pourraient être qualifiés de tracts électoraux. La loi n’interdit pas l’utilisation les trois couleurs bleu, blanc, rouge et l’emblème national sur des tracts.

« Par contre, si l’on se penche sur le contenu des visuels, le logo de la gendarmerie apparaît clairement. Ça peut laisser entendre aux électeurs que la gendarmerie a donné son accord et qu’elle soutient officiellement le RN pour les Européennes », souligne Alexandra Aderno, avocate, spécialiste du droit électoral. « Dès lors, on pourrait considérer que ce tract constitue une manœuvre frauduleuse susceptible d’altérer la sincérité du scrutin. N’importe quel citoyen peut donc saisir le Conseil d’Etat, le juge compétent pour les élections européennes, afin de contester la légalité de l’élection. Traditionnellement, le juge retient un écart de voix compris entre 1 et 4 % pour invalider l’élection au motif de l’altération de la sincérité du scrutin », ajoute-t-elle. Au vu des sondages, Jordan Bardella peut donc dormir tranquille.

 

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