Européennes 2024 : Bardella au sommet, leadership à gauche, deuxième ou troisième place pour Hayer… les nombreux enjeux nationaux du scrutin
Par Hugo Ruaud
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En cette toute fin de campagne, les différentes listes jettent leurs dernières forces dans la bataille qu’elles mènent depuis plusieurs mois pour convaincre les électeurs. Partout dans les médias, dans toutes les matinales de France, chaque camp tente encore de gratter ce qui peut l’être avant le début de la période de réserve. Car pour la plupart des listes, quelques dizaines de milliers de voix en plus ou en moins pourraient faire une grande différence (a fortiori avec une abstention qui devrait graviter autour de 50 %). Du côté des Ecologistes et de Reconquête !, l’enjeu est simple : envoyer des eurodéputés à Strasbourg. Rien d’évident à trois jours du scrutin étant donné les enquêtes d’opinions successives dans lesquelles leurs listes respectives tutoient le seuil fatidique des 5 %, en dessous duquel aucun député n’est élu. Pour EELV, le camouflet serait cinglant : jamais depuis trente ans les écologistes n’ont récolté moins de 5 % des suffrages aux élections européennes ; en 2019, lors du précédent scrutin, ils étaient même arrivés troisième, envoyant 13 élus à Strasbourg.
Pour le camp présidentiel, le spectre de la débâcle
Bien au-dessus dans les sondages, les listes de Valérie Hayer et Raphaël Glucksmann ont les yeux fixés sur un objectif : la deuxième place, derrière Jordan Bardella. Jusqu’à présent, les courbes ne se sont jamais croisées. Comme si la tête de liste Renaissance avait atteint son plancher, et le candidat du Parti socialiste son plafond. Mais les marges d’erreurs des scores des deux listes s’entrechoquent et pour Valérie Hayer, « le risque, c’est clairement la troisième place », affirme Gaël Sliman, président d’Odoxa. « Pour elle, le gros enjeu est d’être dans la fourchette haute des sondages et espérer que Raphaël Glucksmann ne soit pas trop proche d’elle ». Mais même dans ce cas de figure, le résultat de Valérie Hayer sera jugé décevant par les Français, affirme le sondeur. « Fin février, elle est partie de 17-18 % d’intentions de vote, elle est à 15 % aujourd’hui. Si elle fait un petit peu plus et qu’elle évite la troisième place, certains dans la majorité se diront peut-être que la casse est limitée. Mais quelle que soit l’épaisseur du trait, elle apparaîtra comme la grande perdante du scrutin ». Car au-dessus, le Rassemblement de Jordan Bardella caracole en tête des sondages, à plus de 30 % d’intentions de vote, avec un pic à 34 % après le débat télévisé qui l’a opposé à Gabriel Attal. « Une liste à plus de 30 % aux élections européennes, ce n’est arrivé qu’une seule fois en France », rappelle Martial Foucault, directeur du Cevipof. « Avec 15 points d’écart entre la première et la seconde liste, on aura un cas sans précédent. Cela va magnifier le score du RN », affirme le professeur Sciences politiques. Gaël Sliman abonde : « Jordan Bardella est solidement installé à 32 %. Il fera peut-être un peu moins, mais il sera largement devant la candidate de la majorité présidentielle, et c’est ce que l’opinion va retenir ». Pour le président d’Odoxa, ce n’est pas tant la personne de Valérie Hayer qui est en cause dans la défaite à venir qu’une forme de vote sanction contre la politique d’Emmanuel Macron : « Lorsque Renaissance n’avait pas encore choisi son candidat, les sondages donnaient déjà entre 17 et 18 % à la liste macroniste. Valérie Hayer n’a pas su créer de dynamique, mais ce score de base était de toute façon loin des 23 % obtenus aux élections européennes de 2019 ». « Depuis la réélection d’Emmanuel Macron en 2022, plusieurs réformes particulièrement impopulaires ont été adoptées, comme la réforme des retraites. Cela ressemble à un vote sanction », affirme lui aussi Martial Foucault. Face aux difficultés de Valérie Hayer dans les sondages, l’exécutif s’est impliqué jusqu’au bout – au risque d’alimenter le procès en illégitimité du gouvernement qui pourrait naître à l’issue du scrutin. Emmanuel Macron a multiplié ses déclarations dans les médias, jusqu’à accorder une interview aux JT de TF1 et France 2 jeudi soir lors de laquelle il a martelé le péril que constitue selon lui l’extrême droite. Gabriel Attal a de son côté débattu en tête à tête avec Jordan Bardella fin mai, et s’est même invité à la dernière minute sur un plateau de franceinfo pour « soutenir » sa candidate, suscitant un tollé des oppositions. « C’est une faute majeure de l’exécutif dans cette campagne », affirme Gaël Sliman, pour qui « ils donnent l’impression de considérer Valérie Hayer pas assez bonne, ce qui affaiblit encore plus sa liste ». Jusqu’à présent, l’implication de Gabriel Attal et Emmanuel Macron n’a pas montré d’effet dans les sondages. « Autant Gabriel Attal est relativement populaire, autant Emmanuel Macron est très impopulaire. À chaque fois qu’il veut s’immiscer dans la campagne pour donner des consignes de vote, il s’expose à l’effet inverse », explique Gaël Sliman. Or, que restera-t-il de la majorité présidentielle en cas de débâcle dimanche ? L’ancien Premier ministre, soutien de plus en plus libre de la majorité dont les ambitions pour la présidentielle de 2027 sont de plus en plus assumées, recevra mardi 11 juin les parlementaires Horizons. « Il faudra évidemment tirer les conséquences, en bien ou en mal, du résultat des européennes », expliquait déjà en début de semaine le sénateur Horizons Emmanuel Capus.
Raphaël Glucksmann, le plafond et les doutes ?
Valérie Hayer peut cependant s’accrocher à un espoir : l’inversion des courbes avec Raphaël Glucksmann, maintes fois annoncée imminente, n’a jamais eu lieu. « Le plus probable, c’est qu’elle termine un peu au-dessus de lui », indique le Gaël Sliman. Depuis quelques semaines, la campagne de la tête de liste socialiste semble s’essouffler : il perd entre 0,5 et 1 point d’intention de vote dans la plupart des enquêtes d’opinion. Avec des sondages qui lui prédisent un score au moins deux fois supérieur à celui qu’il avait réalisé en 2019, le candidat socialiste ne dispose plus de beaucoup de réserves de voix. L’essentiel d’entre elles se trouve chez l’électorat écologiste dont, d’après l’enquête du Cevipof publié dans Le Monde, l’électorat socialiste est le plus proche. Mais ces mêmes électeurs ne vont-ils pas finalement renoncer à jeter leur dévolu sur Raphaël Glucksmann face au risque élevé de ne voir aucun député européen écologiste au parlement européen ? C’est l’une des dernières cartes qu’abat Marie Toussaint dans Libération : « Sans groupe écolo fort, la transition écologique est condamnée », argue-t-elle dans une interview accordée au quotidien pour mobiliser son électorat. « Il y a deux logiques, deux phénomènes qui s’affrontent pour les électeurs hésitants », explique Gaël Sliman. « Le premier, c’est celui du vote utile, la prime au gros ». Phénomène dont bénéficiait jusqu’à présent Raphaël Glucksmann. « Mais le second, c’est ce qu’on appelle l’effet underdog, la prime à l’outsider, qui peut s’apparenter à un vote par pitié ». Le sondeur prend l’exemple du vote pour Marion Maréchal : « Un électeur qui hésite entre Reconquête ! et le RN peut très bien se dire – à quoi bon voter Bardella ? Qu’il est 32, 33 ou 34 % revient au même – et accorder son vote à Marion Maréchal pour lui permettre de rester au-dessus des 5 % ».
Derrière les scores de gauche, la course au leadership
Si ce phénomène se produit au détriment de Raphaël Glucksmann, la tête de liste socialiste pourrait finalement terminer en deçà de ce que ses scores dans les sondages lui permettaient d’espérer jusqu’à présent. Or moins le score de la liste PS / Place publique sera élevé, plus le match qui oppose ces derniers à la France insoumise pour le leadership de la gauche risque d’être féroce. Oscillant depuis plusieurs semaines entre 6 et 8 % d’intentions de vote, les Insoumis veulent croire à une remontée de dernière minute. « Tous les sondages nous donnent en hausse, la dynamique de cette fin de campagne est de notre côté », assurait vendredi matin Manon Aubry sur France 2, tandis qu’un sondage d’Ipsos pour franceinfo et Le Parisien la place pour la première fois à 9 % d’intentions de vote. « Si Manon Aubry approche les 10 % pendant que Raphaël Glucksmann tombe à 12 % – ce qui est possible par rapport aux marges d’erreur – LFI pourra tenter de dé-légitimer le PS », selon Gaël Sliman. Beaucoup, au Parti socialiste, espèrent de tout cœur voir un grand écart entre le résultat de Raphaël Glucksmann et celui de Manon Aubry. L’enjeu : enterrer définitivement le retour au centre du jeu de Jean-Luc Mélenchon et imposer une alliance des gauches autour d’un ligne plus proche de celle du Parti socialiste que de la France insoumise. Par réciprocité, les Insoumis ont un temps espéré pouvoir écraser leurs concurrents et définitivement s’affirmer comme la principale force politique de gauche. Dans cette optique, le leader des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon, n’hésitait pas à affirmer début mars que le 9 juin “n’est pas une élection européenne, c’est le premier tour de l’élection présidentielle de 2027 ». Depuis, les Insoumis, jusqu’à présent loin derrière Glucksmann dans les sondages, n’ont eu de cesse de relativiser le probable bon score du député européen dimanche, arguant que l’élection était boudée des jeunes et des classes populaires, deux catégories au coeur de l’électorat insoumis.
Un scrutin français à contre-courant des tendances européennes
Pendant ce temps, le Rassemblement national savoure ce qui s’annonce comme une victoire inédite. Jamais le parti à la flamme n’avait creusé un tel écart avec ses concurrents. Mais derrière la victoire du parti d’extrême droite à l’échelle française, « le vœu du Rassemblement national de peser en Europe est très loin de la réalité qui sortira des urnes dimanche soir », assure Martial Foucault, car la France connaît une « situation paradoxale », selon le président du Cevipof. « On aura une extrême droite très très haute, alors qu’elle est minoritaire dans l’ensemble de l’Europe où le PPE est très fort, alors qu’en France la liste de François Xavier Bellamy est très basse ». Ce qui fait dire à Martial Foucault qu’il y aura une forme « d’inversion » entre ce qui devrait se produire au plan européen et ce que l’on observera en France.
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