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Européennes : LFI lance sa campagne en visant 2027, une stratégie dénoncée au PS et chez les Ecologistes
Par François Vignal
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Samedi, La France Insoumise a lancé sa campagne. Des européennes ou de la présidentielle ? La question se pose, après le meeting de la tête de liste LFI, Manon Aubry, à Villepinte, ville de Seine-Saint-Denis. Ici, pas d’« ambiguïté stratégique », chère à Emmanuel Macron sur l’Ukraine, mais une volonté clairement « assumée » de faire du scrutin du 9 juin prochain une première marche en vue de celui de 2027.
« Oui, on a le droit de dire que l’élection européenne de 2024 prépare l’élection présidentielle de 2027. Comme vous préparez votre 2024, vous aurez votre 2027. Il faut bien commencer, et ça commence aujourd’hui », a lancé Jean-Luc Mélenchon, en chauffeur de salle de luxe pour Manon Aubry, qui y est allée aussi de sa formule : « L’après-Macron commence dès le 9 juin ! »
On savait que la classe politique pensait très tôt, pour ne pas dire tout le temps, à l’élection à la magistrature suprême. Mais cette fois, La France Insoumise ne s’en cache pas et affiche la couleur. « Nous assumons, en effet, de vouloir proposer aux Français une autre alternative face aux macronistes et à l’extrême droite », explique le député LFI Paul Vannier, coresponsable de « l’espace batailles électorales » de LFI, autrement dit les élections. « C’est une élection nationale avec une circonscription nationale, avec un Président et un premier ministre directement engagés dans la campagne et une extrême droite qui a dit que les résultats de cette élection auront une portée nationale », avance encore Paul Vannier. « Notre objectif est de jouer la finale », insiste le responsable LFI. Mais Paul Vannier l’assure : « Nous n’éludons pas du tout l’enjeu européen. Sur la crise agricole par exemple, notre solution de prix plancher peut être reprise ».
« On a besoin de Jean-Luc Mélenchon bien sûr, de son expérience, de son talent »
Pour parler présidentielle, quoi de mieux, chez LFI, qu’un Jean-Luc Mélenchon. Quitte à faire de l’ombre à la candidate Manon Aubry. « Non, il ne lui fait pas d’ombre. Il a contribué à mettre en lumière ce rendez-vous. Nous assumons que les européennes ont à voir avec la présidentielle de 2027 », rétorque Paul Vannier. Le Monsieur élections de LFI reconnaît qu’« on a besoin de Jean-Luc Mélenchon bien sûr, de son expérience, de son talent, de sa capacité dans le choix des mots à faire comprendre les enjeux ». Mais le député renvoie aussi à « la qualité de notre liste, de la tête de liste à la dernière avec Huguette Bello, présidente du conseil régional de La Réunion ».
« Mettre en lumière », la liste des insoumis en a besoin. Car sans être un fin stratège à faire pâlir les scénaristes de la série Baron Noir, on voit bien l’utilité d’un sérieux coup de boost pour la liste LFI. Pour l’heure, selon les sondages, LFI tourne autour des 7-8 %, derrière les listes des Ecologistes (ex-EELV) de Marie Toussaint et surtout du PS/Place Publique de Raphaël Glucksmann. On est loin de la présidentielle 2022 où Jean-Luc Mélenchon caracolait en tête de la gauche. « Je pense que c’est compliqué pour LFI d’exister dans ces européennes. Il y a la difficulté des positionnements très radicaux de Jean-Luc Mélenchon qui pèsent sur le parti », avance Emilie Zapalski, communicante et fondatrice d’Emilie Conseil, « et surtout, ce qui est difficile, c’est qu’on voit que Raphaël Glucksmann monte un peu en puissance avec la possibilité de récupérer les déçus du macronisme issus de la gauche ».
« Message à ceux qui ont fait le choix de Jean-Luc Mélenchon en 2022 et de la Nupes »
Pour retrouve cet étiage passé, l’enjeu de la mobilisation est central pour LFI. Le choix du département de la Seine-Saint-Denis, où la formation réalise de gros scores, n’est pas anodin. « Bien évidemment, c’est le sens du message, à ceux qui ont fait le choix de Jean-Luc Mélenchon en 2022 et de la Nupes, de nous donner de la force en participant le plus massivement possible », confirme le responsable des élections de La France Insoumise. Paul Vannier ajoute :
Et si les choses se passent mal, le député LFI du Val-d’Oise anticipe déjà le discours. « Dans le cas contraire, une prime serait donnée aux diviseurs. Nous ferions face à un paysage politique morcelé par les appareils qui n’ont d’autres aspirations que de prospérer sur les rentes électorales qu’ils croient devoir posséder », lance Paul Vannier.
« C’est concéder à l’extrême droite qu’on s’en fout de l’Europe »
Du côté des partis visés, on regrette le choix des insoumis de parler déjà de 2027. « Cela montre que l’Europe et les européennes sont pour LFI une question secondaire. Ce n’est pas notre conception », réagit l’eurodéputé des Ecologistes, David Cormand, numéro 2 sur la liste de Marie Toussaint. Il y voit aussi « une notion d’opportunisme électoral. Ils ont analysé que l’élection européenne n’était pas simple pour eux, que ce soit en 2009 ou 2014, quand Jean-Luc Mélenchon était lui-même candidat. L’idée, c’est donc de nationaliser la campagne des européennes en espérant que ça fera voter plus de gens pour eux. Mais c’est complètement accepter les excès de la Ve République qui est un régime présidentiel, ce qui est contradictoire avec leur discours sur la VIe République », s’étonne David Cormand. Mais selon l’écologiste, « ça ne va pas marcher. Ils avaient déjà fait ça la dernière fois ».
Surtout, « c’est concéder à l’extrême droite qu’on s’en fout de l’Europe, que l’enjeu c’est 2027. C’est exactement la campagne que veut mener l’extrême droite », pointe le second de la liste des Ecologistes. « C’est pour cela qu’on ne souhaite pas une union factice, avec des désaccords importants, et c’est en plus cadeau stratégique fait à l’extrême droite », insiste David Cormand.
Paul Vannier rétorque de son côté que « David Cormand est l’un des principaux fossoyeurs de la Nupes, un des organisateurs de la division de la gauche ». Le responsable des élections de LFI rappelle que « les écologistes ont fait le choix de refuser le choix de la tête de liste d’une liste d’union, comme nous l’avions proposée ces derniers mois. Ensemble nous serions en tête, avec un espoir très grand. Il y a 18 mois, les mêmes personnes signaient un accord de gouvernement pour la Nupes, y compris sur les enjeux internationaux, avec un accord pour déroger aux traités si notre programme n’était pas mis en œuvre ». Certaines questions internationales étaient cependant renvoyées, dans le programme de la Nupes, « à la sagesse de l’Assemblée », manière de reconnaître des désaccords. Il était ainsi précisé qu’EELV et le PS (mais pas les autres partis) étaient pour « l’intensification des livraisons d’armes à l’Ukraine ».
« C’est pour mieux enjamber l’élection européenne »
Côté Parti socialiste, Patrick Kanner pointe également la stratégie des insoumis. « C’est pour mieux enjamber l’élection européenne. Vous avez la même tactique de l’autre côté de l’hémicycle. Les deux partis qui ne croient pas du tout en l’Europe, ce sont LFI et le RN », souligne le président du groupe PS du Sénat. « C’est tout à fait dommageable, c’est tromper les Français que de ne pas vouloir parler des enjeux européens. C’est un contresens politique. Et c’est une imposture, par rapport au débat démocratique », soutient l’ancien ministre de François Hollande, qui a toujours eu la dent dure contre LFI. Patrick Kanner ajoute : « Jean-Luc Mélenchon prépare sa candidature. Ses déclarations étaient celle d’un candidat en 2027. Il est clair que Manon Aubry n’est qu’une marionnette dans les mains de l’ambition présidentielle de Jean-Luc Mélenchon ».
« Même s’il souhaite un vrai débat européen, avec des enjeux clairement explicités, notamment par Raphaël Glucksmann », Patrick Kanner sait bien, cependant, que les résultats ne seront pas sans effet sur la suite. « J’espère que nous arriverons troisième dans cette élection, peut-être même mieux, que ça se traduise dans les urnes, de telle manière qu’il puisse y avoir une conséquence pour les prochaines échéances ».
« Il faut voter pour la paix, la paix, la paix » lance Jean-Luc Mélenchon
Les Insoumis ont insisté sur un autre point samedi : la paix. « Il faut parler de la paix, il faut voter pour la paix, la paix, la paix, la paix, c’est notre vote ! » a lancé Jean-Luc Mélenchon, parlant de l’Ukraine comme de Gaza. « Ce n’est pas le soutien à l’Ukraine que nous remettons en cause mais la stratégie française de l’escalade », a précisé dimanche Manon Aubry dans « Questions politiques » sur France Inter/France Info/le Monde.
On peut y voir une manière de parler à l’électorat peu enclin à suivre le discours d’Emmanuel Macron, qui n’a pas écarté l’envoi de troupes au sol en Ukraine. Mais le positionnement, qu’on retrouve aussi traditionnellement chez les communistes, avec la tête de liste Léon Deffontaines, vise aussi Raphaël Glucksmann. A gauche, c’est lui qui va le plus loin dans le soutien militaire à l’Ukraine. « Il s’agit de s’opposer à la guerre, tout simplement, à ses morts, ses désastres, la peur qu’elle suscite », explique Paul Vannier. Il continue :
Une ligne clairement attaquée à gauche. « C’est vraiment un élément de langage qui n’engage à rien », lance l’écologiste David Cormand. « Ce champ lexical de la paix et d’un non-alignement dissimule une intériorisation des arguments de Poutine. Les Insoumis sont traditionnellement très radicaux pour renverser le capitalisme, mais dès que ça touche à Poutine, là, on tombe dans la realpolitik la plus cynique. Et ça, ce n’est pas être pour la paix », pointe l’eurodéputé des Ecologistes, qui pense qu’« une forme de soumission à l’agenda de Poutine mène aussi à l’escalade ».
« Derrière le pacifisme avancé par Jean-Luc Mélenchon, il peut y avoir une confusion dans ses relations avec la Russie impérialiste »
Il s’étonne aussi du « champ lexical de Raphaël Glucksmann, qui parle d’économie de guerre, un terme qui pose vraiment question, sur un plan historique. Quand on dit cela, cela veut dire qu’on est en guerre ». David Cormand défend plutôt une voie médiane qui repose « sur le droit international, la libre possibilité des peuples à disposer d’eux-mêmes, les représailles économiques réelles et l’aide à l’Ukraine pour se défendre avec les armes ».
Au PS, on porte les mêmes attaques sur le fond. « La gauche ne peut pas se rassembler sur une forme d’indulgence vis-à-vis des régimes dictatoriaux, des impérialismes, de recul de la démocratie, d’une vision non universelle des droits humains », souligne le sénateur PS de Paris, Rémi Féraud, invité de la matinale de Public Sénat ce lundi. « Derrière le pacifisme avancé par Jean-Luc Mélenchon, il peut y avoir une confusion dans ses relations avec la Russie impérialiste. Moi, je ne suis pas de ce camp-là », ajoute Patrick Kanner, pour qui globalement, « les déclarations de Jean-Luc Mélenchon montrent que cette alliance-là devient très compliquée » à l’avenir. Si beaucoup déplorent la division à gauche, elle peut aussi en arranger plus d’un, quelle que soit la formation de gauche.