Si une semaine après le renversement du gouvernement Barnier, Emmanuel Macron est sur le point de nommer un nouveau Premier ministre, la situation politique française inquiète particulièrement les eurodéputés à Bruxelles que certains comparent à celle en Allemagne.
Européennes 2024 : les « planètes » sont-elles alignées pour permettre à Raphaël Glucksmann de « doubler » Valérie Hayer ?
Par François Vignal
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Croisera ? Croisera pas ? Dans la dernière ligne droite des élections européennes, les sondages montrent la même chose, les uns après les autres : la liste de la majorité présidentielle de Valérie Hayer reste stable, se tasse voire baisse légèrement, quand celle du PS/Place Publique de Raphaël Glucksmann grappille petit à petit les pourcentages et se rapproche de la seconde place. Au point de passer devant la liste soutenue par Emmanuel Macron ?
Les deux listes se rapprochent dans les sondages
Ce qui n’était quasiment qu’un cas d’école, quand publicsenat.fr posait la question dès le 4 avril dernier, au regard d’un début de frémissement pour la liste socialiste, est aujourd’hui une hypothèse qui semble de plus en plus envisageable. Selon le dernier sondage Harris Interactive pour Challenges M6 et RTL, seul un demi-point sépare les deux listes (15 % pour Hayer, 14,5 % pour Glucksmann). Avec la marge d’erreur d’environ + /- 1,5 point, la liste PS/PP est même déjà potentiellement devant…
Même ordre de grandeur dans les intentions de vote selon le « rolling » Ifop-Fiducial du jour pour LCI, Le Figaro et Sud Radio. Valérie Hayer est à 16 % et Raphaël Glucksmann juste derrière à 15 %, quand Jordan Bardella atteint un record pour le RN, à 33 %. Le sondage ViaVoice de ce jeudi pour Libération temporise cependant l’idée d’un croisement des courbes, donnant la majorité présidentielle à 17 % et la liste PS/Place publique trois points derrière, à 14 %.
« Il ne faut pas regarder dans le rétroviseur si quelqu’un va vous doubler, il faut regarder devant pour aller plus vite », avance Nathalie Loiseau
Alors, il y a le feu à la maison Macron ? Dans le camp présidentiel, il y a ceux qui n’y croient pas une minute. Ou qui ne veulent pas y croire. « Le narratif sur le croisement des courbes n’existe pas et n’existera pas », soutient avec certitude un responsable de la campagne, qui pense même que « la dynamique Glucksmann n’existe pas ».
L’eurodéputée Horizons Nathalie Loiseau, porte-parole pour la campagne, minimise l’effet Glucksmann. « Il est au niveau où était Yannick Jadot en 2019 et au niveau où était la liste PS en 2014. A l’époque c’était considéré comme une catastrophe (la gauche était au pouvoir, ndlr). Il siphonne manifestement beaucoup de voix chez les écolos, chez les insoumis, peu chez nous. Il ne faut pas regarder dans le rétroviseur si quelqu’un va vous doubler. Il faut regarder devant pour aller plus vite », lance l’ancienne ministre des Affaires européennes. Mais certains ne sont-ils pas dans le déni ? « Moi je ne le suis pas. Il faut faire campagne à fond, jusqu’au bout, montrer qu’on est centraux au plan européen », répond Nathalie Loiseau. Celle qui menait la liste LREM lors des européennes de 2019 insiste :
L’enjeu, dans le peu de temps qui reste, est de mobiliser. « Je ne pense pas que les choses se cristallisent en réalité, car on l’a vu très souvent aux européennes, les Français se décident à la dernière minute », selon Nathalie Loiseau. « Quand on sait que 50 % des électeurs de Macron au premier tour, en 2022, disent pour l’instant qu’ils ne vont pas voter, il y a les voix pour remonter à 20 %. C’est l’objectif, et même au-delà », avance François Patriat, à la tête du groupe des sénateurs macronistes. « L’électorat est très mobile, y compris même de Macron à Bardella », avance encore un responsable de la majorité, selon qui « l’important, c’est que les électeurs de Macron n’aillent pas à la pêche, le dimanche 9 au matin ».
« Notre principal objectif, c’est de réveiller notre électorat, c’est l’intérêt du débat Attal/Bardella », selon un ministre
Pour mobiliser, les macronistes comptent sur le débat, ce soir sur France 2, entre Gabriel Attal et Jordan Bardella. « Il a été installé comme premier ministre, chef de la majorité, c’est normal qu’il fasse un débat au moment où il y a un scrutin important pour la majorité », soutient la porte-parole. « Dans la campagne, notre principal objectif c’est de réveiller notre électorat. C’est l’intérêt du débat de ce soir. Notre intérêt, c’est qu’il y ait le maximum d’audience », avance pour sa part un ministre qui suit la campagne.
Pour compliquer les choses pour la majorité, l’actualité ne l’aide pas, entre la crise en Nouvelle-Calédonie ou l’attaque du fourgon pénitentiaire. De quoi profiter au RN ? Nathalie Loiseau pointe « le tête-à-queue de Marine Le Pen sur la Nouvelle-Calédonie ». « Et à vous entendre, l’actualité du fourgon serait du côté du RN. Mais des députés RN ont bu un toast à la buvette de l’Assemblée nationale, quand c’est arrivé, dès l’annonce de l’attaque du fourgon », soutient la porte-parole de la campagne de Valérie Hayer, sans citer de nom. « Cela dit beaucoup de leur cynisme. Ils pensent que c’est bon pour eux, « vive l’insécurité, ça nous fait monter ». Nous, on lutte contre l’insécurité », dénonce Nathalie Loiseau.
« On est en train de lever un espoir à gauche dans le pays »
Du côté de l’équipe de campagne de Raphaël Glucksmann, on ne sabre pas (encore ?) le champagne, mais on y croit. Si les socialistes restaient prudents il y a deux mois, ils sont raisonnablement optimistes aujourd’hui, au point d’imaginer passer devant la liste Hayer. « On fait tout pour. On se déploie au maximum sur le terrain pour aller convaincre et faire le meilleur score. On n’a pas d’objectif chiffré. Mais quand on avait dit, lors d’une conférence de presse, qu’on fait une campagne pour la gagner, ça avait pu faire sourire, mais on est dans le même état d’esprit », affirme Pierre Jouvet, numéro 3 sur la liste Glucksmann et porte-parole de la liste.
« On est en train de lever un espoir à gauche dans le pays, qui permet à la fois d’incarner ce vote efficace pour battre Emmanuel Macron et le sanctionner de ce qu’il a fait en France et en Europe depuis 7 ans, et être une alternative à l’extrême droite demain », lance celui qui est aussi secrétaire général du PS, auprès d’Olivier Faure. Pierre Jouvet ajoute :
Le responsable socialiste souligne qu’« une élection, c’est toujours une alchimie complète. C’est le fond, la personnalité du candidat, l’équipe, le moment politique, la situation. On est dans ce moment et Raphaël Glucksmann incarne cela ». Comme le rappelle Pierre Jouvet, « la politique, c’est à un moment l’alignement des planètes ».
C’est ce que Patrick Kanner appelle « un mélange vertueux ». « Nous avons une très bonne dynamique de campagne, je le constate au plan territorial et par tous les retours que j’ai des sénateurs. Les marchés se passent bien et le porte à porte aussi », assure le président du groupe PS du Sénat. « La deuxième explication, c’est que le vote Glucksmann commence à devenir le vote utile à gauche », « et il permet aux électeurs de gauche, qui ont voté Macron par conviction ou par défaut, d’envoyer un message », ajoute l’ancien ministre de François Hollande.
« Glucksmann finit à 18 ou 20 % si les gens veulent dire “on met une bonne tarte à Macron” »
Ce défenseur d’une « gauche de gouvernement » y voit son avantage. « Il s’est vraiment mis dans l’esprit de la social-démocratie, de Mitterrand, Delors, Badinter. Il n’est pas socialiste, je vous le concède, mais il se revendique de cette grande famille de gauche de responsabilité ». Ce n’est pas un hasard si Raphaël Glucksmann s’est affiché aux côtés de Lionel Jospin, mercredi, dans le XVIIIe arrondissement de Paris.
Un socialiste voit deux options possibles pour la fin de campagne en réalité. « Cela peut finir à 12/14 %. On est sur notre socle. Soit on a un effet mobilisateur des derniers jours, et ça finit à 18, 19 ou 20 %, si les gens veulent dire qu’on va mettre une bonne tarte à Macron. Glusckmann peut être un vecteur, pour ceux qui ne veulent pas voter Bardella », confie-t-on. Le même espère bien sûr que « le toboggan » continue pour Valérie Hayer, au point de l’amener au niveau de la liste de Jean-Christophe Cambadelis, lors des européennes de 2014, quand les socialistes étaient au pouvoir avec François Hollande. Ils avaient fini à 13,98 %, à la troisième place… Un autre acteur de la campagne ajoute :
« Glucksmann est un lâche sur l’Ukraine »
En face, si on ne s’attarde pas officiellement sur lui, sous le manteau, on sort les coups contre le candidat PS/Place Publique. « Glucksmann monte, car les autres baissent », dit un poids lourd du groupe Renaissance. « Il ne sert à rien », dit un autre.
« Glucksmann, je ne sais pas si son engagement européen est sincère. […] C‘est un lâche sur l’Ukraine, pendant 2 ans, il a dit qu’il faut faire plus et quand on évoque l’envoi de troupes, il dit attention c’est très dangereux », dénonce un responsable macroniste, qui ajoute qu’« il est tenu par les apparatchiks de la Nupes-PS, qui ont fait le pied de grue devant Mélenchon pour les législatives ». Un ministre pointe son « soutien à Nicolas Sarkozy en 2007 ». Le même ajoute :
« La surprise où Raphaël Glucksmann nous a doublés »
Mais si les attaques partent tous azimuts, on sent chez certains une forme de fébrilité. Un député du groupe Renaissance n’écarte pas le scénario noir. « Il y en a un qui continue de monter, c’est Glucksmann, et une qui baisse, c’est Hayer. On peut se réveiller le 9 juin avec l’énorme surprise, qui peut être l’écart plus faible avec Bardella, mais aussi la surprise où Glucksmann nous a doublés », avance ce député, qui craint une « déflagration le dimanche soir ». Malgré ses difficultés, tous ne veulent pas mettre la responsabilité sur la candidate. « Valérie Hayer réussit un exploit, compte tenu de ce qu’elle est, son inexpérience. On l’a envoyée au casse-pipe. Je lui dis chapeau », lâche un député de la majorité…
Un ministre ne semble guère plus optimiste. « Dans l’histoire de la Ve République, être à 16 % dans les sondages, c’est un miracle, après sept ans aux responsabilités », lâche ce membre du gouvernement… En réalité, le camp Macron prépare les esprits, en cas de faible score. « Si on finit à 14 ou 18 %, on sera très tristes lundi et mardi. Mais la vie continuera », avance un poids lourd de la majorité. « Depuis quand les européennes ont une influence sur la vie politique française ? » demande un autre…
« C’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses »
La liste continue malgré tout à cravacher jusqu’au bout. « Le dernier meeting de campagne se tiendra à Nice, avec Edouard Philippe, le 6 juin. Il est pleinement investi », avance Nathalie Loiseau. Dans le camp Glucksmann, après un « grand meeting » parisien le 30 mai, la dernière réunion publique est prévue à Lille, « la ville de Martine Aubry. Outre sa compétence et son autorité, c’est aussi la fille de Jacques Delors, un beau symbole », souligne Patrick Kanner. Prudent, le sénateur PS du Nord ajoute, reprenant une formule chère aux élus de la Haute assemblée : « Comme on dit, c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses ».
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