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Européennes 2024 : quels enseignements tirer du premier débat pour le reste de la campagne

Retour sur le premier débat des européennes, qui a opposé huit candidats pour le Parlement européen jeudi 14 mars. Interrogés par Public Sénat, plusieurs politologues et spécialistes de communication politique décryptent ce que cet évenement dit du début de la campagne électorale.
Romain David

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Il y a ceux qui ont marqué des points et ceux qui ont peiné à s’imposer. En marge des explications de texte, des professions de foi et des appels au vote, les accrochages n’ont pas manqué jeudi soir, pendant le premier débat des européennes sur Public Sénat. Ces deux heures trente d’échanges nourris entre huit candidats – sept têtes de liste et un représentant du Rassemblement national – ont marqué le coup d’envoi médiatique de la campagne pour le scrutin du 9 juin. Objectif pour les débatteurs : montrer qu’ils sont à la hauteur de l’enjeu, mais aussi se démarquer de leurs adversaires, les renvoyer autant que faire se peut dans les cordes. Un exercice qui permet aussi de tracer les grandes lignes directrices de la campagne électorale qui débute.

Raphaël Glucksmann tire son épingle du jeu

La prestation de Raphaël Glucksmann ressort comme la plus marquante de la soirée, de l’avis des experts interrogés par Public Sénat. Bon débatteur, solide sur le fond, le cofondateur de Place Publique, allié au Parti socialiste, a rarement fait montre d’autant d’opiniâtreté dans un tel exercice. « Je l’ai trouvé très en attaque. Il ne coupait pas la parole à ses adversaires, mais chacune de ses interventions était préparée et tapait juste », observe la communicante politique Emilie Zapalski, fondatrice de l’agence Emilie Conseil. L’eurodéputé a notamment fait de Thierry Mariani (RN) l’une de ses cibles de choix, avec une phrase restée comme la plus marquante du débat, lorsqu’il a qualifié l’ancien secrétaire d’Etat, réputé pour sa proximité avec le pouvoir russe, de « petit télégraphiste du Kremlin ».

Etonnamment, c’est Valérie Hayer, la candidate de la majorité présidentielle, qui était plutôt attendue dans ce registre, dans la mesure où Emmanuel Macron a mis la séquence ukrainienne au cœur de l’actualité des dernières semaines. Mais l’eurodéputée Renaissance est plutôt restée en retrait sur ce dossier, ce qui a permis à Raphaël Glucksmann de déjouer, pour quelques heures du moins, le duel annoncé entre les macronistes et le Rassemblement national.

« Le retour d’une gauche social-démocrate dans le débat public est une vraie menace pour la liste de Valérie Hayer », note au micro de la matinale de Public Sénat Stéphane Zumsteeg, le directeur du département Opinion à l’institut de sondage Ipsos. La tête de liste PS-Place publique est susceptible de capter l’attention des électeurs de gauche qui ont massivement voté pour Emmanuel Macron en 2017, mais qui aujourd’hui ne se retrouvent plus dans la politique, très ancrée à droite, du chef de l’Etat.

La percée de Raphaël Glucksmann ne se ressent pas uniquement devant les caméras mais aussi dans les sondages, où elle est à replacer dans un contexte d’éclatement de la Nupes, ce qui offre une carte à jouer au candidat. Alors que les trois principales listes de gauche ont longtemps fait la course dans un mouchoir de poche, autour des 8 %, Raphaël Glucksmann accuse désormais une légère avance sur La France insoumise et les écologistes, à 11,5 % des intentions de vote selon un sondage Ipsos publié le 11 mars.

Un éclatement perceptible également à travers les interventions de Manon Aubry, la candidate de La France insoumise. Si celle-ci a largement dénoncé l’austérité budgétaire de l’Union européenne, un discours qu’elle avait déjà tenu en 2019, elle est surtout la seule à avoir évoqué le conflit israélo-palestinien durant ce débat, dénonçant « le génocide » en cours dans la bande de Gaza.

« C’est un choix fort, qui rappelle que ce sujet est devenu pour la gauche de Jean-Luc Mélenchon, depuis le 7 octobre, un élément important de différentiation », décrypte la politologue Virginie Martin, professeure et directrice du Media Lab à Kedge Business School. « Était-il pertinent d’amener ce dossier sur le terrain de l’Europe ? En tout cas, il fait partie des signaux faibles du marketing politique ». Un positionnement renforcé par la présence de la militante franco-palestinienne Rima Hassan sur la liste LFI.

» Retrouvez le grand débat des européennes en replay

Haro sur Thierry Mariani

Avec 31 % d’intentions de vote et un écart de 13 points avec la liste macroniste, selon le sondage cité plus haut, le Rassemblement national s’impose comme archi-favori dans cette élection. À tel point que son président, et tête de liste aux européennes, Jordan Bardella, a préféré bouder notre invitation à débattre. « Une erreur incompréhensible par rapport à leur stratégie de normalisation, notamment sur le parlementaire », relève Emilie Zapalski. D’autant que Jordan Bardella est réputé bon débatteur. « Peut-être ne s’est-il pas senti aussi bon qu’on le dit ? Du moins sur la longueur et l’aspect technique », ajoute la communicante.

Il a été remplacé jeudi soir par Thierry Mariani, vieux routier de la politique, et peut-être le seul autre eurodéputé RN que le grand public est en mesure d’identifier. « On peut s’interroger sur ce choix compte tenu de ses liens réels ou supposés avec la Russie et d’autres Etats. Ce débatteur en a subi les conséquences puisqu’il a été le principal réceptacle des attaques », souligne Stéphane Zumsteeg. « Le RN doit encore prouver qu’il a des troupes, des personnalités en capacité. C’est aussi une manière de penser le coup d’après. Lorsque l’on prétend aux plus hautes fonctions, tout ne peut pas tourner autour du duo Jordan Bardella – Marine Le Pen », observe Virginie Martin. Elle rappelle d’ailleurs la forte implantation locale de Thierry Mariani dans le Sud-Ouest, celui-ci ayant failli ravir la région PACA à la droite aux dernières régionales.

Pour autant, Thierry Mariani, 65 ans, qui a effectué l’essentiel de sa carrière politique au RPR, puis à l’UMP et chez LR avant de rejoindre Marine Le Pen en 2019, est apparu bien seul lors de ce débat, peinant à combler la fracture générationnelle face à sept candidats pour la plupart âgé de moins de 40 ans. « Il a voulu encaisser les coups avec assurance, mais il s’est montré méprisant, parfois fuyant. Finalement, c’est une manière de débattre un peu à l’ancienne face à des adversaires plus pugnaces », note Emilie Zapalski. « Ses contre-attaques n’ont pas fait mouche ».

La position de Thierry Mariani pendant ce premier débat rappelle que ce type d’exercice est toujours plus périlleux pour le favori des sondages, qui a davantage à perdre que les petits candidats. Le parti de Jordan Bardella doit réussir à maintenir son avance pendant encore trois mois. « Il y a un risque pour le RN qui part très fort, très tôt, celui de démobiliser une partie de ses propres électeurs qui pourraient se dire : les jeux sont faits », avertit le sondeur Stéphane Zumsteeg.

Des candidats trop effacés

Fraîchement nommée tête de liste pour le camp présidentiel, Valérie Hayer ne semble pas avoir réussi à s’imposer jeudi soir, souvent attachée à défendre le bilan de son groupe au Parlement, plutôt qu’à se projeter dans la mandature à venir. « Elle est un peu en dessous des attentes d’une candidature pour la majorité présidentielle, dans un moment que la majorité nous présente comme un moment de grande intensité, de grande dramaturgie internationale », explique Bruno Cautrès, chercheur en sciences politiques au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences Po, également dans la matinale de Public Sénat. « Toute sa stratégie est de montrer qu’au Parlement européen, le centre droit et le centre gauche votent avec les centristes, qu’il n’y a pas de différences fondamentales et donc qu’il faut voter pour la liste Renaissance. »

« Elle a tenu des propos très généralistes sur l’Europe : l’Europe de la paix, l’Europe des solutions… reprenant tous les grands poncifs que l’on pouvait apprendre sur les bancs des meilleures écoles dans les années 1990, et qui ne veulent plus dire grand-chose aujourd’hui », regrette Virginie Martin.

Valérie Hayer pâtit certainement d’un manque de notoriété, renforcé par une nomination tardive. Dans ce contexte, Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont largement donné l’impression d’être les têtes de liste officieuses de la majorité. Pour Emilie Zapalski, « ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron a choisi de prendre la parole juste après, au 20 heures de TF1 et de France 2, pour un entretien sur l’Ukraine. C’était une manière d’enjamber ce débat des européennes ».

Également peu connue du grand public : la candidate écologiste Marie Toussaint. Yannick Jadot, tête de liste des Verts en 2019, avait bénéficié du coup de projecteur de la campagne présidentielle de 2017 à laquelle il avait participé avant de rallier Benoît Hamon. Durant ce débat, Marie Toussaint a voulu s’attacher à démonter les discours sur l’écologie punitive. « Si ce sujet a permis aux Verts de se démarquer il y a cinq ans, ils doivent désormais composer avec un moment critique pour l’écologie. Les attaques contre le Pacte vert se multiplient de la part de ceux qui estiment que le verdissement de l’Union européenne est trop rapide », relève encore Emilie Zapalski.

Marion Maréchal, tête de la liste Reconquête !, bien identifiée par les électeurs, semblait pour sa part en petite forme jeudi soir, se faisant principalement entendre sur les questions migratoires, et beaucoup moins sur les autres thématiques abordées. « Elle fait partie des candidats qui m’ont un peu déçu », reconnaît Bruno Cautrès. « Je m’attendais à une performance plus intéressante de la part de Marion Maréchal. On sait qu’elle communique très bien, qu’elle a une forte capacité à parler à son public. Là, elle était en situation de retrait. Il faut dire qu’une bonne partie du débat s’est concentrée sur Thierry Mariani et donc le Rassemblement national ».

Virginie Martin relève néanmoins que la nièce de Marine Le Pen, durant son propos conclusif, a choisi d’insister sur les racines judéo-chrétiennes de l’Europe, « une manière de faire passer la signature Zemmour. »

Ceux qui tracent leur sillon

Membre d’un parti politique qui n’a cessé de reculer depuis 2012, pris en tenaille entre les macronistes et l’extrême droite, François-Xavier Bellamy a fait montre de toutes ses capacités pédagogiques pour essayer de se différencier de ses principaux adversaires. « Il l’a fait clairement, à la fois pour affirmer l’ancrage européen des Républicains et, de ce point de vue là, tracer une ligne de partage extrêmement nette avec le RN, mais aussi sur plusieurs sujets qui, au-delà de l’UE, concernent sa conception des relations internationales », note Bruno Cautrès. « Je pense qu’à travers cela, il est arrivé à capter l’attention de son public. »

Mais la politologue Virginie Martin est moins convaincue par la prestation de cet ancien professeur de philosophie. Elle doute qu’il puisse parvenir à capitaliser avec ce débat : « Les différences sont très subtiles, je ne pense pas qu’elles impriment auprès des électeurs. On ne voit pas où sont les grandes lignes de force ».

Benjamin de la soirée, le communiste Léon Deffontaines faisait figure d’outsider mais a su doucement monter en puissance au fil des thématiques. Il a tenté de prendre de la hauteur en interpellant l’ensemble des autres débatteurs sur la teneur des échanges : « C’est mon premier débat, je suis effaré que depuis le début, on s’invective, on s’apostrophe, quelle image renvoyons-nous ? ». Paradoxalement, Bruno Cautrès estime que le protégé de Fabien Roussel a montré par son aisance « qu’il est déjà un habitué de la politique ». Crédités de seulement 3,5 % des intentions de voix dans le dernier sondage Ipsos, les communistes devront passer la barre des 5 % le 9 juin pour espérer obtenir au moins un siège au Parlement européen.

Le grand débat des européennes est à voir et à revoir en replay. Il sera rediffusé sur Public Sénat (canal 13 de la TNT)  samedi 16 mars, à 17h20 et à 21 heures

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