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Etat de droit : les propos polémiques de Bruno Retailleau inquiètent, mais ne surprennent pas au Sénat
Par Simon Barbarit
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Pour les élus de la chambre haute, les déclarations de Bruno Retailleau dans le JDD et LCI ce week-end n’ont rien de surprenantes. Les débats de l’examen du projet de loi immigration avaient clairement révélé l’axe de pensée du sénateur de Vendée pour qui, la sécurité est la première des libertés. Dans les colonnes de l’hebdomadaire, interrogé sur le meurtre de la jeune étudiante Philippine dont le principal suspect est un marocain, déjà condamné pour viol et sous le coup d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français) le nouveau ministre de l’Intérieur dénonce « un point de déséquilibre où les règles finissent par protéger les individus dangereux davantage que les victimes de la société » et affirme à ce titre que « l’État de droit, ça n’est pas intangible, ni sacré ». « C’est un ensemble de règles, une hiérarchie des normes, un contrôle juridictionnel, une séparation des pouvoirs, mais la source de l’Etat de droit, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain », complète-t-il.
« Ça traduit une orientation politique préoccupante »
« On a l’impression qu’il est toujours sur les bancs du Sénat, lors d’une question d’actualité au gouvernement, sauf qu’il est ministre. Lors de la censure par le Conseil constitutionnel d’une bonne partie de la loi immigration, on avait pu percevoir, cette critique de l’état de droit. Pour lui, c’était un obstacle à des mesures efficaces. Là, il semblerait que ce soit plus conceptuel et ça traduit une orientation politique préoccupante », observe la sénatrice socialiste, Marie-Pierre de la Gontrie.
Le président du groupe LR du Sénat avait, à l’époque, qualifié la décision du Conseil constitutionnel « de déni du pouvoir du Parlement ». La semaine dernière, dans un duel naissant entre deux ministres régaliens et deux parcours politiques opposés, c’est l’ancien socialiste, le garde des Sceaux, Didier Migaud, qui avait rappelé à son collègue de Beauvau que « dans une grande démocratie, la justice est indépendante, le principe de la séparation des pouvoirs est un principe de l’Etat de droit ». Le ministre de l’Intérieur avait alors acquiescé devant la caméra de Public Sénat tout en prenant soin d’insister sur la prédominance du « peuple souverain » dont le Parlement tire sa légitimité pour changer les lois et même réviser la Constitution. Bruno Retailleau a d’ailleurs réaffirmé son souhait de la tenue d’un référendum pour modifier la Constitution afin de durcir drastiquement les lois sur l’immigration.
« C’est la démonstration qu’il n’est pas fait pour le poste »
Au sein du groupe LR du Sénat, des voix se sont logiquement fait entendre pour soutenir la position du ministre. « Tous les habitants de ce pays attendent de la part du ministre de l’Intérieur, un message clair et précis. Le respect de l’état de droit mais aussi des devoirs. Le respect des libertés individuelles ne sert pas à grand-chose si vous ne pouvez plus laisser sortir vos enfants le soir », soutient la sénatrice LR, Jacqueline Eustache-Brinio. « L’État de droit n’est pas intangible mais la somme des lois votées et des traités signés dans le contexte de leur époque. Comme le dit Bruno Retailleau, sa seule source démocratique est le peuple souverain. Il peut donc évoluer pour répondre aux attentes du souverain suprême. C’est le fondement même de la démocratie », argue sur le réseau social X, Max Brisson, sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques.
« Cette déclaration de Bruno Retailleau est la démonstration qu’il n’est pas fait pour le poste de ministre de l’intérieur, garant des droits et libertés et doté d’un pouvoir administratif très fort. On comprend pourquoi les LR sont cantonnés à faire 6 % aux élections. Leurs électeurs se sont tournés vers le RN. Je m’étonne quand même du stoïcisme des macronistes du gouvernement après de tels propos », dénonce Thomas Dossus, sénateur écologiste.
En effet, cette fois-ci, le ministre de la Justice est resté silencieux. Le Premier ministre, Michel Barnier qui avait recommandé à ses ministres « de ne pas faire d’esbroufe » n’a pas non plus recadré publiquement Bruno Retailleau comme il a pu le faire avec d’autres membres de son équipe gouvernementale la semaine dernière.
Au sein de ce qu’on appelle désormais le bloc central, des poids lourds on fait entendre leur voix pour désavouer le ministre de l’Intérieur. « L’État de droit, c’est ce qui protège notre démocratie, c’est ce qui protège tous les citoyens […] Soyons extrêmement respectueux de notre cadre, ce n’est vraiment pas le moment de tout chambouler », a réagi la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet.
Le prédécesseur de Bruno Retailleau, Gérald Darmanin y est allé, lui aussi, de sa mise en garde. « J’essaie d’être élégant, je ne vais pas critiquer mon successeur qui découvre ce ministère […] Il faut être ministre des policiers, des gendarmes, des agents de préfectures et parfois des immigrés […] Moi-même, j’ai pu faire des erreurs de communication […] La source de l’action du ministère de l’Intérieur, c’est l’application du droit », a-t-il insisté.
« Peut-être que Bruno Retailleau a un petit compte à régler avec la République »
Le sénateur communiste, Pierre Ouzoulias, archéologue de profession, cherche, lui, à la source des convictions de Bruno Retailleau. « Vous savez, l’état de droit, le principe selon lequel la loi est la même pour tous, trouve son origine dans la Déclaration des droits de l’Homme sur laquelle s’appuie le Conseil constitutionnel dans ses décisions. Peut-être que Bruno Retailleau a un petit compte à régler avec la République », esquisse-t-il en référence aux origines vendéennes du ministre, un département « qui a souffert dans sa chair de la morsure totalitaire de la Terreur », dépeignait-il en 2021 dans la Revue Politique.
« Je ne pense pas que Bruno Retailleau adopte une posture. Il affirme ses convictions de manière honnête et brutale. A plusieurs reprises, Les Républicains ont contesté les décisions du Conseil constitutionnel et des juridictions européennes, à la manière de certaines démocraties illibérales européennes », ajoute Pierre Ouzoulias.
« Il va falloir qu’il s’exprime plus clairement »
Le sénateur Horizons, Emmanuel Capus tente également une exégèse de la pensée du ministre. « Sa formule est pour le moins maladroite. Il va falloir qu’il s’exprime plus clairement car en se prononçant en faveur de plus de fermeté et plus d’application des normes, c’est justement le respect de l’état de droit qu’il met en avant. Le rempart contre l’arbitraire que nous défendons ».
L’ancien sénateur centriste, élu député en juillet, Philippe Bonnecarrère qui fut co-rapporteur de la loi immigration, semble comprendre à quoi Bruno Retailleau fait référence. « Je ne peux pas le suivre sur ce point. L’état de droit n’empêche pas une action publique efficace de maitrise de l’immigration. En évoquant cette notion, Bruno Retailleau vise bien souvent la question de la hiérarchie des normes », soutient-il.
Cette année, Bruno Retailleau a déposé une proposition de loi constitutionnelle dont l’un des articles permettait à la France de déroger aux règles européennes, notamment en matière migratoire si celles-ci « contreviennent à l’identité constitutionnelle de la France ». Une notion reconnue au niveau européen, conforme aux engagements internationaux de la France, et que le Conseil constitutionnel a déjà intégré dans sa jurisprudence. Mais conformément à l’état de droit, le Conseil ne reçoit pas de consigne du pouvoir politique dans la motivation de ces décisions.
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